Surpopulation carcérale endémique, installations vétustes, conditions de détention inhumaines et recours excessif à la détention préventive sans voie de recours efficace, c’est toute la justice pénale roumaine dont on se demande si elle doit être réformée.
La question du respect des droits de l’homme au sein de l’Union européenne ne devrait pourtant pas se poser. Par les temps qui courent (l’extrême droite au pouvoir dans une Coalition en Autriche, la Hongrie d’Orban, la Pologne…), il est bon de rappeler que l’UE, souvent perçue comme une entité à finalité principalement économique, est également une communauté de valeurs dans un cadre juridique qui ne saurait tolérer que ses membres s’en affranchissent.
Du point de vue juridique, mais aussi politique (le premier découlant du second), on peut se demander si la Roumanie n’est pas aussi concernée par cette remarque.
Certes, la Roumanie de 2018, celle du président, Klaus Iohannis, n’a plus rien à voir avec l’ère stalino-Ceauscu. Il n’en demeure pas moins vrai que perdurent certaines pratiques héritées de l’ancien régime et qu’il est urgent qu’il y soit mis un terme. L’environnement carcéral en est une illustration particulièrement flagrante et dramatique.
Des prisons insalubres et un recours abusif à la détention provisoire
Entre 1998 et 2015, la Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné la Roumanie à cent soixante-dix-huit reprises pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui prohibe la torture, les peines et traitements dégradants ou inhumains.
Rien qu’en 2015, la Cour de Strasbourg a sanctionné vingt-sept fois la Roumanie. Certes, cet État n’est pas le seul mauvais élève de l’Europe. La France connaît également une surpopulation carcérale structurelle, génératrice de nombreuses tensions, comme l’a révélé au grand jour un récent mouvement social des personnels pénitentiaires.
Mais c’est bien en Roumanie que les conditions de détentions sont jugées « inhumaines » par la Cour européenne des droits de l’homme : cellules de moins de 3 mètres carrés infestées de rats, installations sanitaires insalubres, manque d’hygiène, nourriture innommable, absence d’éclairage naturel, matelas bons à être jetés pourtant partagés par deux détenus, eau chaude rationnée…
On peine à croire que ce sont des prisons d’un pays démocratique, a fortiori membre de l’Union européenne, qui font l’objet de pareilles descriptions. Dans une affaire Rezmives c. Roumanie, la CEDH a rendu le 25 avril 2017 un arrêt-pilote, fondé non seulement sur l’article 3 de la Convention européenne, mais aussi sur son article 46, visant à dénoncer un problème général, en l’espèce l’organisation globale du service pénitentiaire roumain et le dysfonctionnement chronique du droit interne. L’État roumain a ainsi été mis en demeure de prendre des mesures concrètes visant à diminuer le surpeuplement des prisons, à améliorer les conditions matérielles de détention et à organiser des voies de recours efficaces. La Cour a laissé six mois aux autorités, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, pour établir un calendrier précis des mesures générales qui seront mises en œuvre.
Le gouvernement roumain dos au mur
Devant un désastre que les autorités ne peuvent plus nier, ni même minimiser, et la mise en demeure de la Cour européenne des Droits de l’Homme, une loi dite « loi de recours compensatoire » est entrée en vigueur en octobre 2017. Elle doit notamment contribuer au désengorgement des prisons roumaines. Les premiers résultats demeurent modestes : seuls 529 détenus ayant été libérés dès l’entrée en vigueur de la loi, et guère plus de 3300 seraient éligibles au nouveau dispositif permettant leur mise en liberté conditionnelle. Mais dans cette hypothèse, il resterait encore près de 27000 détenus dont les conditions ne s’en trouveraient que très partiellement améliorées.
On demeure dubitatif devant les initiatives du gouvernement, dont il est légitime de s’interroger sur les véritables intentions : ne relèvent-elles pas d’une gesticulation sans lendemain ? N’est-ce pas de la poudre aux yeux pour laisser croire que le problème serait enfin traité à sa juste mesure ?
On relèvera qu’en octobre 2016, Raluna Pruna, alors ministre de la Justice, avait reconnu avoir menti en assurant la CEDH que le gouvernement roumain avait prévu d’investir un milliard d’euros pour moderniser les prisons. Force est de déplorer qu’avec la loi de recours compensatoire, le compte n’y soit pas et que ce texte ne s’apparente pas au grand soir de la justice pénale roumaine, pourtant exigé de la haute juridiction de Strasbourg.
Pour que la situation carcérale s’améliore durablement, il serait également opportun que la Justice roumaine abandonne le recours trop systématique à la détention préventive (pratique également trop courante, mais à moindre degré, en France), qui en elle-même est de nature à constituer une atteinte aux droits de l’homme.
La pression monte sur le gouvernement roumain : pris en tenaille entre le scandale de son parquet anticorruption accusé de trafic d’influence, et son inaction face à la déliquescence du système carcéral, il ne peut plus tergiverser et reculer devant l’indispensable réforme en profondeur de la justice roumaine.
Roman Popescu