La Roumanie fait grand usage du mandat d’arrêt européen. A la lumière de nombreuses critiques de son institution judiciaire, les interrogations se font jour quant au danger de cet outil dévolu à la coopération judiciaire européenne.
Le mandat d’arrêt européen se veut un outil de procédure judiciaire pénale visant à prioriser l’analyse purement juridique d’un délit ou d’un crime sur toute considération politique. Mais qu’en advient-il, si l’indépendance de l’autorité judiciaire par rapport au pouvoir exécutif est contestée dans un pays de l’Union européenne ?
Nous avons déjà évoqué, dans les colonnes d’Opinion Internationale, les dérives de la lutte contre la corruption, en particulier les indices de mainmise des services de sécurité roumains sur le parquet anticorruption, avec à la clé des collusions douteuses suscitant de vives polémiques et de profondes dissensions au sein même du gouvernement roumain. Nous avons également évoqué les révélations confondantes d’une équipe de télévision quant à des pratiques dignes de l’ère communiste, comme la fabrication de fausses preuves ou la falsification des dossiers de gêneurs que l’on souhaite poursuivre au prétexte qu’ils seraient corrompus.
L’indépendance de la Justice serait-elle le maillon faible de l’Etat de droit roumain ? De l’état lamentable des prisons à une organisation de la justice pénale déplorable et attentatoire aux droits de la défense, et par là même, aux droits de l’homme, la Cour européenne des Droits de l’Homme a eu à connaitre et donc à juger à plusieurs reprises des affres de la justice roumaine, ce qui finit par alarmer les instances de l’Union européenne au sein de laquelle de telles pratiques ne sauraient perdurer.
Dans de telles conditions, les déchirements autour de la lutte contre la corruption, qui ont pris une tournure d’affrontement politico-médiatique en ce début 2018, apparaissent tel un écran de fumée sur une réalité indubitablement dégradée.
Comment on détourne le mandat d’arrêt européen en Roumanie
L’application du mandat d’arrêt européen (MAE) au cas roumain est révélatrice d’un double dysfonctionnement : celui du mandat lui-même, sur lequel on devrait se pencher plus en détail, et au cas par cas, sur les motivations de l’autorité judiciaire qui le sollicite, et bien entendu, celui de la Justice roumaine, de plus en plus souvent dans le collimateur des institutions politiques et judiciaires européennes.
Officiellement, une « procédure judiciaire transfrontière simplifiée de remise aux fins de l’exercice de poursuites pénales ou de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté », appelée mandat d’arrêt européen a été instituée en 2002 et s’applique à tous les États membres de l’UE. Ce fameux mandat poursuit un objectif de simplification procédurale, et le remplacement des mécanismes d’extradition, soumis à des décisions politiques par des mécanismes purement judiciaires.
Si l’objectif du MAE (simplification, réduction des délais d’application des peines) est louable, son application repose sur l’idée que tous les États membres disposent d’un appareil judiciaire véritablement indépendant, et sur une forte confiance mutuelle.
Or on peut fortement se dire que ces deux éléments ne sont pas réunis en Roumanie : une décision de justice prise à Sofia ou Bucarest n’offre pas les mêmes garanties d’impartialité qu’une décision prise à Copenhague ou Dublin. L’ONG Fair Trials, soutenue par la Commission européenne, explique que « chaque jour à travers l’Europe, les droits les plus basiques sont violés dans les commissariats, les tribunaux, et les prisons. »
La Roumanie n’est évidemment pas seule en cause. On se souviendra notamment du cas d’Andrew Symeou, extradé du Royaume-Uni vers la Grèce en 2009, au moyen d’un mandat d’arrêt européen. Il fut accusé à tort, comme ce fut finalement reconnu en 2011, d’avoir assassiné un jeune Anglais dans une boite de nuit grecque. Andrew Symeou passa un an dans une prison de haute sécurité en Grèce, dans des conditions indignes, sans communes mesures avec celles d’une prison britannique. Son cas est emblématique, car il fut médiatisé et mit l’accent sur les dangers d’un prompt usage du mandat d’arrêt européen.
Par ailleurs, l’étude globale du MAE révèle de grands déséquilibres en ce sens que les États dont les systèmes judiciaires sont les moins fiables peuvent être tentés de l’utiliser à des fins qui ne relèvent pas toujours du bon fonctionnement de la justice.
L’ONG bruxelloise Human Rights Without Frontiers a montré qu’en 2015-2016, les autorités roumaines avaient formulé mille cinq cent huit demandes d’extradition à l’attention du Royaume-Uni. Dans le sens inverse, seules six demandes étaient recensées.
Cela pose la question de la légitimité de l’ensemble de ces demandes et de leur motivation : sommes-nous totalement dans une logique judiciaire de droit commun, ou chercherait-on à utiliser un outil de procédure à des fins au moins partiellement politiques ; poursuivre les gêneurs, par-delà ses frontières nationales ?
Pour l’anecdote, soulignons que l’un des arguments des supporters du Brexit était que la sortie du Royaume-Uni de l’Europe permettrait d’échapper au dispositif du mandat d’arrêt européen, et ainsi de protéger l’intégrité de leur système judiciaire.
Les inquiétudes quant à l’abus du mandat d’arrêt européen par la Justice roumaine sont alimentées par d’autres statistiques, tout aussi inquiétantes : en 2016, parmi les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe (signataires de la Convention européenne des Droits de l’Homme), la Roumanie n’était devancée que par la Russie et la Turquie au nombre de cas de violation du droit à un procès équitable (article 6 de la Convention) jugés par la Cour européenne des Droits de l’Homme (71 cas, plus haut total au sein de l’UE). L’addition des dérives et dysfonctionnements de la Justice pénale roumaine est donc trop lourde pour que l’on ne puisse s’interroger sur les conditions de délivrance d’un mandat d’arrêt européen sollicité par un juge roumain, en particulier dans une affaire de corruption.
Roman Popescu