Article mis à jour le vendredi 6 octobre 2017 à 13h
La volonté des peuples, lorsqu’elle se met en mouvement, commande la marche irrésistible de l’histoire et l’histoire est en marche en Catalogne. Dans l’absolu, parce que l’Europe est affaiblie de toutes parts, nous aurions préféré que la stabilité règne chez nos voisins et amis ibériques, qu’ils trouvent avec leurs conjoints – et probables futurs divorcés – catalans une architecture institutionnelle (cela sert à cela le droit politique) qui maintienne le fil du dialogue. Mais Madrid, orgueilleuse, sûre d’elle et faussement aveugle aux réalités culturelles fortes qui composent la nation espagnole, en a voulu autrement. Et l’ignorer est pire que tout.
Le premier ministre espagnol Rajoy depuis des années et le Roi d’Espagne avant hier soir ont manifestement choisi le bras de fer et la volonté de mettre au pas les indépendantistes catalans. Au lieu de contester verbalement la légitimité du référendum du 1er octobre qui n’a, somme toute, réuni que 42,3% de taux de participation (insister sur la faiblesse des suffrages exprimés aurait suffi à dégonfler la passion indépendantiste catalane), le premier ministre a utilisé violence (900 blessés dans une démocratie, c’est 900 de trop !) et le déni total de la consultation.
Les nombreux refus de toute médiation proposée par Barcelone tout au long de la semaine légitiment un peu plus la détermination de la coalition indépendantiste au pouvoir en Catalogne. A son tour, en déniant, en reniant à nouveau toute réalité catalane dans son discours, c’est comme si le Roi d’Espagne avait de lui-même exclu les Catalans de son Royaume. En tout cas, telle est la perception dominante à Barcelone.
Ce n’est pas la violence du pouvoir de Madrid qui empêchera l’inéluctable.
L’épée de Damoclès économique fera-t-elle plier les indépendantistes ? Le réveil tardif des grandes entreprises espagnoles basées à Barcelone changera-t-il la donne ? La cinquième banque espagnole, Banco Sabadell, a voté hier, jeudi 5 octobre, le déplacement de son siège social de Barcelone à Alicante et la première banque du pays, CaixaBank, pourrait faire de même cet après-midi).
Autre rebondissement qui pourrait changer le cour des choses : que la majorité silencieuse des Catalans, dont nul ne sait au fond si elle est pro-ibérique ou pro-catalane, descende dans la rue massivement, non à l’appel des indépendantistes mais à l’appel de Catalans pro-Espagnols. Un appel à manifester ce dimanche 8 octobre a été lancé et devrait être l’ultime espoir de retenir la tentation de l’exécutif catalan de proclamer l’indépendance. Le pouvoir appartient à ceux qui s’expriment…
Une autre issue serait que le président Carles Puigdemont, qui va fort probablement, d’un jour à l’autre, annoncer avec le président du Parlement l’indépendance de la Catalogne, convoque justement des élections anticipées au Parlement de Catalogne. Elles se transformeraient en référendum pour ou contre l’indépendance. En 2015, la coalition au pouvoir avait récolté 47,8 % des suffrages exprimés. Il est à parier qu’avec les violences provoquées par Madrid le camp des indépendantistes aura fortement grossi.
Ultime issue, simple, adulte entre démocrates : que Madrid accepte de s’asseoir à la table des discussions.
Reste un dernier point : l’Union européenne est restée silencieuse ces dernières semaines, considérant que cette affaire était du ressort de Madrid. La Commission de Bruxelles a fini, hier, par appeler les parties à de la retenue et à discuter. Je croyais que l’Union européenne n’était pas un corps politique extérieur aux nations qui la composent et que sa dimension partiellement supranationale et l’intégration du droit européen dans nos droits nationaux lui conféraient une obligation de se mêler des affaires intérieures de ses membres lorsque les fondamentaux sont en jeu. C’est bien ce que l’Union a fait avec la Pologne ces dernières semaines. Bref, la séparation de la Catalogne et de l’Espagne serait aussi l’échec de l’Union européenne. Mais la survie de l’Union européenne qui nous est si chère, et dont il n’aura échappé à personne qu’elle est menacée, exigera que si la Catalogne prend sa liberté, nous devions l’accueillir en notre sein au plus vite.
Michel Taube