Monsieur Sidiki Kaba,
Monsieur le Président de l’Assemblée des Etats parties,
Monsieur le ministre des affaires étrangères du Sénégal,
L’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale se réunit à New York du 4 au 14 décembre.
Ce rendez-vous est certainement l’ultime occasion de redonner à la Cour Pénale Internationale la légitimité, la crédibilité, la force qu’elle a perdues ces dernières années et plus encore depuis la révélation par le consortium des journalistes réunis dans l’European Investigative Collaborations* de l’enquête « Les secrets de la Cour »** et des faits de corruption qui entachent l’institution depuis sa création en 2002.
Vous le savez, Monsieur le Président, la CPI est en danger de mort ou de marginalisation définitive, ce qui reviendrait au même au regard des espoirs que sa création avait suscités. Pour résumer la situation, la partie émergée de l’iceberg dévoilée par nos confrères concerne les agissements présumés de corruption de M. Luis Moreno-Ocampo, premier procureur de la CPI de 2003 à 2012.
Mais c’est bien tout un iceberg qui nous apparaît ! Dans le respect de la présomption d’innocence qui est dû à M. Luis Moreno-Ocampo, c’est apparemment tout un système gangrené de corruption financière qui est en train d’entacher la légitimité morale et politique de l’institution dont cette personne aurait facilité la mise en place. Les nombreux cercles qui entourent la CPI, des ONG aux magistrats, des journalistes aux avocats, en passant par les anciens et actuels collaborateurs de la Cour, étaient, semble-t-il, au courant de bribes de manquements très graves à l’éthique.
Comme l’écrivent quatre éminents juristes dont trois ont servi à la CPI, dans la revue norvégienne TOAP*** : «une cour internationale ne sera jamais meilleure que l’intégrité de ses leaders ». Et il semblerait que celle-ci, malheureusement, soit tombée bien bas avec Monsieur Luis Moreno-Ocampo. Si la vertu est le principe de la République selon Montesquieu, celle-ci a manqué dès le départ de façon cruelle à l’institution de la CPI.
Le faisceau d’indices réunis par nos confrères médias est tel qu’il nous laisse cette impression fort désagréable que, malgré le départ de Monsieur Luis Moreno-Ocampo en 2012, la toile de corruption mise en place semble bien continuer à entacher la réputation de la CPI aujourd’hui.
Prendre des mesures à la mesure du mal qui ronge la CPI
Vous le savez, Monsieur le Président, et pour aller à l’essentiel, la CPI risque fort de ne pas se relever si les Etats parties, fondateurs et détenant le pouvoir ultime de l’institution, ne contribuent par des gestes et des actes forts et concrets à redorer la réputation de la CPI.
Monsieur le président, à la veille de passer le flambeau à M. Monsieur O-Gon Kwon (République de Corée), éminent juriste sud-coréen, qui sera formellement élu ces jours-ci, vous voici devant l’opportunité de rentrer dans l’histoire en prenant avec vos pairs des mesures à la hauteur du mal qui ronge cette belle institution de la CPI.
En ce sens, l’Association du Barreau près la Cour Pénale Internationale s’est fendue d’un communiqué le 29 novembre dernier**** appelant la Cour, les Etats parties et les autorités nationales à « prendre promptement et de manière indépendante et transparente, toutes les actions adéquates […] en réponse à ces allégations sérieuses, […] et notamment une enquête minutieuse, effective et indépendante ».
Cette enquête est urgentissime. Elle doit surtout prendre la mesure des faits incriminés et des risques qu’ils font encourir à l’institution.
C’est pourquoi nous appelons à la constitution d’une commission d’enquête du plus haut niveau, composée d’éminents juristes insoupçonnables, de consciences universelles, pourquoi pas d’anciens prix Nobel de la paix qui auraient un temps court pour instruire votre Assemblée et l’amener fort probablement à prendre des mesures audacieuses et courageuses. Peut-être pourriez vous inspirer, pour ne prendre qu’un exemple, de la commission Volcker sur le Programme « Pétrole contre nourriture » des années 2000 ?
Monsieur le Président, le temps des petits compromis est dépassé si l’on veut sauver la réputation de la CPI. Nous avons besoin de la CPI, mais d’une CPI forte et audacieuse pour aider les victimes des pires crimes que l’humanité puisse commettre à obtenir justice. La CPI est indispensable à tous les thuriféraires, dont nous sommes, du « plus jamais ça ».
Sinon, le rêve de doter la justice internationale d’une cour permanente, terminera en cauchemar. Le suicide du Croate Slobodan Praljak, en pleine audience finale du procès du TPIY, annonce-t-il le triste dénouement d’une tragédie écrite depuis des années, celle de la mort prématurée d’un embryon permanent de justice pénale internationale ?
Michel Taube
Fondateur d’Opinion Internationale et d’Ensemble contre la peine de mort
* Le Soir, Mediapart, EL Mundo, Der Spiegel, The Sunday Times, NRC Handelsblad (Pays-Bas), Nacional (Serbie) et The Black Sea (Roumanie), ANCIR (Afrique du Sud).
** https://www.mediapart.fr/journal/international/dossier/notre-dossier-les-secrets-de-la-cour
*** http://www.toaep.org/pbs-pdf/86-four-directors/
**** https://docs.wixstatic.com/ugd/ff5a5e_46558bfdf0e04b00a6adcddd3ef5384e.pdf