La tribune du chercheur Milad Jokar
41,2 millions d’Iraniens (en Iran et à l’étranger) ont voté lors de l’élection présidentielle en Iran. Ils ont choisi la poursuite de la politique d’ouverture et d’engagement du président Hassan Rouhani, et comme les Français, ils ont montré un rejet massif du populisme. Les Iraniens offrent à Rouhani une victoire confortable avec 57% des suffrages. Après la victoire aux législatives de 2016, Ils ont affirmé leur volonté de poursuivre l’ouverture au monde prônée par Rouhani à travers la voie de la diplomatie et du dialogue.
Ce signal fort est contrasté par le premier voyage officiel de Donald Trump en Arabie Saoudite. Lors de sa visite, Trump a signé pour 110 milliards de dollars de contrat d’armement et a appelé à isoler l’Iran, refroidissant ainsi les aspirations des Iraniens et les espoirs de l’Union Européenne qui voit en Rouhani la possibilité de renforcer les efforts d’échanges, de commerce et de progrès. Peut-être plus ironique encore, Trump appelle même à un changement de régime alors que le taux de participation à la présidentielle iranienne était de 73% (contre 56% aux États-Unis).
Les déclarations belliqueuses de Trump contre l’Iran font écho au discours saoudien qui accuse l’Iran de soutenir le terrorisme. Trump marque ainsi un changement de position puisqu’il avait soutenu l’année dernière que les Saoudiens étaient derrière les attaques du 11 septembre 2001 qui avaient fait 3000 victimes aux États-Unis.
Donald Trump marque également une rupture avec la politique de son prédécesseur Barack Obama qui avait compris la dynamique régionale, à savoir que la chute de Saddam Hussein en Irak offrait à l’Iran une position de force dans l’équilibre de la région. Négocier avec l’Iran devenait donc nécessaire afin de mettre un terme à la crise du nucléaire iranien qui devenait un élément trop déstabilisateur pour une région en besoin d’échanges commerciaux et de restructuration.
L’agenda de Trump s’avère compliqué. Avant d’engager pleinement la diplomatie avec l’Iran, Obama avait réussi lors de son premier mandat à monter une coalition internationale comprenant l’Union Européenne, la Russie et la Chine afin d’isoler l’Iran et contraindre Téhéran — selon cette logique — à venir négocier. Maintenant que l’Iran et les 5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne) sont parvenus à un accord historique sur la question du nucléaire, il sera presque impossible pour Trump et les Républicains au Congrès de réunir une nouvelle coalition pour faire machine arrière et isoler l’Iran.
Par conséquent, afin d’isoler l’Iran, Trump a décidé d’intégrer le récit saoudien et de faire du royaume le pilier de l’architecture régionale de Washington dans la région, architecture qui se centrera sur l’isolement de l’Iran en actionnant le levier du soutien de l’Iran au terrorisme, et ce alors que Daech et l’Iran sont ennemis. Ceci est un mauvais présage pour Rouhani et la société civile iranienne qui veulent œuvrer pour alléger « l’atmosphère sécuritaire » caractérisée par la forte présence des Gardiens de la révolution dans l’économie et la gestion du pays.
A noter également que les 110 milliards de dollars de contrats d’armement signés avec Ryad engagent de facto l’Iran à développer davantage son programme de missiles balistiques car les Iraniens gardent en mémoire que la communauté internationale avait échoué à condamner l’Irak de Saddam Hussein lorsque ce dernier l’avait envahi. Vu de Téhéran, l’Iran a besoin de se procurer un armement en cas de nouvelle attaque, conscient que la communauté internationale pourrait à nouveau échouer à protéger le pays face à une agression similaire qui avait fait un million de victimes dans les années 80.
De plus, le message du ministre saoudien de la Défense qui est « d’œuvrer pour que la bataille ait lieu en Iran plutôt qu’en Arabie Saoudite » ne laisse pas l’appareil de sécurité iranien indifférent malgré l’offre de paix du ministre des Affaires étrangères iranien Javad Zarif adressée à son rival. Le retour à la logique de confrontation est donc bien présente et l’Arabie Saoudite compte bien ne pas abandonner ses actions militaires au Yémen.
Nous nous retrouvons désormais avec une nouvelle configuration géopolitique qui voit le rapprochement entre Washington et Ryad, mais également un rapprochement entre les conservateurs saoudiens et Israéliens. Le danger pour les Européens, les Russes, les Chinois et les Iraniens est de voir l’accord sur le nucléaire se fragiliser. Cet accord a marqué le retour de l’Iran sur la scène régionale et l’Arabie Saoudite et Israël s’y opposer. Ces derniers estiment que la levée des sanctions se fait à leurs dépens et ils se sentent impuissants face au renversement de l’équilibre des puissances régionales. Face à la volonté de Trump d’isoler l’Iran, on comprend alors que l’Arabie Saoudite et Israël lui offrent un accueil bien plus chaleureux que celui qu’avait reçu Obama.
Milad JOKAR
Chercheur spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient à l’Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), enseignant en géopolitique du Moyen-Orient à l’école de Management de Normandie (EM Normandie)
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