La semaine dernière, devant la Commission d’enquête du Sénat, s’est présenté Alexandre Benalla. Malgré les défis lancés au « Petit Marquis » – et qui rappelaient étrangement le « Qu’ils viennent le chercher » lancé par Emmanuel Macron à l’égard des Institutions lors de son intervention à la Maison de l’Amérique Latine en juillet- Alexandre Benalla a enfin été auditionné. Décryptage des attitudes et enjeux symboliques qui rendent compte des deux visages de Benalla.
La Brute, le Bon et le Truand
L’homme qui s’est présenté au Sénat a surpris tout le monde. Dans la continuité de son intervention télévisuelle sur le plateau de TF1, Alexandre Benalla s’est montré très policé, en costume-cravate, studieux avec ses lunettes sur le nez, calme avec un timbre de voix fluide et lent.
Cette image du « bon élève » rassure et apaise nos imaginaires. Même si elle est en totale contradiction avec les images qui ont fait naître le scandale. Casqué, brassard rouge au bras, mal rasé, Alexandre Benalla avait le 1er mai tous les attributs de la « Brute », voire du « Truand » qui outre-passe ses fonctions, ce 1er mai place de la Contrescarpe à Paris. Les gestes étaient brutaux, excessifs.
Du débordement et de la démesure, il ne restera rien. Au contraire, le bon élève montrera patte blanche en multipliant les « amadoueurs » – excuses orales et inclinaisons de tête respectueuses : Alexandre Benalla est respectueux des Institutions.
Perdre ses interlocuteurs grâce aux détails
Modeste, calme et courtois, Alexandre Benalla s’est montré très procédurier. Trop. Le souci du détail lui a permis de perdre ses auditeurs. En apparence, tout est montré, tout est transparent. Et elle est là, cette magie du langage. Dans les inductions !
Technique utilisée par les hypnotiseurs, les mots sont répétés comme pour forcer le réel. A force de répéter « pour être tout à fait précis », vous devenez persuadé que les propos tenus sont rigoureux et… précis. C’est de la pensée magique. Et cela a fonctionné.
Dans le détail, il faut pourtant lui reposer les questions plusieurs fois pour qu’il réponde. Par exemple, sur la question du Port d’Arme, il faudra lui reposer la question trois fois pour avoir un semblant de réponse satisfaisant. Et bon nombre de parlementaires se sont dits sceptiques sur ce point au final. La photo publiée hier par Mediapart montrant Benalla en 2017, assez fier avec une arme à feu à Poitiers alors qu’il n’avait pas de port d’armes ne fait renforcer les doutes sur ses propos.
En affirmant sa rigueur et son souci du détail, Alexandre Benalla a montré qu’il s’était tout aussi bien préparé à la Rhétorique qu’au Combat.
La stratégie du loup solitaire, et en même temps, des éléments de langage élyséens
Le deuxième mot qui est revenu le plus souvent, après le registre de la « précision », c’est « personnel » – comme dans les termes « motifs personnels ». Les mots de défi prononcés dans les différents médias ont parfois été violents. Trop pour être sincères. Sans doute une manière d’accentuer la prise de décision personnelle : Alexandre Benalla est un électron libre. C’est d’ailleurs seul qu’il s’est présenté devant la Commission. Toute une scénographie pour marquer la solitude de l’ancien préposé à la logistique du Palais Elyséen. C’est la stratégie du loup solitaire.
Sauf à bien tendre l’oreille, on se rend compte que cette mise en scène ne cadre pas avec la musique qui nous est jouée. Les éléments de langage sont un peu trop nombreux pour passer entre les notes.
Déjà, l’expression « Petit marquis » a de quoi surprendre. On se souvient du sobriquet justement utilisé par Laurent Fabius à l’égard d’Emmanuel Macron, qu’il qualifiait de « Petit Marquis Poudré ». Le respect des institutions lourdement affiché (malgré les défis sous-jacents), les expressions « fake news » et « maître des horloges » sont d’autres éléments sémantiques qui plaident pour un jeu d’acteur, dirigé de main de maître depuis l’Elysée.
Elodie Mielczareck
Sémiologue, spécialisée dans les dynamiques comportementales verbales et non verbales, et les stratégies de communication et de positionnement : analysedulangage.com.