Cet article de Philippe Boyer s’inscrit dans la nouvelle rubrique « Les routes de la Chine ». Loin des clichés mais tout en n’oubliant rien de l’histoire récente, deux livres nous révèlent ce qu’est la Chine. Une plongée en profondeur pour comprendre et non se contenter de clichés.
La Chine regorge de proverbes en tous genres qui illustrent aussi bien la futilité de la vie que les grands tourments humains. Parmi ces proverbes figure celui qui précise que « le souvenir du passé peut servir de guide pour l’avenir ». Deux récents ouvrages illustrent à la perfection ces mots de sagesse. L’un tourné vers le passé : « Chez les Yan », écrit par la banquière d’affaires, Yan Lan, et l’autre, «N’ayez pas peur de la Chine » de Philippe Barret. Quels regards proposent ces deux livres ? Essentiellement, une plongée au cœur de ce pays encore trop souvent méconnu et qui souffre de trop de préjugés et de caricatures.
Pour nous présenter la Chine d’aujourd’hui, Philippe Barret a choisi de nous faire passer par des chemins de traverses en nous faisant tantôt voyager par la poésie ou encore par l’histoire millénaire de ce pays. C’est ainsi qu’on apprend que le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme, composantes de la pensée chinoise, portent tous trois cette « recommandation centrale de Confucius : il faut obéir » signifiant par-là que tout commence par les règles d’obéissance des enfants envers les parents et cela aussi longtemps que vivent les parents.
Si Confucius fut souvent remis en cause, en particulier pendant la période Mao Zedong, le sage fut réhabilité au début des années 2000 quand le gouvernement chinois décida de créer les Instituts Confucius à travers le monde, à l’image du réseau des Alliances françaises. Soulignons que cette référence à la sagesse de Confucius n’empêche en rien le développement « harmonieux » de cette philosophie de vie avec les modèles capitalistes et marxistes. C’est là l’une des grandes forces de la Chine que de réussir à concilier des opposés au service d’une vision de l’Histoire. Qu’en penserait le grand sociologue Max Weber qui considérait que confucianisme et capitalisme n’étaient pas compatibles ?
Au-delà de cette analyse fouillée et limpide sur la compréhension de « l’âme chinoise », l’auteur aborde des sujets variés tels que le rapport à la vérité des Chinois. Cela diffère fortement entre ce que les Occidentaux considèrent comme « moral » et vison chinoise. Là encore la sagesse populaire de ce pays incite certes à « dire » la vérité (« Paroles habiles n’égalent pas la vérité ») mais celle-ci doit être pragmatique et s’adapter aux circonstances : « Flatter procure le bonheur, parler directement, c’est aller au malheur. ».
Encore le pragmatisme quand les Chinois firent le choix de soutenir les communistes de Mao Zedong au détriment du Guomindang de Tchang Kaichek, alors que les forces de ce dernier étaient cinq fois supérieures à celles de la jeune armée communiste. Le ralliement au premier s’expliquant par le fait que « les Chinois choisirent les communistes parce que ceux-ci leur sont apparus comme des combattants plus déterminés… et meilleur défenseurs de l’indépendance de leur nation. ». Cet esprit patriotique allié au confucianisme fut conjointement rappelé en 2014 quand le président Xi Jinping célébra Mao Zedong et Confucius à l’occasion des 120ème et 2565ème anniversaires de leurs naissances. Ce livre regorge de précisions historiques au service d’anecdotes qui nous permettent de commencer à comprendre ce pays en dépassant les caricatures et préjugés coloniaux que nous charrions encore. Les temps changent et la réussite économique de la Chine nous oblige à dépasser ces vues d’un autre âge pour comprendre en profondeur les Chinois.
Quand le passé se conjugue au passif
Changement d’ambiance avec l’ouvrage de Yan Lan, directrice francophile de la banque Lazard pour la Grande Chine (Pékin, Hongkong et Taïwan) qui vient de publier cette saga familiale qui raconte les transformations de la Chine du début du 20ème siècle à nos jours. Héritière d’une famille bourgeoise et protestante convertie au communisme dans les années 30, Yan Lan a 10 ans quand les Gardes rouges défoncent la porte de la maison familiale à Pékin. La « révolution culturelle » met brutalement fin à son enfance privilégiée.
Yan Lan a grandi dans la proximité des hommes les plus puissants de la Chine, de Zhou Enlai à Deng Xiaoping. Son grand-père, d’abord compagnon de route du nationaliste Chiang Kai-shek, épouse la cause communiste et sera agent secret pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père, Yan Mingfu, diplomate, interprète personnel de Mao pour le russe, est le seul témoin vivant des discussions entre Mao et les dirigeants soviétiques.
Mais la Révolution culturelle fait basculer la vie des Yan. Lan a neuf ans quand, un soir,les Gardes Rouges de Mao ont besoin de têtes à couper et ce sera le grand-père qui sera emmené manu militari. Ce haut fonctionnaire, patriote bâtisseur du PC, accusé de « révisionnisme », mourra sept mois plus tard. Quant à la mère de Yan Lan, elle sera internée dans un camp de travail et devra marcher 10 kilomètres pour voir sa fille.
Mao écrivait que «La Révolution n’est pas un dîner de gala», aphorisme que la famille Yan eut le temps de méditer. Pour l’auteur qui peut se prévaloir de cette double culture occidentale et asiatique, ce regard sur ces terribles années ne l’empêchera pas de réussir jusqu’à intégrer de prestigieuses universités (Genève et Harvard) puis, en 1991, le cabinet d’avocats d’affaires Gide Loyrette Nouel. Quelques années plus tard, elle en deviendra la directrice du bureau de Pékin avant de devenir banquier d’affaires pour Lazard. Avec ce récit qui relate les soubresauts d’une famille éduquée plongée dans la Chine nouvellement communiste, Yan Lan fait revivre près d’un siècle d’histoire chinoise, du dernier empereur à aujourd’hui, en passant par la Révolution culturelle qui marque son enfance. A la lecture de ces pages, on partage de l’intérieur ces sombres années où révolution rimait avec terreur.
Si cette époque paraît désormais lointaine, depuis plusieurs décennies, la Chine s’est relevée et « réveillée », comme le prédisait Alain Peyrefitte au début des années 70. La saga des Yan s’est à présent transformée en l’épopée du Yuan.
Chez les Yan, de Yan Lan – Allary Editions
N’ayez pas peur de la Chine, de Philippe Barret – Robert Laffont
Philippe BOYER
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Philippe Boyer est un blogueur reconnu en matière de numérique et d’innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitale : La Tribune, Les Echos, Forbes France, Siècle Digitale, Opinion Internationale…
Il est actuellement Directeur de l’innovation d’un des plus importants groupes immobiliers européens.
Conférencier et écrivain, Philippe Boyer est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les thématiques du numérique : « Ville connectée- vies transformées – Notre prochaine utopie ? » (2015) et « Nos réalités augmentées. Ces 0 et ces 1 qui envahissent nos vies » (2017).
Diplômé de Sciences-Po Aix et de l’EM Lyon (MBA), Philippe Boyer a exercé diverses fonctions communication, marketing et développement dans des groupes liés à l’immobilier et aux services urbains