Lors de la commémoration des attentats du 13 novembre, le fil Twitter officiel du Président de la République s’est animé de nombreuses photographies. Fait notable, pour la plupart d’entre elles, seules les mains d’Emmanuel Macron étaient photographiées, comme ci-dessous, accompagnées par la légende « Deux ans après. / Nous n’oublions rien. » :
Ce n’est pas la première fois que l’on voit les mains du chef de l’Etat ainsi mises en avant. Quels sont les enjeux symboliques de ces prises de vues ? En quoi ces dernières construisent-elle une théologie, c’est-à-dire une mise en scène divinisée du Président de la République ? Deux principaux niveaux de lecture coexistent, souvent de manière contradictoire.
Premier niveau de lecture : du sens littéral de la main comme instrument de réconfort à la réalisation illustrée d’un programme électoral
Le gros plan répétitif sur les mains accentue la disparition du visage comme élément identitaire : la personnalité incarnée d’Emmanuel Macron s’efface au profit du lien de rapprochement. De l’ethos – représentation de l’ego – au pathos – représentation de l’émotion, la communication présidentielle privilégie le choc des photos, au poids des mots. La métaphore émotionnelle du rapprochement humain, « d’égal à égal », prend le relais du logos et des mots, comme si devant le drame et la mémoire, les mots étaient insuffisants. Le «rien » écrit dans la légende venant ainsi marquer la vacuité de la parole. Le silence permet ainsi l’accord total et tacite. Descendu de son Olympe, Emmanuel Macron cultive le lien et la chaleur humaine, trouvant sa racine dans un imaginaire linguistique connu – « la main dans la main », « tendre la main » – qui portent le consentement et l’entente. Les valeurs de générosité et de sincérité – « avoir la main sur le cœur », « donner des deux mains », « mettre la main à la pâte » – connotant le don sans retenue ni mesure, soit de manière absolue et totale. Emmanuel Macron est donc humain, de caractère « entier », avant toute chose. Les mains à même hauteur du Président vers son vis-à-vis illustrent l’ « être ensemble » face à la barbarie, les images agissent comme la réalisation d’un programme électoral et rappelle aussi le « Ensemble, la France », présent sur les tracts de la campagne présidentielle.
Loin d’être anecdotique, ces prises de vues centrées sur les mains rappellent que le Chef de l’Etat est avant tout un homme d’action. De l’homme de terrain – « homme de main » – au pater familia, il n’y a qu’un pas, ou plutôt un geste. La frontière des individualités est effacée par le truchement des têtes coupées, créant ainsi une mythologie d’égalité et d’horizontalité : celui qui donne est interchangeable avec celui qui reçoit. Cependant, il reste que dans le détail, la hauteur des mains, leur position et leur orientation, ces signaux rappellent la structure hiérarchique et les enjeux de pouvoir de l’échange.
Deuxième niveau de lecture : une nouvelle pierre dans la théologie macronienne, entre archétypes bibliques et renouveaux numériques
L’un des mots les plus présents dans le débat politique actuel est, notamment, le terme de « laïcité ». La tempête médiatique qui agite Charlie Hebdo et Médiapart est d’ailleurs le symptôme d’une difficulté à définir ce terme, et donc à le faire exister dans l’espace public.
Lors de la dernière campagne présidentielle, la convocation réitérée des symboles religieux, de manière implicite, entre les lignes, en filigrane, au sein des affiches électorales (mais pas que) a été incessante. Mythologie de la laïcité donc, dont les symboles religieux sont les indices d’une construction surtout idéologique, et peu vécue.
En ce qui concerne Emmanuel Macron, pas d’exception : les symboles christiques sont pléthores. Leur assemblement et leur cohérence créent ainsi une théologie modernisée et politique.
Sur le fond, Regis Debray a finement décrit dans son dernier ouvrage – Les Nouveaux Pouvoirs – comment le pouvoir exercé par Emmanuel Macron trouve ses racines dans le néo-protestantisme. Sur la forme, les mains levées au ciel, les jeunes femmes vêtues de blanc qui l’entourent, les paumes ouvertes vers le ciel rappellent une iconographie religieuse, ancrée dans l’inconscient collectif.
D’un point de vue sémiologique, ces derniers mois ont vu l’écriture d’un récit fondé autour de l’ « Elu », bénéficiaire d’un certain alignement des planètes (Penelope Gate et ratage de Marine Le Pen, notamment), porté par un visage angélique, lisse et sans trait, dont la sexualité a posé question (son lien à Brigitte Macron, son absence de paternité, notamment). Bien sûr les mains ajoutent à cette dimension théologique (voir à cet égard le billet de Frédéric Says sur le président Thaumaturge).
Emmanuel Macron tente ainsi la réunion de deux mondes opposés : l’Ancien Monde façonnés d’archétypes religieux et le Nouveau Monde numérique.
Certes, l’animation d’un fil présidentiel Twitter est une première, et en cela novatrice, mais les « clichés » utilisés, au sens propre et figuré, ne sont finalement qu’une relecture et une réactualisation de symboles religieux figés. Arrivera-t-il à construire cette troisième voie dont il nous parle tant, et qui dépassera ce clivage de l’Ancien et du Moderne ?
Elodie Mielczareck
Sémiologue, analyste du langage verbal et non verbal (www.analysedulangage.com), Elodie Mielczareck est l’auteure de « Déjouez les manipulateurs – l’art du mensonge au quotidien » (Ed. nouveau Monde, 2016).
Relisez son analyse du duel Edouard Philippe – Jean-Luc Mélenchon sur France 2 en octobre dernier et l’interview d’Elodie Mielczareck sur Marine Le Pen pendant la campagne présdidentielle parus à la une d’Opinion Internationale.