Une nouvelle bataille mondiale s’est engagée pour le contrôle de l’intelligence artificielle. Alors que l’Europe est à la traîne, la Chine détrônera-t-elle les Etats-Unis ?
Cet article de Philippe Boyer s’inscrit à la fois dans la nouvelle rubrique « Les routes de la Chine » et dans IMAGINE FRANCE, la rubrique de la France des innovations et des transitions, animée par Philippe Boyer, blogueur et écrivain, et Raymond Taube, directeur de l’Institut de Droit Pratique, en partenariat avec le club e-santé du Ceps (Centre d’Etude Prospective et Stratégique), StragIS, expert en gouvernance des transitions, et Futuria Production (Innovative Events).
Les légendes chinoises comportent d’étranges créatures. Tantôt des dragons, des oiseaux à neuf têtes, des oiseaux phénix ainsi que des licornes. Sauf que ces dernières créatures-là n’ont rien de phantasmagoriques. Elles sont bien réelles et font désormais partie du paysage technologique chinois.
Tout comme Xi Jinping qui s’est fixé l’objectif de faire de la Chine la première puissance mondiale, ces sociétés qui pour certaines ont dépassé le stade de « jeunes pousses », veulent conquérir le monde en misant sur l’intelligence artificielle (IA).
Pour accomplir ce défi, la Chine s’en donne les moyens. Il y a quelques jours, les autorités de Pékin ont annoncé qu’elles allaient développer un district dédié à l’intelligence artificielle, pour faire progresser les programmes de recherche sur l’IA. Pour cela, le gouvernement investira un peu plus de 2 milliards de dollars pour construire un parc industriel, situé à l’ouest de Pékin. Ce futur centre national de recherche sur l’IA devrait accueillir 400 entreprises spécialisées sur ce futur site technologique.
Un tel investissement ne doit rien au hasard. C’est un acte éminemment politique qui s’inscrit en plein dans la stratégie économique de devenir leader en matière d’intelligence artificielle, devançant en cela les Etats-Unis. En ouverture du récent 19ème Congrès du Parti communiste chinois, Xi Jinping a ainsi brossé le tableau d’une Chine du « socialiste moderne » qui, d’ici à 2049, date du centenaire de la République populaire, deviendra un pays leader dans bon nombre de domaines.
Partant du principe que l’IA permettra notamment d’améliorer la productivité de ses industries et, au passage, s’imposer comme la première puissance mondiale sur ces technologies, la Chine a compris que l’IA marquera sa future suprématie économique.
Alors qu’en Occident, et surtout en Europe, le débat se concentre sur le fait de savoir si l’IA détruira ou créera des emplois et pourrait constituer une menace à notre libre arbitre, la Chine fait le pari inverse avec, en toile de fond, la volonté de rattraper l’Ouest, principalement les Etats-Unis, d’ici à 3 ans puis de passer à la vitesse supérieure afin de faire de l’Empire du milieu le leader incontesté de l’IA à l’horizon 2030.
Un tel objectif est-il crédible ? Il est possible de penser que tout sera mis en œuvre pour y parvenir. Il n’y a qu’à se rappeler les déclarations du gouvernement chinois au début des années 2000 détaillant son vaste plan d’aménagement du pays, dont la construction de l’immense réseau de trains à grande vitesse. Moins de vingt années après, c’est chose faite avec des milliers de kilomètres de nouvelles lignes ultra-modernes qui font de la Chine le pays disposant du plus grand réseau de lignes à grande vitesse dans le monde : 22.000 kilomètres de voies à grande vitesse, soit 60 % du total mondial.
Monter en première division
Dans le domaine de l’IA, la convergence entre les intérêts politiques de Pékin et la volonté des BATX (l’équivalent des GAFA américaines avec les 4 sociétés Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) d’aller vite laisse présager que la Chine raflera le titre de leader mondial de l’IA dans les 5 années à venir. Pour cela, tous les moyens sont bons, y compris recruter pléthores d’experts ou encore faire sortir de terre data centers et autres centres de recherche. Le tout largement alimenté par un flot considérable d’argent public et privé qui s’investit dans ces structures nouvelles ; les nombreux investisseurs attirés par les considérables opportunités de l’IA appliquée à l’industrie et à de multiples autres domaines.
Le pays ne manque pas d’avantages pour gagner son futur statut de leader en IA. Des scientifiques de haut-vol regroupés dans des centres de recherches qui irriguent l’appareil industriel ainsi que des data en quantité qui serviront à améliorer sans cesses ces technologies d’IA. On peut déjà voir ce que l’un et l’autre peuvent donner en matière de systèmes de machine learning spécialisés en reconnaissance faciale ou encore de puissance de nouveaux algorithmes développés.
Intelligence artificielle à tous les étages
Les innombrables projets d’IA développés ont pour objectif d’irriguer la société chinoise de nouvelles solutions technologiques à l’instar des systèmes d’IA développés par quelques start-up qui en sont déjà au stade de licornes SenseTime en est une. Fondée en 2014, cette start-up de référence en matière d’IA et de deep learning, développe des applicatifs de reconnaissance faciale qui se retrouvent notamment dans les systèmes de paiement ou de sécurité bancaire. Depuis quelques mois, SenseTime a sauté le pas pour investir dans la recherche en matière de véhicule autonome grâce à sa dernière levée de fonds de 410 millions de dollars.
La Chine change vite, ce qui permettra à ces technologies de se déployer facilement et massivement. Avec 900 millions de personnes qui disposent d’un téléphone mobile, dont 70 % d’entre elles un smartphone (aux Etats-Unis, cette proportion de smartphone est de 40 %), nul doute que la percée de l’IA irriguera très rapidement le marché domestique pour ensuite se déployer ailleurs dans le monde. De leur côté, les GAFA ont bien vu la menace chinoise. En témoigne, fin 2017 la décision de Google d’ouvrir à Pékin un nouveau centre de recherche sur l’IA.
On aimerait que ce match pour le contrôle de l’IA puisse se jouer à 3 : Etats-Unis, Chine et Europe. Pour l’heure, ce n’est qu’une partie à deux avec, sur le banc de touche, l’Europe qui, en dépit de ses talents scientifiques, n’est pas parvenue à se hisser à la hauteur de ces enjeux technologiques qui façonneront le monde de demain.
Conscient de ce défi majeur, le Président Macron a prévu un volet IA lors de sa visite d’Etat en Chine avec un Forum en présence de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, de Cédric Vilani, Médaille Fields de mathématiques et député français, et Bai Chunli, Président de l’Académie des Sciences de Chine. Et il faut saluer ces espaces de partenariats comme la création du Club Shanghai à l’initiative de Patrice Cristofini pour le CEPS et du CEIBS côté chinois.
A l’approche du nouvel an Chinois, faisons le vœu qu’un sursaut se produise pour que nous montions enfin dans ce train déjà lancé à pleine vitesse.
Philippe BOYER
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Philippe Boyer est un blogueur reconnu en matière de numérique et d’innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitale : La Tribune, Les Echos, Forbes France, Siècle Digitale, Opinion Internationale…
Il est actuellement Directeur de l’innovation d’un des plus importants groupes immobiliers européens.
Conférencier et écrivain, Philippe Boyer est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les thématiques du numérique : « Ville connectée- vies transformées – Notre prochaine utopie ? » (2015) et « Nos réalités augmentées. Ces 0 et ces 1 qui envahissent nos vies » (2017).
Diplômé de Sciences-Po Aix et de l’EM Lyon (MBA), Philippe Boyer a exercé diverses fonctions communication, marketing et développement dans des groupes liés à l’immobilier et aux services urbains