Décideurs engagés
08H45 - mardi 3 juillet 2018

Mutation du travail : que sera l’entreprise de demain ? Les Rencontres Capitales ouvrent le débat

 

Opinion Internationale consacre une rubrique aux Rencontres Capitales en publiant chaque mardi matin la synthèse d’un débat de l’édition 2018.

C’est avec le débat sur l’entreprise de demain que se sont poursuivies les Rencontres Capitales 2018 consacrées à « mémoire et mutations » organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France.

91% des salariés se disent aujourd’hui désengagés de leur travail et la moitié de nos métiers aura disparu dans dix ans. Dans le même temps, la jeune génération, Start Up en étendard, redonne de nouvelles vertus à l’entreprise. Tout, depuis quelques années, semble changer au sein de l’entreprise : rôle du manager, hiérarchie, formation, attrait des start-ups, essor du free-lance, digitalisation… Comment le monde du travail s’adapte-t-il à ces bouleversements ? Quel visage aura l’entreprise demain ?

 

Les jeunes salariés en savent plus que leur patron !

Alice Zagury est cofondatrice et directrice de The Family, une société qui accompagne les start-ups dans leur prise de risque et leur internationalisation. Elle constate un changement du rôle du manager. «Le manager, dans les start-ups, mais aussi de plus en plus dans les grands groupes qui innovent, ce n’est pas celui qui donne les règles, mais celui qui se met au service de son équipe. (…) Le leader va chercher à se rendre inutile et non pas à apparaître comme un héros providentiel qui va faire le succès de l’entreprise. » Maurice Levy, Président du conseil de surveillance de Publicis Groupe, confirme cette idée : « on voit aujourd’hui se développer, dans l’entreprise, une organisation plate : un système horizontal se substitue peu à peu à la hiérarchie qui dominait jusque-là. » Olivier Roussat, président-directeur général de Bouygues Telecom, constate aussi cette évolution : selon lui, les entreprises sont aujourdhui dans l’obligation de travailler «beaucoup plus en tribu ». Les jeunes générations connaissent désormais des choses que leurs supérieurs ne connaissent pas : «iI faut donc faire une pyramide inversée, tenir compte de ce que les jeunes collaborateurs apportent.»

 

Des start-ups de plus en plus attractives

Maurice Levy s’appuie sur une étude récente pour illustrer l’attrait des jeunes entreprises. « 51 % des Français ont envie de travailler dans une start-up et 22% d’entre eux ont envie de la créer. » José Milano, directeur général de la Kedge Business School, confirme cet engouement. Si, il y a encore cinq ans, il ignorait combien de ses étudiants allaient créer des entreprises, aujourd’hui, le constat est fort : en master 2, un quart d’entre eux a déjà crée une entreprise. «Dans les écoles, on voit émerger des savoirs, mais aussi des comportements et des rapports à la société et à l’entreprise complètement différents. »

Le succès des entreprises repose de plus en plus sur un équilibre entre compétences techniques et compétences relevant des sciences sociales et de la compréhension du monde. Il
faut à la fois comprendre le marché et comprendre la technologie. « Les start-ups qui survivent sont souvent composées de compétences hybrides », constate José Milano. «Vous y trouvez des techniciens, des ingénieurs, mais aussi des étudiants en école de commerce. Il faut fabriquer cette hybridation. »

 

L’évolution technologique transforme notre travail, nos vies…

Gérard Berry, membre de l’Académie des Sciences, informaticien et professeur au Collège de France, rappelle que la révolution numérique à laquelle nous assistons est due à l’invention de l’ordinateur, qui fut la première machine universelle. « Les jeunes n’ont aucun problème à assimiler cela, mais c’est beaucoup plus compliqué pour les adultes. » Il y a trois ans, on évoquait le bouleversement qu’allaient provoquer les imprimantes 3D. Aujourd’hui on cite l’intelligence artificielle. « Cela ne va pas tout bouleverser, mais cela va faire des choses formidables», poursuit-il. Charles Relecom, président-directeur général de Swiss Life France, voit aussi une aubaine dans cette digitalisation : elle apporte des solutions dont l’entreprise rêvait il y a quelques années. «Il y a bien sûr des métiers qui disparaissent, mais si on accompagne bien nos collaborateurs, la digitalisation leur permet d’être transportés vers de nouvelles fonctions. Et cela crée des nouveaux métiers au sein de notre entreprise. » L’entreprise a par exemple lancé LaFinBox, le premier agrégateur de comptes bancaires et  d’assurances qui permet d’avoir une vision totale de son patrimoine.

Pour Maurice Lévy, nous vivons actuellement une quatrième révolution industrielle. «Le numérique change tout, il change le comportement des hommes et des femmes de la planète. Tout le monde a son téléphone portable, prend des notes dessus, cherche des informations en permanence. En Afrique, le portefeuille monétaire sur téléphone est beaucoup plus développé qu’en Europe. »

 

De nouveaux rapports au travail et à l’entreprise

Travail à temps partiel, développement du free-lance : le rapport à l’entreprise a changé. Aujourd’hui, beaucoup de personnes ayant une compétence à un instant donné souhaitent la monnayer auprès d’une entreprise, puis aller travailler pour un autre client. Pour Olivier Roussat, « ce qui compte, c’est d’attirer les collaborateurs, auto-entrepreneurs et consultants autour d’un projet donné. (…) Les grandes entreprises ont pris conscience qu’il y a des choses qu’elles ne savent pas faire elles-mêmes, c’est une vraie posture d’humilité, quand elles font appel à des start-ups. » Un grand groupe de plusieurs milliers d’employés peut désormais instaurer un dialogue avec une petite structure de vingt personnes.

Autre évolution notable, avec le développement du télétravail et des smartphones, il est de plus en plus difficile de savoir où commence et où s’arrête le travail. Un quart des salariés de Swiss Life utilisent le télétravail. « Les outils sont devenus parfaits pour travailler à distance, constate Charles Relecom. La flexibilité du travail est appréciée par nos collaborateurs : elle permet de mieux s’adapter à leur vie familiale et à leurs contraintes. » Gérard Berry avance que l’idée de travailler à heures fixes va s’éteindre peu à peu et cite un nombre de métiers où cela a toujours été le cas : paysans, artistes, architectes.

 

Quelle place pour la France ?

Si de nombreuses start-ups se créent, beaucoup ne passent pas la phase du démarrage. Et selon Gérard Berry, « quand les start-ups réussissent, elles deviennent trop souvent américaines. » Alice Zagury constate aussi que ses meilleures entreprises partent aux Etats-Unis, parce que c’est là que sont les investisseurs. A l’heure de Trump, elle note néanmoins que la Silicon Valley n’est plus le seul phare que l’on regarde en termes d’innovation. «Il y a la Chine bien sûr, mais il y a aussi une place à prendre en Europe pour créer un écosystème fort.» Pour éviter la fuite des talents vers l’étranger, Maurice Lévy salue le fait qu’en France, le Président actuel utilise le terme « transformation ». «C’est nouveau ! Il y a quelques années, on avait un Président de la République qui disait « on ne touche à rien, notre modèle social est le meilleur, on ne change pas les fondamentaux ». Or, pour s’adapter, il faut changer les fondamentaux. »

 

Les femmes, au cœur de l’entreprise, quand ?

Gérard Berry constate que le nombre de femmes en sciences dures est en diminution. « Deux jeunes bachelières sont venues me raconter qu’elles avaient voulu faire de l’informatique, mais que leur conseiller pédagogique leur avait déconseillé cette voie en disant qu’elles n’était pas pour les femmes. Il y a donc deux drames : on déconseille aux femmes de faire ces métiers, et elles le prennent en compte.» De son côté, Alice Zagury s’interroge : «Où sont les femmes aujourd’hui ? Combien de femmes dans les comités exécutif d’entreprises ? » Elle explique n’avoir pas attendu qu’on lui ouvre la porte pour devenir présidente de son entreprise. Pour Olivier Roussat, afin d’attirer les meilleurs talents, il faut que les entreprises leur ressemblent : cela passe donc aussi par une présence plus importante des femmes aux postes-clés. «Chaque entreprise a la responsabilité de tordre le modèle. »

 

Johanna Seban

 

 

Revivez l’intégralité du débat en vidéo.

Rendez-vous mardi 10 juillet pour la synthèse du sixième débat : « santé : quelles sont les grandes mutations qui vont changer nos vies ? »

Retrouvez dès à présent les premières synthèses des Rencontres Capitales dans la rubrique d’Opinion Internationale qui y est dédiée.

Les Rencontres Capitales 2018 sont organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France en partenariat avec : APCMA, ENGIE, FIDEXI, Fondation pour l’Audition, KEDGE, SwissLife, La Tribune, France 24 et BFM TV accompagnés de CEA, INSERM, Nova, RFI, Stonepower et Maison des Journalistes.

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