C’est sans doute en matière de politique étrangère que l’action du nouveau président de la République serait la moins critiquable. Dès les premières heures de son quinquennat, le nouveau locataire de l’Elysée s’est évertué à revendiquer une double rupture avec son prédécesseur : celle d’un engagement européen plus affirmé et celle de la puissance militaire assumée sur le continent africain.
Le confirment l’élan européen qui a jalonné symboliquement sa prise de fonction dans la cour du Louvre, autant qu’une aspiration à confirmer urbi et orbi, dès le lendemain de sa prise de fonction – en se rendant sur la base du dispositif Barkhane à Gao – le rôle de stabilisateur militaire de la France en Afrique.
Entre temps, la crise avec l’institution militaire née avec la démission du Chef d’Etat-Major, le général Pierre de Villiers, sur fond d’arbitrages financiers conflictuels, aura quelque peu terni l’image du Chef des Armées.
Depuis, Emmanuel Macron s’est rendu pas moins de six fois sur le continent africain (deux fois au Mali ; avant Noël au Niger ; dans sa tournée africaine l’ayant porté au Burkina-Faso, Ghana, et en Côte d’Ivoire, à l’aune du 5ème Sommet UE/UA ; au Maroc en juin et en Algérie début décembre) alors que se profile un déplacement attendu en Tunisie, les 31 janvier et 1er février puis, de nouveau en Algérie, les 2 et 3 février prochains et enfin, au Sénégal, dans le courant du mois de février, pour y lancer, aux côtés du président sénégalais, Macky Sall, le Pacte mondial pour l’éducation.
Emmanuel Macron s’est aussi « drapé » dans le rôle de parrain de la création de la force conjointe du G5-Sahel et de l’Alliance pour le Sahel, piliers bicéphales (militaire et civil) de la stabilité dans la Bande sahélo-saharienne, portés sur les fonts baptismaux à Bamako et en France en juillet dernier, en sa présence…
La « geste » présidentielle rappelle ainsi, néanmoins, une solide détermination à vouloir asseoir paix et développement, face à une menace terroriste résiduelle mais tenace, dans une zone consubstantielle à notre propre sécurité.
Enjeux intérieurs de la politique étrangère
Il en va, d’évidence, de même, dans la volonté du président français de vouloir maîtriser les flux migratoires, parfois au prix d’une ingérence dans les affaires intérieures des pays en question, à l’instar de la déclaration présidentielle, sur la natalité et les réalités démographiques et migratoires africaines, faite à Hambourg, le 8 juillet dernier, lors de la réunion du G20. Que dire, dans le même esprit, de l’humour présidentiel qui aura été pris en défaut d’une réalité tragique entre Mayotte et les Comores, lors de la visite, en juin 2017, du centre régional de surveillance et de sauvetage atlantique, à Etel, dans le Morbihan ?
Du reste, tant sur la relance du projet européen, 60 ans après sa création avec le Traité de Rome, en 1957 que sur sa difficile gestation depuis – notamment en matière de politique étrangère et sur l’épineuse question de la défense européenne, que sur celle de la relation « FrancAfrique », jugée, avec justesse, comme ayant été parfois « incestueuse » – le verbe reste au cœur du référentiel « macronien » et semble parfois masquer une moindre inclinaison à l’action de terrain.
Les deux discours prononcés en septembre dernier, à Athènes et dans la foulée en Sorbonne, sur le renforcement de l’intégration européenne ont eu – bien qu’interminables, comme c’est souvent le cas avec le nouveau président – comme insigne mérite de repositionner les idées françaises, laissées quelque peu en jachère, à l’instar du concept d’Europe à plusieurs vitesses, de gouvernement économique de la zone euro, de renforcement des dispositifs Schengen & Frontex et d’approfondissement de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) à travers la mise en place effective de la Coopération Structurée Permanente (CSP) et la création d’un fonds dédié à l’investissement et la protection de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) européenne.
De ce point de vue, la crise politique qui secoue l’Allemagne depuis trois mois et demi et les élections du 24 septembre, permet à Emmanuel Macron de se faire le porte-voix de l’UE, comme ce fut le cas au cours de son déplacement en Chine, les 8-10 janvier derniers. Néanmoins, la voix présidentielle française – avec un déficit budgétaire avoisinant les 100% du PIB national – porte nettement moins que celle de la Chancelière, au regard des 38 milliards d’euros d’excédent budgétaire outre-Rhin.
Les mauvaises langues diront que tout ceci avait été défendu et porté avec la même ambition par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, et que la réalisation concrète doit davantage au Brexit et à la difficulté d’Angela Merkel de constituer une coalition solide pour mener à bien son quatrième mandat qu’à l’action du président français.
Politique africaine
Dans le même élan, le discours très attendu sur la « nouvelle » politique africaine de la France, prononcé le 28 novembre dernier devant les étudiants de l’Université Joseph Kizerbo de Ouagadougou, outre sa longueur inhabituelle pour un tel exercice (1H47 min !) aura permis de confirmer que le président français entend imprimer sa marque générationnelle dans le contexte d’un continent africain, dont la majorité de ses habitants (60%) a moins de 25 ans.
Louable intention, certes. Mais, comme le veut l’adage populaire, il y a souvent « loin de la coupe aux lèvres ». En s’adressant – avant tout – à ces 450 millions de jeunes africains, l’intention, louable, du président était de marquer les esprits et de responsabiliser les chefs d’Etat face à ce défi autant socio-économique que sociétal et culturel.
L’Afrique a sans doute, cependant, moins besoin de beaux et alambiqués discours que de résultats concrets et probants afin que la réalité d’une asymétrie économique et politique portée par le leadership actuel au pouvoir sur le continent, n’aggrave davantage des situations inextricables de délitement du pacte social.
A force de vouloir revisiter les relations entre la France et les 54 réalités africaines, fort diverses les unes des autres, on en oublierait presque le proverbe béninois qui veut que « la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit ».
Ainsi, conviendrait-il de s’attaquer davantage aux racines du problème, en investissant dans l’agriculture et en repensant l’administration des territoires. Car c’est cette absence d’investissements dans ces secteurs qui obère réellement et durablement le développement harmonieux des Etats – en Afrique, comme ailleurs – sur la voie du développement.
Des vents favorables à saisir ?
Inutile de rappeler, à cet effet, qu’à l’instar de tous ses prédécesseurs, au moins François Hollande et Nicolas Sarkozy, le nouveau Président de la République a su bénéficier d’un agenda international particulièrement favorable dans les premiers jours de sa prise de fonction :
- Inauguration du nouveau siège de l’OTAN à Bruxelles et réunion du G8 à Taormina, les 25 et 26 mai 2017 ;
- Réunion du G20 à Hambourg, les 7 et 8 juillet, sous présidence allemande.
Ces « galop d’essai » auront été entrecoupés de visites au fort impact international, à l’instar de celle de Donald Trump, les 13 et 14 juillet derniers, couplée à celle de Vladimir Poutine, le 29 mai, dans le faste du château de Versailles. Cette dernière visite, en particulier, semble étayer, l’aspiration toute « jupitérienne » du nouveau président.
Le « baptême du feu » présidentiel en matière de politique étrangère aura aussi vu le discours d’Emmanuel Macron, devant la 72ème Assemblée Générale des Nations Unies, insister, avec pragmatisme, sur la double réalité d’un multilatéralisme malade, et d’une prise en compte, somme toute réaliste, de l’émergence de nouvelles enceintes de décisions, tendant à relativiser la puissance et l’attractivité occidentale.
Rien de plus normal, en somme.
Quoique… Car le nouveau contexte international, caractérisé par un relatif reflux – assumé – de la puissance américaine sur les grands dossiers internationaux, à l’instar du dossier israélo-palestinien, de la guerre en Syrie, de la stabilité diplomatique dans le Golfe persique et vis-à-vis de l’Iran et bien sûr celui de l’adaptation climatique, offre un véritable boulevard pour la France et son Président.
Emmanuel Macron en a-t-il néanmoins réellement et pleinement pris avantage ?
Rien n’est moins sûr.
Faut-il se réjouir objectivement, en effet, que la nouvelle politique étrangère de la France, ne soit devenue que celle d’une puissance d’appui à la facilitation et à la médiation, à l’aune des nombreuses crises qui ont émaillé les derniers mois, et elles sont légions :
- Qatar versusQuartet mené par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn, l’Egypte, sur fond de guerre d’influence et de Containment de Riyad à l’égard de Téhéran ;
- Gouvernement régional du Kurdistan versus pouvoir central à Bagdad, sur fond de velléités d’indépendance d’Erbil ;
- Gouvernement d’union nationale derrière le Premier ministre libyen Fayez al-Serraj versusArmée nationale du maréchal Khalifa Haftar, sur fond de l’inextricable dilemme entre légalité diplomatique et réalité militaire…
A titre d’exemple, alors que la France donnait autrefois le « La », au Levant, dans le souvenir centenaire des accords de Sykes-Picot (1916), « l’extraction » du Premier ministre libanais, « démissionnaire » contraint par son puissant parrain saoudien, apparaît au mieux comme un acte solitaire, au pire comme le signe avant-coureur d’une « soumission » à l’agenda d’un prince héritier, Mohamed Ben Salman, dont la jeunesse et la « fougue » réformiste pourraient, certes, séduire le président français désormais quadra, mais que les investissements massifs somptuaires en France (résidence et yacht hors de prix, acquisitions d’œuvres d’art via des sociétés écrans, comme l’a révélé le décryptage, par plusieurs journaux, de pièces des « Panama papers ») pourraient, à juste titre, inquiéter…
La venue prochaine du prince héritier saoudien à Paris, pourrait ainsi être à « double tranchant » pour le président français, attendu, comme il le fut, à l’occasion de celle récente du président turc, Recep Tayyip Erdogan, sur fond de libertés fondamentales et de droits de l’homme.
Le président français est aussi attendu sur un autre dossier « brûlant » : celui de la sortie de crise en Syrie, à l’aune des derniers coups de butoirs des forces syriennes appuyées par la Russie, en cours de désengagement opérationnel, sur les derniers bastions des mouvements rebelles dans la province d’Idlib, dans le Nord-ouest syrien et dans le contexte de la chute de Daesh à Raqqa et dans l’est du pays.
Cependant, là aussi, un certain flou s’est installé. Emmanuel Macron fait ainsi volontiers référence à sa volonté de « sortir des postures morales » vis-à-vis de Bashar el-Assad, comme il l’a répété à l’occasion des vœux adressés, le 3 janvier dernier, au corps diplomatique. Mais, dans le même temps, ce dernier n’hésite pas à fustiger le rôle de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, parrains du processus d’Astana, qui depuis sa création en janvier 2017 et ses 8 rounds de négociations, aura, somme toute, engrangé nettement plus de résultats (zones de désescalade, accès à l’aide humanitaire, préparation du « Dialogue national intrasyrien » qui devrait se tenir à Sotchi, en Russie, d’ici mars 2018…) que les pourparlers de Genève et ce, qui plus est, en parfaite conformité avec la résolution 2254 des Nations Unies et de l’aveu même du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, l’ambassadeur italien, Stifan di Mistura !
Le « En même temps » diplomatique
A force de répéter tout et son contraire, on a du mal à comprendre, en effet, le but final recherché de la nouvelle diplomatie « macronienne » sur ce dossier, comme sur d’autres.
Est pourtant en jeu, la volonté française d’apparaître comme un acteur neutre et équilibré, comme l’appelait pourtant de ses vœux le Président français, lors de son discours traditionnel devant les 170 ambassadeurs de France, le 29 août dernier. Emmanuel Macron, l’a, du reste, répété en long, large et en travers, lors des vœux au corps diplomatique.
La déclaration triomphante d’Emmanuel Macron, dans la foulée du Sommet du G5-Sahel à la Celle-Saint-Cloud, le 13 décembre dernier, visant à se réjouir de l’apport financier de Riyad (100 millions d’euros) et d’Abu Dhabi (30 millions d’euros) contribue, certes, à la montée en puissance de la Force conjointe anti-djihadiste. Mais, l’objectif de l’organisation régionale depuis sa création en février 2014, étant la lutte contre les groupes armés terroristes, force est de constater que l’idéologie dont ces derniers s’inspirent trouve ses racines dans le wahhabisme dont se revendiquent les deux pays. Cette réalité devrait inciter, au contraire, à la prudence. D’aucuns ont évoqué, avec justesse, me semble-t-il, le syndrome du « pompier-pyromane ».
Les rendez-vous internationaux d’Emmanuel Macron des premiers mois de 2018 font figure de test. La Chine, du 8 au 10 janvier derniers ; la Tunisie, le 31 janvier et 1er février, immédiatement adossé à une visite d’état en Algérie, pays visité pour une seconde fois en deux mois, les 2 et 3 février.
S’en suivront deux déplacements particulièrement attendus. Le premier, à Téhéran au cours du premier trimestre 2018 – si ce dernier est maintenu, dans le contexte « tendu » du vaste mouvement de protestation et de contestation des orientations économiques et choix en matière de politique étrangère du pays. Le second, en Israël-Palestine, Liban et la Jordanie au Printemps 2018.
La capacité du président français à joindre les actes à une parole présidentielle volontiers prolixe, sera particulièrement scrutée à la loupe. Peut-être est-ce là, aussi, la raison d’un vaste mouvement d’ambassadeurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient qui devrait anticiper ces déplacements aux enjeux importants ?
Emmanuel Dupuy
Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE) est Professeur associé à l’Université Paris-Sud (Master Diplomatie et négociations stratégiques).