Conférence de presse d’Anne Hidalgo proposant une loi de solidarité des territoires pour faire face à la pression migratoire, réunion de Frontex (Agence européenne des frontières extérieures) à Varsovie hier, l’actualité de la gestion de la crise migratoire s’alourdit chaque jour davantage, à mesure que les sommets et les débarquements s’enchaînent d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. Malgré l’unité affichée par les 28, une prochaine friction entre les pays de destination des flux migratoires (Allemagne, Royaume-Uni, France) et les pays de transit (Italie, Grèce, Autriche et Hongrie) risque d’aggraver politiquement un contexte déjà très précaire.
Parmi ces derniers, l’Italie est presque littéralement le pont qui relie les deux rivages de ce “grand lac” des civilisations appelé Méditerranée. On ne peut lui contester sa position géopolitique et culturelle prééminente en tant que médiateur naturel entre deux mondes. En proie aussi à des tensions parfois exacerbées.
L’Italie tire depuis le début de “la crise migratoire” la sonnette d’alarme sur un rythme d’arrivées difficile à gérer, au vu surtout de l’étendue de ses frontières maritimes. Sur quelque 100.000 migrants et réfugiés qui ont traversé la Méditerranée en 2017, plus de 85.000 ont rejoint l’Italie.
Jeudi et vendredi dernier dans la capitale d’Estonie, Tallinn, s’est donc tenu un sommet informel des ministres de l’intérieur de l’UE à l’agenda particulièrement chargée.
La politique migratoire de la Commission européenne a été résumée par les mots de son responsable aux affaires intérieures, Dimítris Avramópoulos : « se montrer solidaires avec ceux qui fuient la guerre et la persécution, tout en redoublant les efforts pour renvoyer [dans les pays d’origine] ceux qui n’ont pas le droit de rester en Europe ». Ce qui résonne en quelque sorte avec l’avertissement lancé le 3 juillet par Emmanuel Macron devant le Congrès réuni à Versailles à ne pas confondre les premiers avec les « migrants économiques ».
M. Avramópoulos a souligné un « progrès considérable » dans la gestion de l’afflux. La route orientale, qui reliait l’enfer syrien aux portes de l’Europe, via la Turquie et la Grèce, a connu une baisse de 97% des entrées. Ce qui est un effet direct de l’accord Turquie-UE de mars 2016, qui prévoit que les migrants arrivant en Grèce soient refoulés en Turquie s’ils n’ont pas droit à l’asile ou si leur demande est refusée.
Soutenir l’Italie
Le même Commissaire a reconnu dans la foulée que, a contrario, les débarquements à travers la route centrale (de l’Afrique du Nord, notamment la Libye, vers l’Italie) sont en train d’augmenter.
C’est l’Italie, par conséquence, qui se retrouve aujourd’hui avec une lourde charge sur ses épaules.
Rappelons que le problème principal réside aujourd’hui dans le “Règlement de Dublin”, qui détermine l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile. Les réfugiés arrivant quasi-exclusivement par voie maritime, c’est aujourd’hui sur les épaules de l’État qui procède au sauvetage en mer que retombe cet énorme fardeau.
A cela s’ajoute le fait que les opérations militaires européennes qui patrouillent la Méditerranée – “Triton” et “Sophia”, lancées en 2014 et 2015 respectivement – ont été placées sous la responsabilité exclusive de l’Italie, qui l’a acceptée: soit par naïveté, soit par défaut, soit par intérêt.
Lors d’une réunion hier, 11 juillet, à Varsovie, Frontex (l’Agence européenne des frontières extérieures) a reconnu la «pression extraordinaire» à laquelle l’Italie fait face, en décidant de former un «groupe de travail» pour étudier les modifications nécessaires au plan opérationnel de l’opération Triton. Dans «une phase successive», les États membres seront consultés.
Devant ses collègues européens, le ministre italien de l’Intérieur, Marco Minniti, a défendu les intérêts de son pays. Des sources ministérielles parlent d’une tentative de “régionalisation” des débarquements, ou en tout cas de modifier l’actuel mandat de l’opération Triton, pour permettre que d’autres ports européens prennent en charge les réfugiés et migrants secourus en mer. Mais à cause de l’opposition de la France et de l’Espagne, ces deux options seront très difficiles à réaliser.
Au lendemain du sommet de Tallinn, le même ministre avait souligné que « il faut distinguer entre le sauvetage en mer d’une personne et son accueil sur terre ». L’Italie est tellement à bout de forces que son Premier Ministre, Paolo Gentiloni, a, depuis le G20 de Hambourg du week-end dernier, ajouté, non sans polémique, que « tout le monde exprime sa solidarité mais après on peine à trouver des solutions », en allant jusqu’à dénoncer « l’hypocrisie » de certains membres du G20.
Bien que, lors de son déplacement à Rome le 6 juillet, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ait clairement donné son soutien à l’Italie, notamment pour une sortie de crise en Libye, « pays-clé pour le dossier migratoire », on peut ne plus se cacher le fait que la France pourrait faire beaucoup plus, en termes de capacité d’accueil et de gestion.
N’est-il pas vrai aussi, comme l’a répété ces jours-ci dans la presse l’ancienne ministre des Affaires étrangères d’Italie, Emma Bonino, que « des phénomènes historiques comme celui-ci ne peuvent être affrontés que quand les États européens joignent leur forces » ? Le temps ne serait-il pas venu aussi de revoir à la hausse l’engagement pris – il y a bientôt deux ans ! – par la France d’accueillir… 24.000 réfugiés ?
Devra-t-on attendre le Capitaine Hidalgo ou le Général Macron pour sauver de la noyade une solidarité européenne en pleine apnée ?
Michel Taube avec Gabriel Di Battista
Lire également l’édito 1 de Michel Taube sur la crise migratoire : https://www.opinion-internationale.com/2017/07/10/les-migrants-les-oublies-de-la-france-et-de-leurope-ledito-de-michel-taube-1-anne-hidalgo-versus-emmanuel-macron_51258.html