On ne saura jamais qui fut le plus ridicule à la réunion du G7 : Trudeau clamant sur le mode d’un Habemus Papam « Nous avons un Communiqué ! » -ou les media s’envolant dans un délire sur l’Harmonie universelle commerciale que ce seul Communiqué était censé annoncer. On ne saura jamais non plus qui fut le plus stupide, après, quand Trump torpilla ledit Communiqué au motif que le même Trudeau s’était lancé, l’encre du Communiqué à peine sèche, dans une violente diatribe anti-américaine.
Toute la crise du multilatéralisme était là, ce jour, en condensé : dévotion aux principes universels – mais hypocrisie et poursuite des agendas individualistes par derrière ; critiques tellement violentes de Trump que l’on subodore qu’il y a quelque chose d’autre en dessous de ce qui est dit ; bruits de « guerre » économique savamment créés et entretenus, etc. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Le beau rêve de Wilson
C’est vrai que l’idée multilatérale avait son panache. Wilson avait convaincu à Versailles que les affaires du monde gagnaient à être gérées par la collectivité des Etats regroupés en une organisation mondiale – et non dans le secret des cabinets de quelques puissants. L’idée fit son chemin après Wilson. On eut l’essai raté de la SDN, puis l’ONU et l’ensemble des Agences multilatérales spécialisées, créées précisément pour permettre de mieux gérer collectivement les problèmes de la planète.
Dans sa philosophie même, le système de pensée multilatéral apparaissait juste et parfait. La théorie économique en soutenait le principe fondamental : une négociation où tous participent – même difficile – vaut mieux que cent négociations menées bilatéralement par chacun. La pratique des décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale confirma cette puissance du multilatéralisme et, sur un grand nombre de sujets économiques, sociaux ou politiques, on put progresser rapidement grâce à cette approche nouvelle des relations internationales.
Les premiers dérapages
Les choses commencèrent de se gâter quand on voulut instrumentaliser le multilatéralisme en le pratiquant dans un but de domination.
Il y eut d’abord, le nombre – qui n’aurait jamais dû intervenir dans les débats multilatéraux. La négociation est un exercice collectif de résolution de problème : on ne sort que quand et si un consensus est atteint entre tous. S’il n’y a pas de consensus, on revient simplement à la démarche bilatérale
Dès lors, dire « au sommet, on sera 6 et lui (Trump) sera tout seul » comme on l’entendit à Paris, c’était montrer qu’on ne comprenait rien au système. L’approche multilatérale aurait été : on sera 7 – ou… rien du tout. Et, de fait, il y a eu… rien du tout. Un système multilatéral n’est pas un parlement ou une cour arbitrale où le nombre compte ; aucun rapport de force n’est là pour contraindre une minorité à se ranger derrière une majorité. Trump n’a donc pas pu être « minoritaire ». Il n’a pas pu être le « vilain » qui a fait tout rater car le « tout » l’incluait – et sans lui, le sommet n’existait pas. La tentation de dévoyer le multilatéralisme en en faisant une arme pour « punir » les minoritaires a toujours été présente. Pensons ici au Monde arabe qui, depuis des décennies, organise vote sur vote au Conseil de Sécurité et à l’Assemblée générale des NU pour tenter de « punir » Israël – ce qui n’aboutit à rien d’autre qu’à miner le système multilatéral du dedans.
L’utilisation du droit international
Le dévoiement du système multilatéral fut aussi aggravé par toutes les tentatives d’instrumentaliser le « droit international » – pour permettre à certains d’avancer leurs pions au détriment d’autres, accusés de comportement « illégal ».
Certes, le système multilatéral vise à long terme à ce que la communauté des Etats se mette d’accord sur des normes juridiques communes qui renforceront sa solidité. Mais il reconnait par-dessus tout qu’il opère dans un monde international qui est un monde politique informel où tout ne peut que s’équilibrer : ceux qui voudraient prouver l’illégalité d’une action se heurteront toujours, nécessairement, à ceux qui, au contraire, en affirmeront la légalité. Et ceci, encore bien davantage en matière de commerce international où, aide au développement et protection des économies nationales obligent, on a capillarisé le droit en multipliant dérogations, exemptions et autres passe-droit.
Dès lors, dire à Trump qu’il est « dans l’illégalité », c’est tenter à bon compte de se vêtir de vertu pour culpabiliser l’autre – alors même que cet autre est, pour l’instant encore, dans une démarche multilatérale qui, par définition, ne doit être ni normée ni limitée. La rebuffade téléphonique dont le Président de la République aurait été victime ne doit donc pas étonner. Utiliser le droit comme arme, c’est sortir du multilatéral – et c’est ipso facto retrouver la situation où la force, sous toutes ses formes, redevient l’argument incontestable.
Une « guerre » commerciale : et alors ?
L’imminence d’une « guerre » commerciale catastrophique nous est annoncée – et cela ne peut manquer de faire sourire. Le monde a vécu plus de quarante siècles dans le bilatéralisme et il a pu surmonter des millions de disputes commerciales. Certes, le résultat ne fut peut-être pas toujours « optimal » – mais il n’y a jamais eu de fin apocalyptique comme celle qui nous est prédite.
En fait, la virulence des accusations lancées contre Trump – dans le domaine commercial comme dans celui des relations internationales – devrait nous faire réfléchir. Pourquoi la crainte d’un retour au réel que provoqueraient un nouveau bilatéralisme, même « light », ou même un vrai multilatéralisme est-elle si forte chez certains ? De quoi a-t-on peur ? Personne ne sait même si Trump sortira vainqueur de ce retour au rapport de force qu’il semble vouloir imposer !
Avouons-le : la situation présente doit être sacrément avantageuse pour certains pour que l’on ait si peur de ce qui pourrait la remettre en question.
José Garson
José Garson a travaillé comme Professeur de Négociation internationale et de Diplomatie pour plusieurs Ecoles diplomatiques nationales (Fance, Italie, Maroc, Pologne, etc,..) et pour la section « Diplomates » de l’UNITAR à Genève et à Vienne. Il a aussi enseigné la négociation au Collège d’Europe à Bruges et à Varsovie pendant près de vingt ans. En parallèle, il a été consultant puis cadre des Nations Unies à New York, en charge de questions relatives au financement du développement.