Dans un futur proche, un meurtre ne sera peut-être pas l’élimination physique de la personne, mais la destruction des données qui la constituent.
Est-ce un scénario de science ou de droit-fiction ou de la prospective juridico-sociétale à court ou moyen terme ? En 2017, les premiers ordinateurs quantiques ont déjà fait leur apparition, plusieurs millions, voire plusieurs centaines de millions de fois plus puissants que nos PC dernier cri. Parallèlement, des chercheurs travaillent sur un cerveau artificiel, partant du postulat que l’homme n’est qu’une machine, qu’il n’est que matière et que notre pensée, notre conscience, nos sentiments, notre mémoire… ne sont que le résultat de réactions électrochimiques se produisant dans les profondeurs du cerveau.
Cette thèse de l’Homme-matière, de l’Homme-machine, qui ne laisse guère de place à la métaphysique, à l’âme, à Dieu, conduit naturellement à penser que toutes ces réactions peuvent être reproduites, reconstituées, voire modélisées. Dans cette dernière hypothèse, celle de la modélisation, il s’agirait de créer un cerveau artificiel non pas en ayant recours à la biologie et à la chimie, mais en s’appuyant sur l’informatique. L’ordinateur ne deviendrait pas seulement intelligent, ce qu’il est déjà à certains égards, mais également conscient et finalement vivant, au sens pleinement humain du terme.
Dans le célèbre film de Stanley Kubrick « 2001 l’Odyssée de l’Espace » (sorti en 1968), l’ordinateur HAL 9000, embarqué dans un vaisseau spatial à destination de Jupiter, en prend le contrôle, et se comporte comme une entité intelligente, indépendante et consciente. La modélisation du contenu du cerveau, sa conversion en données informatiques quantiques (et non plus binaires) permettraient de sauvegarder ledit contenu, de le dupliquer, de le recharger à tout moment, mais aussi de le modifier, de l’enrichir, de l’appauvrir, de le corrompre…
Là aussi, quelques références littéraires ou cinématographiques viennent à l’esprit : Frankenstein, d’abord, puisque cette technologie permettrait de fabriquer un humain ou toute autre entité « vivante ». Matrix, ensuite, puisque l’on pourrait instantanément charger dans sa propre mémoire toute information ou tout faux souvenir que l’on n’a pas vécu, ou appartenant à un tiers. Les plus fortunés, qui pourront s’offrir les cerveaux à haute capacité de mémorisation (avant qu’ils ne deviennent accessibles à tous, comme une vulgaire clé USB) pourront y télécharger tout le savoir de l’humanité et vivre toutes les vies humaines, animales ou imaginaires. Je me branche, et je suis Mick Jagger sur scène, Zinédine Zidane en finale de la Coupe du monde, Napoléon, César, un homme, une femme, les deux, un oiseau, un dauphin, un extra-terrestre…
Bien entendu, l’immortalité serait la conséquence la plus spectaculaire de cette évolution, sous réserve que la technologie des organes artificiels progresse concomitamment. Mais là n’est sans doute pas le plus difficile. Nous ne sommes pas très loin de l’homme bionique. Nos caractéristiques physiques pourront être numérisées et il suffira de connecter son PC ou son smartphone à une imprimante 3D pour être reconstitué en quelques heures (c’est lent, mais ça va progresser !).
Que la voie de l’immortalité soit celle de la régénération cellulaire ou de la modélisation informatique, le meurtre du futur ne serait alors pas l’élimination physique d’une personne, mais l’effacement irréversible de ses données, empêchant toute reconstitution de son corps et de son « esprit ».
Alors, science-fiction ou prospective ? Les deux sans doute, mais la réalité semble bien rattraper la fiction. Cet Homme du futur, s’il naît des progrès et de la folie de l’Homme d’aujourd’hui, ne serait plus l’Homme. Il serait autre chose et peut-être, il ne sera plus. Terminator pourrait être la référence cinématographique effrayante qui conclurait cet article. Nous devrions être fixés dans quelques années, quelques décennies au plus. Bonne chance à l’humanité !
Raymond Taube
Directeur de l’Institut de Droit Pratique