Première partie : comment le traité de Westphalie (25 octobre 1648) pourrait aider à rebâtir la Syrie.
Pendant trois jours, du 10 au 12 septembre derniers, se sont réunis plusieurs dizaines de milliers de personnes à Münster et à Osnabrück, en Allemagne, à l’initiative de la Communauté de Sant’Egidio. Il y a beaucoup été question d’histoire. Et d’actualité brûlante.
La Chancelière allemande, Angela Merkel, le Président nigérien, Mahamadou Issoufou, le Président du Parlement européen, Antonio Tajani ou encore le Grand Imam Mohamed Ahmed Al-Tayeb de l’Université Al Azhar du Caire, plus haute instance et figure de l’islam sunnite, avaient fait le déplacement en Rhénanie-du-Nord/Westphalie.
Le lieu ainsi que la période étaient particulièrement bien choisis.
C’est, en effet, à Osnabrück que fut signé le 25 octobre 1648, le Traité de Westphalie, qui mit fin à une guerre entre les grandes dynasties européennes, sur fond de hiatus religieux, qui avait saigné l’Allemagne pendant 30 ans, occasionnant 7 à 8 millions de victimes, soit 30 à 40% de la population allemande : plus que pendant la seconde guerre mondiale !
Le Traité de Westphalie inaugura un nouvel ordre international, du reste, dans lequel les Etats traitèrent d’égal à égal, en s’assurant que les traités internationaux qui allaient suivre garantiraient non seulement la cessation des hostilités mais permettraient aussi la réconciliation entre belligérants. Dans un monde dans lequel les conflits actuels se caractérisent désormais par la « relativité » de la victoire, le caractère volatile de la notion d’ennemi et la notion d’une guerre « diffuse » – autant « géolocaliséee » que « virtualisée » – l’ordre international né du Traité de Westphalie peut sembler caduc. Et pourtant…
Comparaison n’est pas raison, a-t-on coutume de dire. Néanmoins, l’on ne peut qu’être saisi par la similitude potentielle entre le Traité de Westphalie ayant mené à la fin du conflit opposant catholiques et protestants pendant 30 ans au 17ème siècle et les velléités de résolution du conflit, de réconciliation et de reconstruction en Syrie aujourd’hui. L’éditorialiste, Luc de Barochez rappelait, dans Le Point [lien url si possible], en décembre dernier, avec justesse, que la paix de Westphalie était fondée sur « l’impératif de ramener l’ordre, pas sur une injonction morale ».
L’esprit de Westphalie en Syrie ?
N’est-ce pas ce dont il s’agit aussi en Syrie ?
Autrement dit, comprendre comment – comme en 1618, lorsque les princes de Bohème, gagnés par les idées réformistes de Martin Luther se soulevèrent contre l’autoritarisme de l’Empereur Ferdinand de Habsbourg amenant à une escalade et une régionalisation du conflit – les revendications identitaires des révoltés de Deraa et de Homs du début de l’année 2011 ont pu se muer en une inextricable guerre civile aux motivations doctrinaires, le plus souvent véhiculées par des acteurs extérieurs, menant ainsi une guerre par procuration, aux ressorts davantage géopolitiques que religieux.
Le massacre de Magdebourg en 1631 vaut bien en inhumanité, du reste, le martyr des habitants d’Alep, jusqu’à la libération de la ville en décembre 2016, comme le rappelait Luc de Barochez.
Dès lors, comme le rappelait en septembre la réunion pour la paix, organisée par la Communauté de Sant’Egidio, il conviendrait de revenir à « l’esprit de Westphalie », en reprenant l’idée, pour la Syrie, de l’égalité des droits à accorder à chaque minorité religieuse, en veillant bien sûr à ce que chaque partie ne se considère lésée ni instrumentalisée.
D’autres points de convergences sont également importants à relever. Parmi ceux-ci, le choix de la date « normative », celle qui permet de construire la paix. Il y a 369 ans, c’est l’année 1624 qui fut choisie, car cette année-là, le front ne révélait pas réellement de vainqueurs.
Ne serait-ce pas alors l’année 2013 qui devrait – dans le cas syrien – être retenue pour le nouveau round de négociations qui vont se relayer entre belligérants tant à Astana qu’à Genève ? C’est en effet cette année-là que le conflit a basculé de revendications à caractère national à l’exportation d’un fondamentalisme religieux, qui permit à Daesh de conquérir 25% du territoire syrien, et de proclamer son « Califat » sise sur la Syrie et l’Irak, en juillet 2014 ?
Cette réunion de Münster/Osnabrück se tenait, du reste, aussi dans une chronologie particulière.
C’est, en effet, le 21 octobre 1518, que le théologien Martin Luther, publiait ses 95 thèses, donnant naissance à une « Réforme » qui allait bouleverser la relation entre « croire » et « savoir » au sein du christianisme. Occasion donc aussi de de célébrer le 500ème anniversaire de cette profonde révolution des esprits obligeant, à l’époque, hommes de foi et de science et responsables politiques à ouvrir aussi ce dialogue. Le thème de la rencontre de Sant-Egidio cette année était d’ailleurs proche de cette exigence et de cette espérance, puisqu’il s’agissait de réfléchir aux « Chemins de paix : religions et cultures en dialogue ».
C’est aussi ce qu’a évoqué le Président Macron en prononçant un grand discours à l’Hôtel de Ville de Paris le 22 septembre dernier pour commémorer les 500 ans de la Réforme.
Les chemins de la paix sont donc, et ont toujours été, complexes mais un esprit religieux bien compris peut y contribuer.
Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)
Demain : La paix selon Sant Egidio. 2. Trouver les bons chemins de la paix pour sortir des conflits.