La société civile, dans sa diversité et dans la multiplicité des compétences qu’elle représente et incarne, peut et doit contribuer aux grands débats et, particulièrement, dans le cadre de ce grand moment républicain qu’est l’élection présidentielle. En ce sens, les membres et experts du club e-santé du Centre d’étude prospective et stratégique (CEPS) attirent l’attention des candidats sur la faible part accordée aujourd’hui dans leurs programmes aux révolutions technologiques dans le secteur de la santé, notamment avec l’avènement de la santé connectée et des multiples possibilités qu’il pourrait offrir.
Chaque candidat porte ses propositions sur l’un des sujets de préoccupations les plus prégnants auprès de l’opinion publique. Plus de huit Français sur dix s’attendent à ce que leurs dépenses de santé continuent d’augmenter[1]. Plus grave : la dernière étude en date du ministère montre que près de 40 % d’entre eux évoquent un problème de santé chronique et un quart une limitation dans leurs activités quotidiennes[2]. Pourtant, force est de constater que lorsqu’est évoquée la santé publique dans les programmes de campagne, c’est essentiellement une vision très classique, très technocratique, pour ne pas dire uniquement comptable qui prédomine.
Or, tout est prêt ! L’arsenal technologique et les solutions industrielles ont considérablement développé usages et produits ; l’excellence médicale française se déploie dans des solutions de santé connectée ; l’environnement réglementaire, s’il est contraignant, n’en demeure pas moins suffisant pour accéder au marché hexagonal ; et, en outre, les Français comme les professionnels de santé témoignent d’une appétence croissante pour les solutions innovantes.
Et pourtant… La France ne parvient pas à déployer la télémédecine et la santé connectée sur ses territoires, et demeure encore cantonnée au stade de l’expérimentation et des projets pilotes peu ambitieux. Que d’appels d’offres mal rédigés ou irréalisables, dotés d’enveloppes insuffisantes… Que d’absence d’approche globale mariant les infrastructures, les réseaux et les usages… Que de retard pris sur un enjeu pour lequel la France dispose de tous les atouts pour être leader mondial, à la fois de par sa tradition d’excellence médicale, mais aussi par la qualité de ses ingénieurs et de son savoir-faire technologique. D’autres font manifestement mieux. L’Estonie par exemple, certes sur un volume de dossiers moindre qu’en France, a réussi à déployer le dossier médical partagé. Certainement parce qu’il y a du côté de Tallinn une volonté politique qui s’affirme, mais aussi des acteurs économiques fédérés autour d’un projet fédérateur. Le dossier patient médical y est désormais numérisé, mobile et unique. Cet exemple de succès de déploiement de la santé connectée en Europe n’est malheureusement pas français.
Aujourd’hui, en tant qu’acteurs, tous investis dans le développement de la santé connectée, nous appelons les candidats à l’élection présidentielle à exprimer haut et fort leur motivation, leur ambition, et leur détermination en faveur du développement de l’e-santé pour les cinq prochaines années ! Les initiatives sans envergure et sans souffle, fondées sur des projets pilotes annuels, à périmètre restreint et sans vision, ne font pas bouger les lignes ; ni sur la nécessité impérative de sauvegarder l’accès aux soins, ni sur la modernisation désormais incontournable de notre système de santé.
Il est temps que la France s’engage dans déploiement industriel et territorial global de l’e-santé
Il faut sans attendre relever deux challenges : quelle gouvernance pour la santé connectée en France ? Comment laisser la liberté indispensable aux acteurs des territoires, tout en assurant la cohérence du déploiement au plan national ? Nous sommes « au milieu du gué », situés entre des Agences régionales de santé (ARS) appelées à gérer en proximité sans capacité de maîtriser la chaîne de valeur globale, et un pilotage national déconnecté des réalités territoriales… C’est ainsi que des dizaines de millions d’euros restent bloqués dans les tiroirs des Agences régionales de santé (ARS), désorientées par des procédures toujours trop complexes et des injonctions contradictoires entre les attentes territoriales et des orientations trop générales et incantatoires. Et puis, comment agir avec pérennité sans disposer des financements adéquats de long terme ?
Nous devons nous atteler à donner confiance au patient comme au professionnel de santé dans les solutions innovantes de santé connectée. Nombreux sont ceux qui les découvrent. Nombreux sont ceux qui n’en perçoivent pas encore la valeur ajoutée dans les usages et les bénéfices immédiats, dans la pratique de leur métier, pour la prévention comme pour le curatif. Or la confiance ne se décrète pas. Le corollaire de la confiance est la qualité. La qualité et la fiabilité, médicale comme technologique, des objets et services de santé connectée sont les conditions des possibilités du développement de la santé connectée dès maintenant et, à n’en pas douter, pour de nombreuses années.
Sans qualité, les utilisateurs abandonnent les solutions rapidement. Sans fiabilité médicale confirmée, les professionnels de santé ont à juste titre du mal à adopter et à recommander ces nouvelles solutions de santé connectée.
La qualité s’obtient par la vérification, par le biais d’un processus de labellisation et d’évaluation, adapté au temps de l’innovation mais qui soient aussi garants de la qualité des solutions innovantes proposées. Dans cet esprit, nous rappelons le haut degré d’exigences nécessaire dans la mise en œuvre des modalités d’évaluation, notamment des dispositifs médicaux connectés, sauf à permettre l’arrivée sur le marché des solutions-gadgets qui ruineraient toute la crédibilité générale de la santé connectée en un instant. Plus précisément, nous souhaitons des modalités d’évaluation souples en amont et strictes en aval afin de ne pas brider l’innovation française. Parmi les modalités que nous trouverions pertinentes figure l’évaluation a posteriori des dispositifs médicaux connectés, avec à l’appui des études en vie réelle, afin de démontrer leur efficience réelle du point de vue médical sur une grande longueur de temps.
La France et ses acteurs de santé ont développé les atouts indispensables pour que les bénéfices de la santé connectée puissent soulager et moderniser un système juste et équitable pour tous. Pourtant, bon nombre de professionnels sont à bout de souffle, notamment au sein des établissements hospitaliers. Loin d’être uniquement une source d’économie possible pour l’assurance maladie (même si elle en est d’évidence aussi une), la santé connectée peut venir soulager le système à deux niveaux simples : en amont en évitant les recours abusifs ou inutiles aux services d’urgence par exemple grâce à des applications d’autodiagnostic ou d’assistant virtuel de santé, mais aussi en aval en permettant aux patients de rentrer plus vite chez eux et de bénéficier d’une médecine ambulatoire de qualité, rassurante et confortable pour leur quotidien.
Il convient, en ces temps de résolutions programmatiques de candidats à la plus haute fonction de la République, d’exprimer leur conviction en matière de développement de la santé numérique, et leur détermination à faire placer sans équivoque la santé connectée dans le champ de la santé, au bénéfice des patients, mais aussi du « temps médical » des professionnels de santé, et enfin de la pérennité et de l’efficacité de notre système de santé.
Signataires :
Dr. Patrice CRISTOFINI, président et fondateur du club e-santé du CEPS (Centre d’étude prospective et stratégique)
Franck DROIN, membre du Board du club
Olivia GREGOIRE, membre du Board
Tram NGUYEN TRINH, membre du Board
Olivier PERALDI, membre du Board
Eric SEBBAN, membre du Board
Loïc TRIBOT LA SPIERE, Délégué général du CEPS
[1] Deloitte, Les Français et le système de santé actuel, baromètre santé 2016.
[2] État de santé des Français et facteurs de risque, Premiers résultats de l’Enquête santé européenne, enquête santé et protection sociale 2014, parution le 2 mars 2017.