La France, ami fidèle et ancien de la Roumanie, et l’Union européenne, dont la Roumanie est membre depuis 2007, peuvent apporter leur concours à la véritable lutte contre la corruption et pour renforcer l’Etat de droit dans le système judiciaire roumain.
De fortes inquiétudes pèsent sur le dispositif anticorruption, l’état catastrophique du système carcéral et plus généralement, l’organisation globale de la justice pénale roumaine, dont les dysfonctionnements ont été pointés par la Cour européenne des Droits de l’Homme, dysfonctionnements qui compromettent dans son essence l’Etat de droit, a fortiori s’ils laissent craindre une subordination du juge au pouvoir politique.
Devant un constat guère flatteur pour les autorités et la Justice roumaines, Emmanuel Macron, en visite officielle à Bucarest en aout 2017, avait évoqué « les points de sensibilité liés à la corruption ». Certes, il est d’usage, lors de sommets diplomatiques, de ne pas évoquer les sujets qui fâchent, ou de ne le faire qu’en filigrane. Mais surtout entre membres de l’Union européenne, la voix de la France est écoutée en Roumanie, grand pays francophone et francophile, et il serait assurément utile de transmettre quelques messages, même si cela ne prend la forme de l’expression publique à l’occasion de rencontres officielles.
Lorsque la Cour européenne des Droits de l’Homme met en demeure la Roumanie de réformer en urgence sa Justice pénale, appuyer cette exigence ne relève pas de l’ingérence dans ses affaires intérieures. L’indépendance de la Justice étant une valeur aussi fondamentale que partagée par tous les véritables régimes démocratiques, l’Union européenne où ces valeurs sont érigées en règle de droit, est elle aussi légitime à s’inquiéter des entraves à cette indépendance, des usages du parquet anticorruption (le fameux DNA) révélés par les médias, et qui font penser à celles d’une police secrète d’un régime dont la Roumanie a pourtant grandement souffert dans un passé par encore si lointain.
Revenons à la France : dans une note du Ministère de l’Économie datant de mars 2016, on peut lire : « La DNA a mis en examen ces trois dernières années 3 000 ministres, députés, sénateurs, maires, et hauts fonctionnaires. En 2014, un bilan record a été atteint : 9 100 dossiers traités et plus d’un millier de personnes traduites en justice (deux fois plus qu’en 2013). Au-delà des chiffres, personne n’est épargné. En juin 2015, Victor Ponta, à l’époque Premier ministre, a été contraint de démissionner suite à sa mise en examen pour blanchiment d’argent, conflit d’intérêts, évasion fiscale, faux et usage de faux ».
Ainsi, les autorités roumaines se félicitent d’une véritable purge menée tambour battant contre des pans entiers du monde des affaires et de la politique, sous la bannière immaculée de la lutte contre la corruption.
Mais avancer de tels chiffres sans connaitre la réalité des dossiers ni mentionner les soupçons de falsifications qui pèsent sur certains d’entre eux, n’est-il pas risqué ?
Par exemple, on sait depuis les récentes révélations des chaines Antena3 et RomaniaTV (lien vers article n. 1), que les méthodes du DNA ne sont pas toujours d’une parfaite conformité aux principes d’un État de droit, c’est un autre euphémisme que de le dire -, avec pour effet d’entacher nombre de poursuites de soupçons de partialité, voire de corruption, à commencer par celle de l’ancien premier Ministre Victor Ponta. Dès lors, i lest diffiicle de ne pas s’interroger sur l’intégrité et donc la crédibilité des procureurs chargés de ces enquêtes.
L’Union européenne a accepté la Roumanie comme membre en 2007, et le pays prendra en 2019 la Présidence tournante de l’UE. N’est-ce pas une belle occasion d’exiger de vrais engagements des autorités roumaines en faveur d’une véritable éradication du fléau de la corruption ?
Bien entendu, elles s’abriteront derrière des statistiques flatteuses et un indéniable soutien populaire à la lutte contre la corruption. Mais un examen au plus près, tel que nous l’avons esquissé dans ce dossier, révèle que cette lutte, plus que d’être imparfaite, est probablement entachée par des dérives et des collusions suspectes.
Lorsque certaines pratiques du DNA ont été démontrées par enquête journalistique, les autorités n’ont pas saisi l’occasion d’en tirer les conséquences qui, à terme, se révéleront sans doute indispensables et incontournables.
Par réflexe de protection, au moins de sa légitimité politique, le président roumain a renouvelé sa confiance au DNA à sa procureure pourtant controversée. Il lui sera bien plus difficile de justifier auprès des instances de l’Union européenne le bilan dramatique dressé par la Cour européenne des Droits de l’Homme de sa justice pénale.
« SA » justice ? C’est précisément ce qui est au cœur du débat, au-delà de la lutte contre la corruption et des joutes politiques internes : il n’y a de véritable Justice qu’une Justice indépendance du pouvoir. Ce n’est qu’à cette condition que la corruption, toute la corruption pourra être vaincue.
Comme nous l’avons indiqué au premier article de ce dossier, la Commission de Bruxelles semble enfin avoir pris la véritable dimension des liaisons dangereuses entre l’exécutif et la Justice. Cela nous autorise à clore ce dossier consacré à la Roumanie sur une note d’espoir.