A l’écouter, on se dit effectivement que la République Démocratique du Congo a besoin d’un médecin et, ceci, au propre comme au figuré. Dans le cadre de notre rubrique « Afriques demain », Opinion Internationale a rencontré Donat Mupapa, médecin urgentiste, réfugié politique en France depuis vingt ans. Agé de 58 ans, il est candidat à l’élection présidentielle en RDC le 23 décembre 2018 si celle-ci finit par se tenir considérant les tergiversations anticonstitutionnelles du président Kabila.
Entretien avec Donat Mupapa, un candidat indépendant, libéral et humaniste issu de la société civile.
Monsieur Donat Mupapa, vous êtes connu pour votre engagement dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola, ce qui vous a valu le titre dans Le Figaro récemment de « Docteur Ebola ». Précisons que vous avez notamment co-élaboré un protocole de soins basé sur l’immunothérapie pour endiguer la maladie. Commençons l’entretien, si vous le voulez bien, par la situation sanitaire en RDC sous un angle politique : la réitération de l’épidémie d’Ebola ces dernières années et à nouveau depuis un mois n’est-t-elle pas due à la corruption endémique du pouvoir en RDC ?
En effet, c’est une situation multifactorielle qui fait qu’à chaque fois l’épidémie est constatée trop tardivement. Les autorités sanitaires publiques sont à chaque fois en retard de plusieurs trains, laissant l’épidémie causer ses premiers ravages. Pourtant, nous avions mis en place avec un groupe de médecins en 1995 des sentinelles de surveillance épidémiologique dans les territoires menacés par Ebola. Mais comment voulez-vous les faire fonctionner efficacement, les encadrer dans la durée si l’Etat est vacant ?
La sensibilisation à Ebola, réalisée en porte à porte, dans la métropole de Mbandaka, qui compte 1,2 million d’habitants, a commencé il y a deux jours à peine, donc avec un mois de retard. Le risque de flambée de l’épidémie est donc majeur et, comme vous le savez, il y a déjà des morts.
Ebola n’est que la partie audible pour l’opinion internationale des problèmes qui touchent la RDC et qui sont d’ordre structurel et, pour tout, dire politiques. Or le 31 décembre 2016, un dialogue national inclusif, organisé sous les auspices des autorités religieuses et réunissant pouvoir et oppositions, a donné l’espoir d’une transition politique et démocratique. Cependant, rien n’a vraiment bougé depuis. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Nous étions contre le Dialogue national en 2016 car tout simplement l’accord violait l’article 70 de la Constitution de la RDC dans la mesure où le deuxième et dernier mandat constitutionnel de Monsieur Joseph Kabila arrivait à son terme le 20 décembre 2016.
Mais il faut remonter aux origines du problème pour mesurer les enjeux de la situation actuelle : Kabila, qui est un militaire (Général Major), n’est pas arrivé au pouvoir par les urnes en 2001 mais par un coup d’Etat de palais qui a profité étonnamment au fils de Désiré Kabila. Sur ce péché originel, Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir par des simulacres d’élections et s’accroche aujourd’hui au pouvoir par la force contre la Constitution et contre la volonté du peuple congolais.
Résultat de décennies de blocage politique : le pays est marqué par une paupérisation générale, reste continuellement la proie de l’insécurité des personnes et des biens. Il est traversé par des violences, des tueries à l’est, et reste la proie des menaces djihadistes. La jeunesse dans l’abandon, les femmes dans le désarroi, et le monde rural dans un immense recul, voilà l’état de la RDC aujourd’hui.
La gestion actuelle du pays manque de vision et d’ambition à tous les niveaux pour offrir à ce grand pays le leadership nécessaire, à la mesure de sa puissance potentielle et de ses immenses ressources.
Pourquoi vous présentez-vous maintenant à une élection présidentielle dont les dés sont manifestement pipés et dont le cadre constitutionnel n’est même pas respecté par le pouvoir ?
J’étais déjà en lice en 2016 à des élections présidentielles qui, comme vous le savez, n’ont finalement pas eu lieu, et je me prépare depuis dix ans. Je déteste la politique du vide. Parce que je veux préparer la population à se prendre en charge et la société civile à la transition attendue depuis si longtemps. Parce que la situation a tellement empiré que la menace d’explosion sociale et politique exige qu’un homme politique responsable qui sorte de l’ordinaire et des arcanes d’un pouvoir corrompu entre dans l’arène.
Mais, si les élections ont lieu, ce qui n’est pas gagné, le pouvoir n’hésitera pas à bourrer les urnes et à proclamer Kabila vainqueur. Pourquoi cautionner un tel sort en vous présentant ?
Selon l’article 70 de notre Constitution, Joseph Kabila n’a plus le droit de se présenter à l’élection présidentielle pour un troisième mandat. Car, comme aux Etats-Unis, cet article limite à deux les mandats présidentiels non renouvelables. Sans modification constitutionnelle, il ne peut prétendre à un troisième mandat.
Mais, s’il viole à nouveau notre loi fondamentale et si, par leur complicité, la CENI (la Commission électorale nationale indépendante) et la Cour constitutionnelle cautionnent cette violation flagrante de la Constitution, le peuple congolais prendra ses responsabilités.
En outre, il est important de signaler qu’après plusieurs répressions dans le sang des manifestations pacifiques de paisibles chrétiens et laïques congolais, la cote de popularité de Kabila est quasiment nulle. Joseph Kabila ou son dauphin ne pourra donc pas résister au suffrage universel direct, c’est-à-dire au verdict des urnes, même s’il essaie de truquer le processus électoral. Nul ne sera dupe. Et c’est pour cela d’ailleurs qu’il retarde depuis des années cette échéance cruciale.
Je suis un candidat incorruptible
Kabila ne se joue-t-il pas des divisions et de la multiplicité des candidats à sa succession ?
Certes, il est vrai que Joseph Kabila sème la division au sein de l’opposition congolaise comme en 2011 par la corruption, le débauchage et le dédoublement des partis politiques de l’opposition. Mais le pouvoir sait que je suis incorruptible comme je l’ai prouvé depuis vingt ans.
Vous avez vos chances comme candidat de la société civile ?
Oui car nous sommes à la veille d’inventer un nouveau modèle de développement innovant et durable. Je veux offrir une alternative politique crédible et consciencieuse. La RDC – et le Congolais le savent bien – a besoin d’hommes visionnaires et responsables.
Ainsi, j’ai initié avec un groupe des Congolais de la diaspora un mouvement politique, la FEDER (Fédération des démocrates et des républicains), qui vise à fédérer tous les candidats indépendants afin de remporter haut la main l’élection présidentielle dans mon pays.
Quelle est votre ligne politique en quelques mots et qu’est-ce qui vous différencie des autres candidats ?
Je suis un républicain libéral et j’ai une vision ambitieuse pour notre pays, à savoir un Congo fort, uni et rassemblé dans sa diversité et dans la paix, un Congo prospère par le travail et grâce à la coopération régionale et internationale autour d’un idéal : « Le vivre Ensemble ». Je vise la pacification et la sécurisation du territoire national, la libre entreprise dans un cadre et un climat d’affaires sûr et favorable ainsi que la redistribution des revenus de manière équitable. Il est temps de passer à la IVème République, de reformer, de moderniser sur des bases libérales et de démocratiser réellement notre pays avec une nouvelle génération de leaders consciencieux et compétents.
Mes priorités seront mises en œuvre autour de dix axes majeurs constituant le fondement de mon projet politique : la restauration des valeurs civiques et morales ; la lutte contre la pauvreté et l’exclusion ; le rétablissement de l’autorité de l’Etat, de la paix et sécurité, et l’unité de la nation ; la mise en œuvre d’une politique macroéconomique efficace et la protection de l’environnement ; rassurer et restaurer la confiance de nos partenaires économiques et les investisseurs par la simplification des démarches de création des entreprises ; la construction et le développement des infrastructures de base ; la mise en route d’une politique du bien-être social ; la performance du capital humain et la revalorisation de l’enseignement ; l’instauration d’une vraie gouvernance politique et démocratique ; la professionnalisation d’une diplomatie de développement.
Quant à ma personne, j’ai une double culture (africaine et occidentale), j’ai les mains propres et toute ma dignité. Mon parcours professionnel dans le monde de la santé en atteste. J’incarne la vraie alternance, une vraie politique de rupture avec le passé pour un nouveau leadership. J’ajoute que je n’ai pas, comme d’autres, usurpé la nationalité congolaise : j’aurais pu devenir Français à de nombreuses reprises, ce qui m’aurait été utile dans ma carrière en France, mais j’ai refusé ma naturalisation par respect pour notre Constitution qui ne reconnaît pas la double nationalité.
Je remercie la France de m’avoir accueilli mais mes pensées et mes actions sont tournées vers le redressement de mon pays, la RDC. Il est temps que la société civile prenne ses responsabilités et je compte en prendre le leadership après le fiasco de plus de cinq décennies de pouvoirs militaires.
La communauté internationale ne soutient-elle pas Kabila au nom de l’impératif de stabilité dont le monde a tant besoin ?
Mais la stabilité, ce n’est pas Kabila. Monsieur Joseph Kabila n’est pas la solution mais le problème de la RD Congo. Et le plus grand pays francophone au monde en termes de population [NDLR : avec 79 millions d’habitants recensés] a besoin que la communauté internationale aide à faire bouger les lignes. La France par exemple a aidé à empêcher la balkanisation du pays. Le président Emmanuel Macron, dont il faut saluer les prises de position pour un nouveau partenariat avec l’Afrique, peut nous y aider.
Vous allez donc déposer votre candidature d’ici fin juillet ?
Oui et je vais me rendre à Kinshasa pour déposer mon dossier de candidature à la Présidentielle, rencontrer et rassembler tous mes partisans et le peuple congolais.
Propos recueillis par Michel Taube