Opinion Internationale : M. Olivier Peraldi, pourquoi les services à la personne ont-ils besoin d’un second souffle, pour reprendre le terme de vos Assises nationales ?
Olivier Peraldi : Beaucoup a été fait depuis le plan Borloo en 2005, qui avait en quelque sorte greffé un cadre règlementaire une réalité économique déjà effective. Mais les services à la personne ont besoin d’un second souffle, car nous sommes arrivés au bout d’un cycle débuté en 2010 avec une instabilité fiscale et règlementaire de notre secteur se traduisant notamment par la suppression ou la réduction de plusieurs exonérations, des augmentations de TVA, la suppression du forfait pour les entreprises mandataires et plus récemment la suppression annoncée du CICE pour nos métiers. Certaines déclarations gouvernementales laissent même entendre une nouvelle hausse de la TVA… Il est urgent de sortir de cette instabilité.
Concrètement, qu’attendez-vous des pouvoirs publics pour inverser cette tendance ?
450.000 à 500.000 emplois ont été créés dans les services à la personne depuis 2005. Ces emplois sont sortis du circuit du travail au noir pour entrer dans celui de l’économie légale, grâce au cadre fiscal dont la branche a bénéficié jusqu’en 2010, avant que les différents gouvernements, de droite comme de gauche, l’aient érodé. Sortir de ce cycle, c’est obtenir une stabilité réglementaire et fiscale. Nous demandons aussi que le CICE ne soit pas supprimé pour nos entreprises, car à la différence des autres secteurs économiques, nous sommes en concurrence avec le travail au noir et nous ne pouvons reporter sur nos prix une hausse du coût de réalisation du service légal. Nos assises vont mettre en avant cette spécificité.
Si l’on veut vraiment que notre secteur crée les 1.2 million d’emplois que France Stratégie a annoncé en 2015 pour 2022, il est impératif de stabiliser la réglementation, de cesser de surenchérir le coût du travail avec pour effet un déficit de compétitivité par rapport au travail illégal et, enfin, de susciter une véritable ambition des pouvoirs publics à notre égard.
Depuis un an au pouvoir, Emmanuel Macron a-t-il compris que les services à la personne sont un gisement d’emplois décisif ?
On a envie d’y croire, mais tout reste à faire. Nous discutons avec le gouvernement depuis un an sur la mise en place de la subrogation du crédit d’impôt des services à la personne. En pratique, lorsque vous consommez 100 € de services à la personne, vous savez aujourd’hui que vous bénéficiez d’un crédit d’impôt de 50 € remboursé au moment de la liquidation de l’impôt, c’est-à-dire de nombreux mois après votre consommation. La mise en place de la retenue à la source est pour nous une opportunité que le gouvernement semble avoir comprise pour mettre en place en même temps cette subrogation. Ainsi, pour 100 € consommés, on ne débourserait concrètement que 50 €, l’autre moitié étant créditée directement au bénéfice de la structure associative ou entrepreneuriale qui réalise le service à domicile, pour tous nos métiers dont la garde d’enfant, le jardinage, le soutien scolaire, ou l’aide aux personnes âgées ou handicapées… Des annonces en ce sens sont attendues de la part des pouvoirs publics, ce qui nous donne à espérer.
Mais pour le moment, aucune solution concrète n’a été annoncée pour nos entreprises et associations afin de compenser la suppression du CICE. Dans la mesure où elles bénéficient déjà d’exonérations partielles de charges, nos structures, qui sont toujours en concurrence avec le travail au noir, ne bénéficieraient pas des nouvelles exonérations annoncées. Il faut donc aller plus loin, en mettant en place une compensation adaptée aux contraintes de nos métiers. Nous n’avons pas de calendrier pour une éventuelle subrogation, contrairement à l’annonce de la suppression du CICE, à laquelle s’ajoutent les hypothèses d’augmentation de TVA qui ne manquent pas de nous inquiéter.
Nos assises vont être ouvertes par Antoine Foucher, le directeur de cabinet de Madame Penicaud, ministre du travail, ce qui montre que le gouvernement a compris que la question des services à la personne était d’abord une question d’emploi, plus même qu’une question sociale. Il est donc très important pour nous que le gouvernement marque qu’il a bien à l’esprit que les services à la personne relèvent d’abord de la politique de l’emploi.
La e santé, en particulier la santé connectée, va-t-elle révolutionner les services à la personne ?
La e santé est un point extrêmement important tout comme de façon plus générale l’environnement numérique de la personne et de son domicile. C’est pour nous un sujet majeur, qui nous a amenés à nous rapprocher notamment d’acteurs de la silver économie et du numérique.
Nous travaillons par exemple avec Orléans Métropole sur la numérisation du domicile appliqué à nos métiers. Nous siégeons au conseil d’administration du gérontopôle des Pays de la Loire et de celui d’Ile de France, ce qui illustre l’importance que revêt pour nous la coopération avec les professionnels du service comme ceux du soin.
La e santé fait partie de cet environnement et est un indéniable facteur de croissance. Cela se traduit par deux axes de travail : la coordination entre les professionnels du service et ceux du soin, et la co-conception d’outils numériques en liaison avec les start’up et les différents professionnels concernés. Nous, qui apportons par exemple de l’aide aux personnes âgées, demandons depuis plusieurs mois aux industriels de s’engager dans une démarche de co-conception des produits et services associés au domicile avec les professionnels des services à la personne. Sans attendre, nous travaillons déjà avec le CEA Tech de Grenoble pour dégager les grandes tendances de l’offre de services et de soins autour du domicile numérique de demain, ce qui débouchera sur un rapport qui sera publié le mois prochain.
La santé connectée implique un transfert et un traitement de données médicales, donc sensibles. Le Règlement européen sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) ne vous semble-t-il pas trop contraignant ?
Le RGPD est absolument nécessaire. Nous étions même la première fédération professionnelle à nommer un Délégué à la protection des données, mutualisé pour la branche. Nous l’avons fait dès novembre 2016, sans même attendre l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018. Mais espérons que ce règlement et les lois qui en découlent ne deviennent pas trop contraignants en ce qu’ils entraveraient le développement des entreprises. Il faut trouver un juste milieu. Ce n’est pas encore le cas, mais nous y travaillons en coopération avec la CNIL dans le cadre de groupes de travail.
Propos recueillis par Raymond Taube, chef de rubrique « Droits pratiques » et directeur de l’IDP (Institut de Droit Pratique).