A la veille de la visite en Corse du Président de la République française, Arnaud Benedetti, professeur associé de communication à la Sorbonne, auteur de «La fin de la com» (Cerf), répond aux questions d’Opinion Internationale.
Opinion Internationale : Arnaud Benedetti, ne vit-on pas à une guerre de communication entre les indépendantistes corses et Emmanuel Macron, tous deux récemment arrivés au pouvoir ?
Tout d’abord tous les nationalistes, loin de là, ne sont pas indépendantistes. La plupart sont autonomistes et ne souhaitent pas une rupture sans retour avec la République. Mais pour répondre à votre question, en effet, la communication est un enjeu à la fois pour la majorité nationaliste et pour le Président. Sauf que les dirigeants corses ont une logique explicite, audible , lisible politiquement : la réforme institutionnelle , c’est-à-dire le passage à une authentique autonomie interne, l’instauration du bilinguisme, la mise en œuvre d’un statut de résident, et enfin le rapprochement des prisonniers, prélude à leur amnistie .
Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni abattent clairement leurs cartes. Ils prennent au mot le Président qui s’est, lorsqu’il était candidat, déclaré favorable à un droit à l’expérimentation régionale. Ils ont volontairement fait monter la pression ces dix derniers jours sur Paris. Forts de la légitimité que leur ont octroyée les urnes tant aux législatives qu’aux dernières territoriales, il leur faut arracher désormais – et vite – des victoires, dans une Corse où la forte abstention traduit aussi une forme d’attentisme, bienveillant peut-être, mais qui n’en demeure pas moins un attentisme pour une partie non négligeable des Corses. Sans doute faut-il aux nationalistes rendre très vite irréversibles certaines options.
Du côté de Paris et d’Emmanuel Macron, l’enjeu consiste en revanche à gagner du temps en délimitant ce qui est acceptable au regard de la République, de la Constitution et ce qui ne l’est pas. Le problème de Macron, de son pouvoir, c’est d’être fasciné par une conception de l’autorité très bonapartiste, mais d’être porté instinctivement par une promesse girondine conforme à sa vision d’inspiration fédérale de l’Europe et d’être animé par une méfiance vis-à-vis de ce que représente un nationalisme Corse identitaire, périphérique, populaire, aux antipodes de la vision macroniste de la société…
La vérité c’est qu’au regard d’un enjeu aussi clivant que celui du problème corse, Paris ne dispose pas d’une doctrine claire ; et ne disposant pas de doctrine clair , le bras séculier de l’Etat donne le sentiment de trembler.
Etes–vous d’accord avec la proposition suivante : « Macron est comme la France : il a du mal avec les particularismes culturels.»
Macron a du mal avec la périphérie d’abord. Et la Corse est de ce point du vue très française car elle condense de manière incandescente, au prisme de sa culture et de sa propre histoire, bien des inquiétudes qui sont celles des périphéries de la République, notamment de la République rurale. La Corse exprime à sa façon une résistance à la mondialisation, à la standardisation ; elle revendique ses racines chrétiennes notamment et se montre intransigeante face à la montée de l’islamisme. L’électorat des nationalistes peut voter nationaliste aux élections territoriales et Front National à la présidentielle. Ainsi, Marine le Pen y a réalisé des scores particulièrement soutenus à l’occasion du scrutin d’avril et de mai 2017. La porosité entre les deux électorats est une réalité.
A l’instar du cas corse, y a-t-il des déterminants culturels à prendre en compte en matière de communication politique ?
Bien évidemment, la politique est indissociable d’une capacité à acculturer l’action au terrain. Mitterrand en 1981 avait dit aux Corses : « Soyez vous-même ! ». Il leur avait fait confiance en faisant de l’île le banc d’essai de la décentralisation. Cela n’avait pas, loin s’en faut, soldé la question. Mais la Corse est aussi l’expression d’une crise du modèle républicain qui n’offre plus de transcendance et de rêve de grandeur. Le régionalisme, le nationalisme ensuite naissent historiquement sur les décombres de l’Empire colonial où les Corses ont joué un rôle souvent essentiel. De retour dans leur île, sans perspectives de dépassement, nombre de Corses ont redécouvert leur histoire, parfois de manière hypertrophiée ; ils ont pris conscience du non-développement réel de leur île quand le destin les a assignés aussi à leur destin d’îliens. Quand il ne vous reste plus d’espoirs, l’identité est le dernier des refuges, l’ultime sens de votre existence… La Corse est aussi une métaphore existentielle du déclin de la France. Ce qui dépasse de loin la question des particularismes, vous en conviendrez…
Vous êtes Corse, Français et professeur de communication. Si vous étiez son conseiller, quels conseils donneriez-vous au président de la République avant d’atterrir en Corse ?
L’humilité…
Propos recueillis par Michel Taube