Opération de politique intérieure autant qu’humanitaire, l’accueil des migrants de l’Aquarius par le nouveau gouvernement espagnol constitue également un pari dangereux pour un pays dont le flanc sud constitue une force d’attraction pour les puissantes mafias de traite d’êtres humains.
La décision de Pedro Sanchez, tout nouveau chef de l’exécutif espagnol, d’accueillir les réfugiés de « L’Aquarius » a surpris en Espagne comme en Europe. Les déterminants de la décision, aussi subite qu’inattendue dans la première semaine d’installation du gouvernement socialiste à Madrid, font sans aucun doute appel à la volonté du nouveau jeune leader d’inscrire symboliquement sa première décision dans un registre de gauche. Mais la conviction humanitaire n’a sans doute pas été la seule raison de ce choix. Sans doute Pedro Sanchez a-t-il voulu signifier d’abord le retour en force de l’Espagne sur la scène européenne après des années de mandat de Mariano Rajoy marquées par une extrême discrétion diplomatique de Madrid et, à l’exception du dossier kosovar, par un alignement sans surprise sur le « mainstream » Bruxellois. Mais plus encore qu’à une politique européenne, c’est surtout à une logique d’équilibre politique interne qu’obéit la décision d’accueillir les migrants de « L’Aquarius ». En effet, avec un gouvernement socialiste monocolore reposant sur 84 députés sur un total de 350 aux Cortes, la marge de manœuvre de Pedro Sanchez est largement tributaire du bon vouloir de ses alliés de circonstance, à commencer par les 67 députés de Podemos, équivalent ibérique de « La France Insoumise ».
Le pari d’une alliance risquée
Cette décision du nouveau pouvoir socialiste ne manque pas de poser un certain nombre de questions : la première c’est la nature même de l’équilibre à trouver entre un parti socialiste de gouvernement, européiste et économiquement libéral, et un support parlementaire ancré dans la contestation du système, y compris sur la forme monarchique de l’Etat. Il n’y a pas de doute que l’épisode de « l’Aquarius » illustre à la fois la volonté du nouveau Premier ministre d’utiliser des interstices de convergence avec les composantes les plus à gauche de son incertaine majorité, autant qu’elle illustre la difficulté à en généraliser l’exercice. En effet, malgré la multiplication des gestes symboliques ancrés dans le registre « sociétal », comme la constitution d’un gouvernement largement féminisé ou le refus du chef de l’exécutif de prêter serment sur la Bible, il est vraisemblable que ces « mesures de confiance » à destination de la gauche et de l’ultra gauche ne sauraient suffire à établir les bases d’un authentique pacte de gouvernement, à défaut d’un pacte de législature. Si les premières mesures symboliques constituent un signal de connivence avec la gauche, elles ne peuvent cependant servir à combler les divergences de fond que l’exercice du pouvoir ne manquera pas de faire rapidement apparaître, en particulier dans la politique économique, sociale et territoriale. Il en ira de même – mais cette fois avec des convergences plus étonnantes qui échappent à la logique binaire droite-gauche – en ce qui concerne le dossier chaud de la Catalogne, sur lequel Pedro Sanchez est attendu de pied ferme par son opposition de centre droit, par les composantes du parti socialiste les plus attachées à l’unité de l’Espagne et par ses voisins européens dont on sait qu’ils n’ont que peu d’appétence face au risque de balkanisation de la péninsule. De l’autre côté du spectre majoritaire, Podemos et son leader maximo, Pablo Iglesias, marqueront, eux aussi, des lignes rouges à ne pas dépasser en matière de politique sociale, européenne, de défense. Sans parler une fois encore du dossier Catalan sur lequel on sent un profond malaise de la direction de Podemos.
Quel rôle pour l’Espagne dans la crise des migrants ?
Si l’affaire de « l’Aquarius » est donc tombée à pic pour illustrer la geste sociale et humanitaire du nouveau gouvernement et la profondeur de l’accord parlementaire qui lie le Parti socialiste l’extrême gauche, elle n’en demeure pas moins incapable par elle-même de donner une cohérence à l’union de forces politiques que tout ou presque oppose en réalité. Face au front du refus emmené désormais par l’Italie, l’accueil unilatéral par l’Espagne de ce bateau de migrants risque d’apparaître comme un feu de paille humanitaire s’il ne s’inscrit pas dans la durée et n’est pas suivi par d’autres actions de même nature, ce que semble exclure le prudent nouveau ministre des Affaires étrangères et ancien président du Parlement européen, José Borell.
Pour l’Europe, la question est de savoir si l’Espagne de Pedro Sanchez entend jouer en 2018 la même partition que celle de la chef d’orchestre Merkel en 2015, pour pousser avec les pays qui le veulent encore à la création d’une authentique politique européenne d’accueil des migrants qui résonne toujours plus mal aux oreilles des électorats. Au moment où une nouvelle vague d’embarcations s’élance des côtes marocaines vers le sud de la Péninsule, le pari est difficile pour le nouveau pouvoir espagnol. Celui-ci ne semble pas avoir pas totalement mesuré l’effet « feu vert » de sa décision sur des populations de migrants vulnérables et désespérées ni sur les mafias organisées qui contrôlent et dirigent d’une main de fer les routes des migrations illégales vers l’Europe.
François Vuillemin, conseiller éditorial d’Opinion Internationale