Le projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 prévoit de supprimer l’audience de conciliation, actuellement obligatoire dans les procédures autres que le divorce par consentement mutuel. Doit-on s’en réjouir ?
Selon le gouvernement, cette audience de conciliation est inutile : elle ne débouche quasiment jamais sur la réconciliation des époux, elle leur fait perdre du temps et, cela va sans le dire, elle monopolise des magistrats qui pourraient être affectés à des tâches plus utiles.
Pourtant, nous avons, à l’Institut de Droit Pratique, pour habitude d’expliquer à nos stagiaires se formant au droit de la famille que la tentative de conciliation est LE moment clé de la procédure, celui où l’essentiel se décide, en particulier le sort des enfants et le domicile des époux / parents. Certes, l’ordonnance de non-conciliation rendue à l’issue de cette audience est provisoire, mais cette nature provisoire est, dans une large mesure, théorique : d’une part, c’est généralement le même magistrat qui prononcera le divorce quelques mois plus tard, magistrat qui ne va pas se déjuger en modifiant sa décision initiale sans bonnes raisons. D’autre part, les mois peuvent devenir des années si le divorce est long et conflictuel, ponctué d’expertises, d’une procédure d’appel voire d’un pourvoi en cassation. Durant toute cette période, ce sont les mesures de l’ordonnance de non-conciliation qui s’appliquent, seul un élément nouveau permettant de les modifier en cours de la procédure.
Il ne faut pas se méprendre sur la signification du mot « conciliation ». Le but n’a jamais été que les époux tombent dans les bras l’un de l’autre en sortant du Palais de justice, mais de faciliter un règlement sinon amiable, du moins concerté du divorce et surtout, de ménager les relations entre époux s’ils ont des enfants mineurs, hypothèse dans laquelle ils devront exercer conjointement l’autorité parentale.
Selon Nicole Belloubet, garde des Sceaux, la suppression de la tentative de conciliation ne privera pas le juge de la possibilité d’ordonner des mesures provisoires dès le début de la procédure, donc sur la base des demandes écrites des parties. Le demandeur (ou demanderesse) déposerait une requête à laquelle la partie adverse répondrait le cas échéant par des conclusions, le tout dans un laps de temps très court, avant que le juge tranche sans avoir vu les époux.
Déshumanisation de l’institution judiciaire
Il ne fait guère de doute que la surpression de la tentative de conciliation accéléra les procédures et contribuera à désengorger les tribunaux. Mais elle s’inscrit aussi dans un vaste mouvement de déshumanisation de l’institution judiciaire, en éloignant le justiciable du juge. Peu à peu, la justice devient écrite, basée sur le seul dossier. On peut le comprendre lorsque le litige est d’ordre technique, même si la primauté du dossier sur la plaidoirie est une constante, sauf, dans une certaine mesure, en matière pénale. Le divorce est par essence une matière où l’humain est prépondérant. Qu’est une « bonne mère » ou un « bon père » ? Il advient que la tentative de conciliation tourne à la dramaturgie parfois révélatrice de vérités cachées et impossibles à démontrer, comme la violence conjugale : « Mais Madame la Juge, elle m’a mis hors de moi ! Et en plus, ce n’était qu’une baffe ! ». Il serait souhaitable qu’en cas de conflit aigu, en particulier portant sur le sort des enfants, le juge puisse exiger d’entendre les époux, quitte à ordonner ensuite une enquête sociale, une expertise médico-psychologique ou l’audition des enfants. Mais quoi qu’il en soit, l’audience est appelée à devenir l’exception, audience qui pourrait un jour se dérouler en visioconférence.
D’autres évolutions participent à la déshumanisation de la justice : le recours aux barèmes dans un premier temps, l’intelligence artificielle dans un second. S’agissant notamment du divorce, la pension alimentaire est fixée selon un barème depuis une circulaire de 2010. Certes, le barème n’est qu’indicatif, et ne tient pas compte de certains éléments que le juge devrait prendre en compte selon les termes de la loi (les ressources des deux parents et les besoins des enfants). Mais en pratique, les juges l’appliquent dans la plupart des situations, trop heureux de disposer d’un outil prêt à l’emploi, censé harmoniser les pensions et éviter les erreurs d’appréciation. Il est question, depuis longtemps, que les prestations compensatoires soient également fixées par barème, comme le sont dans un autre domaine les indemnités de licenciement. Quant à l’intelligence artificielle, elle impactera la justice comme presque tous les secteurs de la vie économique et sociale. Nous y reviendrons très prochainement.
Raymond Taube
Directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique