« Quoi, ma gueule?
Qu’est-ce qu’elle a ma gueule?
Si tu veux te la payer
Viens je rends la monnaie
T’as rien dit tu l’as déjà dit
On ne va pas y passer la nuit
Ma gueule et moi on est de sortie
On cherchait plutôt des amis »
« Ma gueule », Johnny Hallyday
L’information avait fuité, amoindrissant l’effet d’annonce. Mais qu’importe compte tenu de la puissance de la marque Apple, synonyme d’innovation. Lors de son dernier show, Apple présentait la nouvelle fonctionnalité « Face ID » qui équipera le prochain iPhone X en vente dans quelques semaines. Plutôt que déverrouiller son téléphone à l’aide de son doigt, il suffira désormais de présenter son visage pour que son smartphone s’ouvre.
L’iPhone X deviendra ainsi le premier smartphone équipé d’un système de reconnaissance du visage en trois dimensions. Face à la personne ou posé sur une table, l’appareil se déverrouillera sans qu’il soit besoin de taper un code secret ou d’utiliser une empreinte digitale. Pour résumer, le visage deviendra mot de passe.
#FaceID
Good: Design looks surprisingly robust, already has a panic disable.
Bad: Normalizes facial scanning, a tech certain to be abused.— Edward Snowden (@Snowden) September 12, 2017
Si cette innovation rendue possible par les technologies de reconnaissance faciale pousse toujours plus loin l’interfaçage « Homme-Machine », on ne peut s’empêcher d’imaginer les risques engendrés par cette nouvelle fonctionnalité. Certes, et Apple l’assure, il s’agit d’une reconnaissance du visage en 3D, rendant très difficile le piratage d’un tel système à la différence des technologies de reconnaissance faciale en 2D, cependant, ce système peut se révéler vulnérable, voire être la porte ouverte à tous les abus. Sans vouloir jouer les Cassandre, on peut déjà penser qu’en cas de vol, il suffira au voleur d’orienter l’appareil vers votre visage pendant quelques secondes. En Chine, des sites vendent déjà des « masques de nuit » pour éviter de débloquer l’iPhone X pendant son sommeil : du meilleur effet pour sa vie de couple… Autre cas, il deviendra facile de « faire parler » un tel appareil. Il suffira pour celui qui entend percer les secrets contenus dans l’iPhone de le positionner en face de son propriétaire et ainsi de pouvoir découvrir ce qui s’y cache à l’intérieur. Adieu la traditionnelle lampe posée en face des suspects que l’on retrouve dans tous les films policiers dignes de ce nom.
Winston Smith face à son télécran
Mais les vrais dangers ne sont pas forcément de cette nature. Comme souvent, obnubilés par les miracles de la technologie, nous nous créons nous-mêmes les parois en verre qui nous enferment. L’un des premiers à avoir prophétisé l’avènement d’une société des écrans et de la reconnaissance faciale est le romancier britannique George Orwell (qui compte aujourd’hui encore des millions de lecteurs). Dans son prophétique 1984, écrit en 1948 il y décrit l’omniprésence des écrans – il les appelle les télécrans – qui ne cessent d’observer les individus : ces «plaques de métal oblongues, miroirs ternes encastrés dans les murs» et destinés autant à surveiller les personnes que de diffuser des messages de propagande. Avec la reconnaissance faciale rendue possible par les avancées technologiques, l’outil de la surveillance n’est plus le « télécran » mais le smartphone, extension de notre corps et qui nous obéit à la fois au doigt et, depuis peu, à l’œil. Avec cette auto-reconnaissance faciale, l’individu « fait bonne figure ». Façon mythe de Narcisse, c’est notre propre reflet qui nous ouvre la voie vers ce monde numérique. Sous les contours flatteurs d’une fonctionnalité nouvelle, notre servitude volontaire prend à présent la forme d’un reflet qui nous sert de sésame à l’outil qui nous relie à ce monde numérique. Bienvenue dans la vraie vie de Winston Smith, le personnage principal de 1984.
La reconnaissance faciale n’en est qu’à ses débuts
Grâce aux machines, le visage peut se lire à livre ouvert. Le nombre presque infini de nos expressions faciales traduisant nos émotions (joie, colère, inquiétude et autres marqueurs de confiance, de tromperie…) constitue un fantastique terrain de jeu pour les machines programmées pour décrypter ces caractéristiques humaines et s’en servir pour tout un nombre de nouvelles fonctionnalités. Citons la reconnaissance faciale utilisée dans certains commerces pour repérer les clients connus pour avoir commis des vols à l’étalage ou encore, en Chine, la possibilité de régler des achats par un sourire.
A l’opposé de cette vision idyllique, cette technologie de la reconnaissance faciale peut aussi servir des desseins nettement moins avouables, potentiellement à l’origine d’atteintes à la vie privée du citoyen voire discriminatoire comme en témoigne cette démonstration faite par des chercheurs de Stanford : quand on présente à un algorithme des photos d’un homosexuel et d’un hétérosexuel, l’algorithme identifie leurs préférences sexuelles avec 81 % d’exactitude. Pour les humains, le taux est de 61 %. Dans les pays où l’homosexualité est un crime, un logiciel qui promet de « dépister » l’orientation sexuelle sur un visage sera, c’est le moins qu’on puisse dire, le pire des meilleurs des mondes.
Philippe Boyer
Philippe Boyer est un blogueur reconnu en matière de numérique et d’innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitale : La Tribune, Les Echos, Forbes France, Siècle Digitale, Opinion Internationale…
Il est actuellement Directeur de l’innovation d’un des plus importants groupes immobiliers européens.
Conférencier et écrivain, Philippe Boyer est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les thématiques du numérique : « Ville connectée – vies transformées – Notre prochaine utopie ? » (2015) et « Nos réalités augmentées. Ces 0 et ces 1 qui envahissent nos vies » (2017).
Diplômé de Sciences-Po Aix et de l’EM Lyon (MBA), Philippe Boyer a exercé diverses fonctions communication, marketing et développement dans des groupes liés à l’immobilier et aux services urbains.