Le 19 juillet dernier le parlement israélien a adopté une loi qui pour la première fois depuis sa création consacre Israël comme « le Foyer national du peuple juif ». Cette loi est critiquée par un grand nombre de politiques, de généraux et d’intellectuels israéliens.
Le Parlement israélien (la Knesset) a adopté le 19 juillet dernier une loi sur l’Etat nation qui pour la première fois depuis sa création consacre Israël comme « le Foyer national du peuple juif ».
Les députés ont approuvé le texte de loi en seconde et troisième lecture à 62 voix pour et 55 contre, et deux abstentions, après des heures de débats houleux.
Pour beaucoup de ses détracteurs, cette loi est discriminatoire envers les Arabes israéliens et les minorités vivant en Israël. Selon ses partisans, la loi sur l’État-nation, place les valeurs juives et les valeurs démocratiques sur un pied d’égalité.
La loi déclare notamment que Jérusalem est la capitale d’Israël, établit que le calendrier hébraïque est le calendrier officiel de l’Etat, et reconnaît Yom Haatsmaout (jour de l’indépendance) et Yom Hazikaron (jour du souvenir) et les fêtes juives. L’une des clauses de la loi rétrograde la langue arabe qui était jusqu’alors langue officielle et lui octroie un statut « spécial », mais stipule également que « cette clause ne porte pas atteinte au statut de la langue arabe avant l’entrée en vigueur de la loi. »
Des articles de la loi supprimés avant le vote
Dimanche 15 juillet, Benyamin Netanyahu et le ministre de l’Education Naftali Bennett sont parvenus à un accord sur la suppression d’une clause très controversée qui permettait à l’État d’autoriser une communauté « composée de personnes ayant la même foi et la même nationalité de conserver le caractère exclusif de cette communauté ». Elle a été remplacée par une clause célébrant « l’implantation juive » en Israël dans des termes généraux.
Les députés ont amendé la loi quelques heures avant son approbation, retirant la clause sur la ségrégation urbaine sur des bases ethniques ou religieuses.
Le président de l’Etat Reuven Rivlin, ne disposant certes pas de véritable pouvoir, avait fait part de ses préoccupations sur la loi (avant ses amendements) une semaine avant le vote de cette dernière. Rivlin a mis en garde que la version précédente de la loi « pourrait porter atteinte au peuple juif dans le monde entier et en Israël et pourrait même être utilisée comme une arme par nos ennemis. »
Le dirigeant sortant de l’Agence juive Natan Sharansky, le procureur général Avichai Mandelblit et le conseiller juridique de la Knesset Eyal Yinon avaient également fait part de leur opposition au texte initial.
Après son adoption, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a salué cette loi et a déclaré qu’il s’agissait « d’un moment charnière dans les annales du sionisme et de l’État d’Israël ». Le Premier Ministre a ajouté : « Nous avons inscrit dans la loi le principe fondamental de notre existence : Israël est l’Etat-nation du peuple juif, qui respecte les droits individuels de tous ses citoyens. C’est notre État, l’État juif. Ces dernières années, certains ont tenté de remettre cela en question, d’ébranler notre raison d’être. Aujourd’hui, nous en avons fait une loi : c’est notre nation, notre langue et notre drapeau. »
La colère des Druzes soutenue par une grande partie d’Israël
Des leaders druzes israéliens, dont trois membres de la Knesset (issus de la coalition, du centre et du centre gauche), ont déposé plainte auprès de la Haute cour de justice contre la loi sur l’état nation juif disant qu’il s’agissait d’un texte « extrémiste » qui discrimine les minorités du pays. Il est à rappeler que comme tous les Druzes israéliens, ces députés ont servi dans les forces de sécurité israéliennes.
« Nous avons uni nos forces au-delà des lignes partisanes parce qu’il s’agit d’une initiative extrémiste de la part du gouvernement contre les arabophones et que c’est une continuation des discriminations qui se trouve dorénavant ancrée dans une loi fondamentale », a déclaré le député Saad au site d’information Ynet. « Pour l’opinion publique druze, qui donne son sang et ses fils pour l’Etat d’Israël, la loi sur l’Etat-nation est un crachat au visage ».
Le ministre de l’Education Naftali Bennett, à la tête du parti de droite HaBayit, a déclaré dans un post en hébreu paru sur Twitter : « Après des discussions avec un grand nombre de nos frères druzes, il apparaît que la manière dont la loi sur l’Etat-nation a été légiférée a profondément blessé ces mêmes personnes qui ont lié leur destinée à celle de l’Etat juif. Et cela, bien sûr, n’était pas l’intention du gouvernement. Ils sont nos frères de sang, qui se tiennent à nos côtés, épaule contre épaule, sur les champs de bataille et qui ont forgé avec nous l’engagement d’une vie. Il est de notre responsabilité à nous, le gouvernement, de trouver un moyen de guérir cette blessure ».
Après le vote, le Premier ministre Benyamin Netanyahu a rencontré des chefs druzes des conseils régionaux pour discuter de la loi de l’Etat-nation. Il a déclaré : « Il n’y a rien dans la loi qui contrevienne à vos droits comme citoyens égaux au sein de l’Etat d’Israël, et il n’y a rien qui porte atteinte au statut spécial de la communauté druze en Israël », a assuré M. Netanyahu aux responsables de conseils des localités druzes.
Ce dimanche 29 juillet, un officier druze a donné sa démission de l’armée et a écrit une lettre ouverte au Premier Ministre israélien pour dénoncer cette loi.
Des anciens chefs d’état-major de Tsahal s’opposent à cette loi et défendent les Druzes
Un courrier écrit par des anciens d’une brigade d’infanterie d’élite survient après une missive similaire écrite par d’anciens membres d’une unité de parachutistes.
L’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne Gabi Ashkenazi, aux côtés d’autres vétérans de l’une des unités d’infanterie les plus légendaires de l’armée israélienne, a rendu public un courrier dans la journée de vendredi qui vient soutenir la communauté druze du pays ainsi que les autres groupes minoritaires. Il dénonce aussi la loi, qui définit l’État juif comme l’état-nation du peuple juif :
« Nous, les officiers, commandants et soldats issus de générations successives de la brigade Golani, souhaitons embrasser, soutenir et partager la douleur de nos frères et sœurs druzes, bédouins et circassiens, ainsi que celle des autres groupes ethniques qui servent dans les forces de sécurité variées et qui ont lié leur destinée à celle du peuple juif demeurant à Sion depuis la fondation de l’Etat », est-il écrit dans la lettre.
Et d’ajouter : « Nous n’avons pas l’intention d’exprimer une opinion politique mais plutôt de rappeler à chacun d’entre nous et à la nation entière d’Israël que ces communautés merveilleuses se sont tenues à nos côtés et qu’elles s’y tiennent encore lorsqu’il s’agit de défendre l’Etat.»
« Nos chères sœurs et nos chers frères – vous êtes une partie inséparable de ce pays. Vous êtes une partie inséparable de ces réussites et vous êtes une partie inséparable de nous. Personne ne peut vous prendre cela », a conclu le courrier.
Cette lettre publique des vétérans de Golani survient vingt-quatre heures après la diffusion d’un communiqué de soutien similaire en soutien aux Druzes et autres minorités de la part de la brigade des parachutistes.
Des anciens chefs de la police demandent de revenir sur cette loi
Lundi 30 juillet, huit anciens officiers supérieurs de la police israélienne ont demandé au Premier ministre de revenir sur cette loi.
Les intellectuels contre la loi
Quelque 180 artistes, auteurs et intellectuels israéliens ont signé une lettre ouverte demandant au Premier ministre Benyamin Netanyahu et aux membres de la Knesset d’annuler la loi sur l’État-nation juif.
Parmi les signataires figurent les auteurs Amos Oz, David Grossman, A.B. Yehoshua. Ces intellectuels écrivent : « Nous – écrivains, scénaristes, dramaturges, universitaires et membres de la communauté des arts et des lettres d’Israël – dénonçons ce coup le plus grave porté aux valeurs d’égalité et de responsabilité mutuelle sur lesquelles la société israélienne est basée et d’où elle tire sa force. »
« Nous exigeons l’abolition immédiate de la loi de l’État-nation, qui crée un fossé entre la société israélienne et le judaïsme américain, discrimine les Arabes, les Druzes et les Bédouins, et sape la coexistence de la majorité juive en Israël avec ses minorités. »
Eric Gozlan