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10H07 - jeudi 2 novembre 2017

L’éducation à la paix, encore et toujours, envers et contre-tous, passe par le Caucase…

 

Processus de Bakou, route de la soie dans le Caucase, nouvelle direction de l’Unesco. Analyse d’Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), et Paul Azibert, Chercheur associé IPSE.

Les 193 états composant les Nations Unies se sont réunies à New York durant la semaine du 25 au 29 septembre dernier. Cette 72ème édition de l’Assemblée générale de l’ONU aura été une nouvelle fois l’occasion de rappeler combien il importe de cultiver une culture du dialogue et approfondir cette éducation à la paix.

Notre monde est aujourd’hui sujet à un accroissement des dangers et des peurs. Nous assistons à l’émergence de conflits militaires internationaux et infra-nationaux ainsi qu’à la propagation du terrorisme et des extrémismes violents. Des milliers de personnes innocentes sont chaque jour victimes de ces maux et de leurs conséquences dramatiques.

D’aucun pourra considérer que la réalité à laquelle nous sommes confrontés n’est pas nouvelle et que les populations ne sont par essence pas protégées de ce genre de phénomènes. Toutefois la fin de la seconde guerre mondiale et la création de l’Organisation des Nations Unies permirent la poussée de l’espoir d’un monde meilleur et d’un futur prospère. De plus en plus de personnes se rappelèrent des grandes figures politiques, de leurs idées majeures comme la Ligue des Nations et voulurent suivre leurs traces.

La fin de la Guerre Froide et le rapprochement de l’Est et de l’Ouest furent également des moteurs d’espoir et dans cette vague de changements émergèrent à nouveau les notions de dialogue interculturel, de culture de la paix et de coexistence pacifique.

Le contexte actuel de violences, que ce soit dans la péninsule coréenne, au Moyen-Orient, en Afrique de l’Ouest et dans la bande sahélo-saharienne, nous laisse penser que nous sommes revenus au contexte de désordre global de l’avant-guerre. Nous sommes actuellement confrontés au défi de la sortie du nucléaire et du traitement de ses déchets, au défi posé par les dérèglements climatiques, à la réémergence de mouvements migratoires massifs, à des menaces sur la sûreté alimentaire et à des conflits militaires et civils permanents. Est-ce là une réalité bien pessimiste et n’existe-t-il réellement aucun acteur de la scène internationale encore capable de croire et de faire émerger le dialogue et la paix à l’échelle globale ?

La tenue de la 202ème session du Conseil Exécutif de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) qui a choisi sa nouvelle Directrice générale, en la personne d’Audrey Azoulay, après deux mandats de la Bulgare Irina Bokova, vient nous rappeler que l’agence de l’ONU en charge de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes » est bel et bien l’UNESCO.

C’est, en effet, sur la base de son mandat, que cette dernière agit sur de nombreux terrains dans le but de remplir sa mission essentielle à la stabilité mondiale. Inutile de rappeler que les problèmes budgétaires majeurs que rencontre l’agence grèvent encore malheureusement son action et constituent un défi supplémentaire à la réalisation de ses objectifs et devoirs.

Le processus de Bakou

Pour s’en rendre compte, la tenue de la 4ème édition du Forum Mondial sur le Dialogue Interculturel cette année, organisé tous les deux ans dans la capitale de l’Azerbaïdjan, Bakou, par la République d’Azerbaïdjan en partenariat avec l’UNESCO ainsi que d’autres agences de l’ONU et organisations internationales, est un bon exemple des processus spécifiques à l’Unesco et aux pays hôtes de telles initiatives.  C’est ainsi le cas avec ce qu’il est convenu d’appeler le « processus de Bakou », lancé par le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev en 2008.

Avant de rentrer dans les détails de ce procédé, ainsi que des projets internationaux et activités organisées par le pays pour le Dialogue, il convient de s’intéresser à l’histoire récente de l’Azerbaïdjan et à ses réalités sociaux-économiques.

Depuis les débuts de la restauration de l’indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991, le pays a fait face à de nombreuses crises politiques et économiques. Environ 20% des territoires internationalement reconnus de cet Etat ont été occupés par l’Arménie, pays voisin (de nombreux documents juridiques internationaux se réfèrent à cet état de fait, notamment quatre résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU). Ce conflit armé a eu pour cause le déplacement d’environ un million de réfugiés et de personnes déplacées en Azerbaïdjan.

D’année en année, depuis 25 ans, le pays s’est ainsi attelé à résoudre ses problèmes internes, notamment eu égard à une expansion rapide grâce à la richesse de ses ressources. Le revenu engendré par l’exploitation et l’exportation du pétrole, dont il est producteur, a été utilisé en priorité à la résolution du problème des personnes déplacées et des réfugiés.

Les 2 et 3 décembre 2008, à l’occasion de la Conférence des Ministres de la Culture des pays membres du Conseil de l’Europe ainsi que les ministres de la culture de nombreux pays musulmans, qui se tient à Bakou, le Président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Alivev, initie le « Baku process » et ce afin de mettre en place une plate-forme mondiale en faveur de la promotion du dialogue interculturel et inter-religieux.

S’en est suivie l’organisation de quatre Forums internationaux sur le dialogue interculturel et inter-religieux organisés en Azerbaïdjan dans le but de donner à cette question une place prépondérante dans les agendas politiques internationaux.

Dans le laps de temps séparant ces Forums les uns des autres, de nombreuses initiatives ont ainsi été lancées impliquant la jeunesse, la société civile, des ONG, des représentants de différents médias internationaux, des chercheurs ainsi que des personnalités politiques.

La route de la soie passe par le cœur du monde…

Pourquoi un pays qui fait face à un conflit militaire avec son voisin et qui subit une occupation militaire, utilise non seulement ses ressources au développement économique et social de son programme interne, mais investit également massivement dans la diffusion des idéaux de dialogue et de paix à l’échelle internationale ?

La réponse réside sans doute dans la nouvelle configuration géopolitique qui dans le nouveau « Grand jeu », fait du Caucase, un des débouchés des « nouvelles routes de la Soie ».  

C’est, en effet, à l’Institut Royal britannique de géographie en 1904, que l’Amiral Halford John Mackinder, un des pères de la géopolitique moderne, définira la région comme étant le « cœur du monde » (Heartland).

Dans un espace qui a longtemps connu le « Grand jeu », selon l’expression demeurée célèbre de Rudyard Kipling, un nouvel affrontement géopolitique se déroule depuis 2001, mettant aux prises les intérêts à la fois économiques, culturels et stratégiques des Etats capables de structurer autour d’eux un espace régional, en l’espèce la Russie et la Chine, auquel s’ajoute une Europe, mue, ponctuellement depuis le début des années 2000 par une « Ostpolitik », principalement portée par l’Allemagne.

Ainsi, la réémergence d’une vieille organisation, telle que l’Organisation de Sécurité Collective en Europe (OSCE) tendrait à confirmer cette mise en exergue de la perspective de la création d’un espace économique, diplomatique et stratégique eurasiatique, et ce, alors que la Chine a lancé, depuis novembre 2013, son projet de nouvelle Route de la Soie – terrestre et maritime (« One Belt, One Road » reliant la Chine 66 pays asiatiques, africains et européens) et que la Russie, avec la création de l’Union économique eurasienne (Traité d’Astana, du 29 mai 2014) vise aussi à être un acteur majeur.

L’Azerbaïdjan se confirme ainsi comme le carrefour géographique d’évidence entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud de cet espace stratégique en devenir.

Il existe en effet encore quelques pays qui croient au dialogue et qui soutiennent ce dernier au travers d’investissements massifs, de politiques publiques et de projets ambitieux, d’une coopération active. Il semble ainsi évident que les efforts déployés par ces artisans de paix, dans ce cas précis l’Azerbaïdjan, doivent être soutenus ! Ils doivent, de quelque façon que ce soit, être encouragés à poursuivre la noble mission dans laquelle ils se sont engagés et être mis en avant afin de briser l’habituelle rengaine des déséquilibres internationaux et crises mondiales…

Ce n’est qu’en soutenant ces initiatives que nous pourrons finalement parvenir à un futur plus prospère pour les générations à venir.

Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

Paul Azibert, Chercheur associé IPSE

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