Opinion Internationale consacre une rubrique aux Rencontres Capitales en publiant chaque mardi matin la synthèse d’un débat de l’édition 2018.
C’est avec le débat sur les enjeux de santé que se sont poursuivies les Rencontres Capitales 2018 consacrées à « mémoire et mutations » organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France.
La science vit actuellement une véritable révolution et une accélération de ses moyens d’action, inédites dans l’histoire. Génétique, bioéthique, allongement de la vie… Mais concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour nous ? Neurosciences et génétique ont aussi bouleversé la médecine et n’ont pas fini de livrer leurs secrets. Les avancées significatives attendues ces prochaines années laissent encore espérer de nouvelles stratégies thérapeutiques et des traitements ambitieux, innovants, voire révolutionnaires. Comment rendre tous ces progrès accessibles au plus grand nombre, chez nous et à l’échelle de la planète ? Et au final, quels sont les progrès les plus attendus ?
Les récentes avancées les plus importantes
Les fruits de la recherche et les développements de nouveaux outils ont grandement contribué à de meilleurs dépistages et à la mise au point de traitements pour des maladies jusque-là incurables. Ainsi les outils d’imagerie cérébrale comme l’IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) et l’EEG (Electroencéphalogramme) ont-ils permis de mieux détecter certaines pathologies. Côté traitements, Jean-Christophe Rufin, médecin, historien, écrivain, diplomate et membre de l’Académie française, s’appuie sur l’exemple du sida : « Pour la première fois, une épidémie a été traitée au niveau mondial sans vaccin ». Autre avancée, la connaissance du génome humain qui permet de diagnostiquer des maladies génétiques ainsi que des susceptibilités à l’apparition de cancers. Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, professeur à l’Institut Pasteur, Pascale Cossart insiste pour sa part sur la véritable renaissance que vit à l’heure actuelle la microbiologie et à l’intérêt croissant porté à l’étude des bactéries.
L’intelligence artificielle au service de la médecine
En simulant certains traits de l’intelligence humaine comme le raisonnement ou l’apprentissage, des systèmes informatiques complexes vont produire des calculs impossibles à réaliser pour le cerveau humain. Cette puissance de traitement informatique permet par exemple de tracer l’activité cérébrale d’un groupe de patients afin que le logiciel puisse apprendre puis diagnostiquer d’autres cas en fonction des données accumulées. Cette assistance contribuera à améliorer l’analyse d’images. De même, la chirurgie bénéficiera des apports de la réalité augmentée et des systèmes sophistiqués d’analyse d’images. « Il y aura de multiples applications qu’il faudra borner mais qui seront indispensables comme la connexion via notre smartphone à nos médecins, qui suivront un certain nombre de paramètres et adapteront nos traitements » prévoit Alain Fischer, médecin, professeur d’immunologie pédiatrique et chercheur en biologie, cofondateur de l’Institut Imagine-Necker, professeur au Collège de France.
Quelle part pour l’humain dans la recherche ?
« L’intelligence artificielle ne doit pas nous dispenser de réfléchir. Mais elle peut servir de levier et accomplir des tâches pour nous comme pour la médecine préventive », assure Idriss Aberkane, essayiste, spécialiste de l’économie de la connaissance et des neurosciences. « Comparer le microbiote de quelqu’un en bonne santé avec celui d’un patient atteint d’une infection donnera une indication de ce qui a produit cette infection. En accumulant les données sur toutes les infections, on pourra réaliser des diagnostics », confirme Pascale Cossart.
Face au danger de mécanisation de la médecine déjà rencontrée en psychiatrie, par exemple, Lionel Naccache pointe aussi l’importance d’utiliser l’intelligence artificielle comme un auxiliaire permettant de libérer les ressources du corps médical afin qu’il puisse se consacrer à des tâches vraiment humaines. La même prudence est aussi de mise à l’égard des neurosciences qui s’invitent dans de plus en plus de débats comme l’éducation, la santé, la justice ou la prise de décision. « Il faut que le citoyen soit capable de penser par lui-même ces questions. Il faut qu’existe une culture cérébrale minimum afin de ne pas rester sidéré par un discours mais pouvoir penser, se positionner et avoir une opinion de citoyen », ajoute t-il. Un conseil renforcé par la crainte de Jean-Christophe Rufin : « Il faut mettre en garde étudiants et jeunes médecins contre le vertige des innovations à venir. Non pas qu’elles soient inutiles mais la médecine, quand je l’ai choisie, était une discipline littéraire, de culture, pratiquée par des gens qui s’intéressaient à l’individu ». L’enjeu de toute recherche devrait donc être de ne pas la faire dévier de cette mission première.
La santé face aux inégalités
Sida, cancers, hépatite C… Des traitements ont enfin vu le jour pour combattre ces maladies graves. Mais que ce soit en France ou plus encore, à l’échelle de la planète, nous ne sommes pas tous égaux face à elles à cause du coût encore élevé de certains traitements. Le prix d’un médicament contre l’hépatite C a baissé de moitié en plusieurs années mais s’élève encore à 40.000 euros tandis que certains traitements du cancer tout juste mis sur le marché reviennent à environ 500.000 euros par malade. « La bonne nouvelle, c’est qu’il y aura plein de nouveaux traitements de ce type dans les années qui viennent. Mais la mauvaise nouvelle, c’est que si on continue avec ce genre de prix de médicaments, l’équation économique est juste intenable », prévient Alain Fischer.
D’autres inégalités apparaissent comme des véritables causes de santé publique qui doivent être traitées par la société elle-même. Ainsi l’alimentation diffère-t-elle entre couches sociales aisées et défavorisées, avec des conséquences graves sur la santé. « Il ne faudrait pas arriver à une fracture sociale due aux moyens consacrés à l’alimentation qui à moyen terme rendraient obèses ou non », prévient Pascale Cossart en commentant la mortalité qu’entraîne l’obésité.
Un accès aux soins encore plus disparate entre pays
L’inégalité de l’accès aux soins est encore plus criante entre pays riches et pauvres, en fonction des moyens financiers des patients mais aussi dans la façon dont les maladies sont traitées selon chaque pays. « Nous avons dans beaucoup de pays, notamment en Afrique, des systèmes de santé et hospitaliers en très mauvais état, et des efforts ponctuellement portés sur telle ou telle maladie. Pour lutter contre ces inégalités, il faudrait développer les systèmes de santé. On se rend compte que l’approche par maladie ne suffit pas et produit même des effets pervers » remarque Jean-Christophe Rufin. Un acteur économique de poids joue un rôle capital dans l’accès aux traitements. Et Alain Fischer de stigmatiser nos sociétés pour « le laxisme à l’égard de l’industrie pharmaceutique qui doit, certes, tirer un revenu légitime de ses innovations mais pas aux dépens de l’intérêt général ».
Quels progrès les plus urgents à réaliser ?
Au final, ce n’est pas tant la recherche et les avancées de la médecine qui importent que la dimension humaine indispensable à l’accompagnement et au bien-être des patients. « Le soin n’est pas uniquement l’affaire du personnel de santé », insiste Lionel Naccache. « Ces dernières années ont montré l’importance du milieu associatif, en particulier avec le sida. Il faut que la société s’empare aussi des maladies et qu’elles y deviennent de vraies questions ». C’est pourquoi l’avenir doit être pris pour ce qu’il offre d’avancées concrètes. « L’objectif doit rester la santé, le bien-être de l’être humain dans des conditions naturelles, sans se transposer dans des utopies très dangereuses qui virent à de nouvelles formes d’eugénisme », prévient Alain Fischer. Au final, la fin des inégalités apparait comme le plus grand des progrès à accomplir. « Le défi sera de dimensionner la médecine du quotidien à l’échelle de la médecine de pointe qui est en train de naître », conclut Jean-Christophe Rufin.
Pascal Bertin
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Rendez-vous mardi 17 juillet pour la synthèse du débat : « Intelligence artificielle, algorithmes : où allons-nous ? »
Retrouvez dès à présent les premières synthèses des Rencontres Capitales dans la rubrique d’Opinion Internationale qui y est dédiée.
Les Rencontres Capitales 2018 sont organisées par l’Académie des sciences à l’Institut de France en partenariat avec : APCMA, ENGIE, FIDEXI, Fondation pour l’Audition, KEDGE, SwissLife, La Tribune, France 24 et BFM TV accompagnés de CEA, INSERM, Nova, RFI, Stonepower et Maison des Journalistes.