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13H45 - samedi 26 mai 2018

Laïciser l’enseignement de l’économie du lycée à l’université

 

L’annonce d’une refonte de l’enseignement social et économique au lycée par le ministère de l’Education Nationale est une chance pour sortir du piège des dogmes. Ou comment opposer le lexique aux idées et les faits aux idéologies.

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S’il était une preuve de la subjectivité des « sciences » économiques, c’est bien la renaissance de la guerre de religion qui sourde déjà, alors que vient d’être annoncée la réforme du programme qui sera délivré aux élèves du secondaire. La querelle idéologique, typiquement française, n’est pas nouvelle. Et le schisme paraît intact.

D’un côté, la chapelle des enseignants réunis au sein de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses) estimant qu’économie et sociologie sont indissociables et qu’il convient d’enchasser les rouages économiques dans des rapports de classes sociales.

De l’autre côté, les représentants des entreprises s’inquiètent de l’image dégradée du monde du travail trop souvent véhiculée par l’institution scolaire. « Il est difficile d’écarter l’hypothèse que cet enseignement, inadapté dans ses principes et biaisé dans la présentation, soit en fait néfaste » soulignait, il y a quelques mois, Michel Pébereau, président de l’Académie des sciences morales et politiques, et ex patron de BNP-Paribas.

Sans chercher à savoir pourquoi la terre serait ronde plutôt que plate, procès d’intention et condamnations sans appel vont bon train. En saint laïc au-dessus de la mêlée, l’économiste professeur au Collège de France, Philippe Aghion, pressenti pour présider la commission censée définir les termes de la réforme, rappelle sobrement et auprès de qui veut l’entendre qu’il y a en France « un problème d’inculture économique ».

Nul ne le conteste. Enquête Pisa et études de l’OCDE sont passées par là et le faible niveau des Français en économie n’est plus un mystère et explique bien des superstitions. Décideurs politiques et économiques le déplorent régulièrement, jusqu’au président de l’Apses lui-même, Erwan Le Nader, dénonçant l’insuffisance du nombre d’heures d’études sociales et économiques délivrées aux lycéens.

Ce ne sont certes pas les deux heures – non obligatoires – proposées aux élèves de Seconde qui permettent à un bachelier d’une autre série que ES de comprendre des notions aussi essentielles que l’inflation, le déficit public, le déséquilibre extérieur pourtant régulièrement avancées dans les débats politiques. Et si, comme le souligne l’introduction au programme du ministère, la connaissance des éléments de base d’une culture économique et sociologique est « indispensable à la formation de tout citoyen qui veut comprendre le fonctionnement de l’économie et de la société dans laquelle il vit », il y a urgence à enseigner les éléments factuels et le vocabulaire de l’économie dans toutes les séries du Bac. Chaque citoyen devrait connaître l’origine et la destination des impôts, à quoi sert le budget communal, comment la Sécurité sociale est-elle financée, etc.

Enseigner, c’est transmettre

altEnseigner c’est transmettre. Et l’on ne peut transmettre que ce que l’on possède. Contrairement aux sciences exactes ou à « mutation lente », l’économie est volatile, en réinvention constante. Cette caractéristique impose une mise à jour récurrente et une grande vigilance pour comprendre les évolutions à l’œuvre. Dépasser la certitude des simples acquis de la formation initiale pour compléter ses savoirs universitaires est le défi des professeurs et enseignants en sciences sociales et économiques. Ces professeurs ont été formés à l’université et ont disserté sur les théories économiques historiques. La plupart de ces théories ont été développées dans un cadre d’Etat nations isolés qui ne correspond pas à l’état actuel du monde. On peut le regretter mais c’est un fait.

L’enseignement de l’économie doit prioriser la définition des concepts de base et des faits économiques (chômage, impôts, salaire minimum, etc.) sans négliger le repère des ordres de grandeur macro-économiques. Les professeurs doivent amener leurs étudiants à raisonner à partir de questions concrètes puisées dans l’expérience et illustrées autant que possible par des exemples d’actualité. L’enseignement social et économique ne peut, par exemple, résumer la question du chômage, comme c’est le cas dans le programme actuel, aux seuls impacts des coûts salariaux ou d’une demande insuffisante. La réalité est autrement plus complexe, tant les interactions entre économie et droit du travail apparaissent aujourd’hui intriquées. De crises inattendues en crises latentes, l’économie ne peut que s’affranchir des dogmes. Son enseignement encore plus.

Dépasser les clivages sur des concepts abstraits

Aborder la complexité du monde actuel par les théories du XXème siècle (marxisme, keynésianisme, libéralisme) ne fait que renforcer le penchant français à créer des clivages sur les concepts abstraits. Il convient de laïciser l’enseignement de l’économie, d’apprendre à tous à reconnaître les définitions et les chiffres incontestables qui forment le vocabulaire commun indispensable à des discussions citoyennes. On ne peut débattre sur les chiffres qu’en s’entendant sur les mots. Le développement du sens critique des élèves est à ce prix. Il n’est de sens critique qu’appuyé sur une connaissance des faits, où les dogmes n’ont pas leur place.

Chaque fois que la science progresse, les guerres de religions reculent. Les escarmouches à propos d’une réforme d’un programme en économie pourraient-elle laisser croire qu’il ne s’agirait pas de science ?

La prétention scientifique des économistes trouve une limite dans l’incapacité d’expérimenter les hypothèses avancées. Combien de décisions de politique économique, appuyées sur nombre d’estimations et savantes projections ont eu des effets… imprévus : invalidation d’évaluations ex-ante, remise en question d’une supposée rationalité des agents économiques. Autant de causes d’humilité devant être reconnues et enseignées.

L’université s’échappe du réel par un enseignement formalisé prompt à prendre pour parole d’évangile toute théorie dès lors qu’elle peut être mise en équation. Même si elle garantit la rigueur du raisonnement, une formule mathématique n’est pas en elle-même une preuve. Encore faut-il que les hypothèses de départ soient justes. Or, la réalité des comportements humains est trop complexe pour être mise en équation.

La révision du corpus d’enseignement économique au secondaire passe par la « laïcité » des savoirs et des méthodes. Concentrons-nous sur la transmission du lexique, le décryptage des faits et la capacité d’observation, avant de discourir des théories qui en disent plus sur leurs promoteurs que sur les phénomènes qu’elles sont censées analyser. Il sera toujours temps de rouvrir la énième controverse sur le sexe des anges.

François JEGER et Olivier PERALDI

Co-fondateurs de l’Institut Chiffres & Citoyenneté

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