L’associé fondateur de StragIS interpelle les métiers des « transformeurs » et des « makers » en vue d’éviter le gâchis des transformations numériques sauvages.
Lobotomisé avant d’être colonisé ? Il devient de plus en plus commun d’entendre des sonnettes d’alarmes alertant sur une potentielle « colonisation numérique » perpétrée par les GAFA étendues aux GAFAM (pour prendre en compte, avec le dernier M, Microsoft, en plus de Google, Apple, Facebook et Amazon) ou par les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, et Uber) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi).
De Marc Andreessen, co-créateur du célèbre navigateur Mosaïc, et sa fameuse tribune publiée en 2011, dans les colonnes du Wall Street Journal, sous le titre de « Software is eating the world » aux écrits dénonçant le « solutionnisme technologique » d’Evgeny Morozov et ceux de la professeure Solange Ghernaouti, et de bien d’autres, une inquiétude grandit et une petite musique arrive aux oreilles des internautes.
Le solutionnisme expliqué par Morozov revient à proposer des solutions digitales à des problèmes qui ne se posent pas vraiment. Or se pose de plus en plus un dilemme : sommes-nous une société malade dont le devenir, désormais numérique, est pris en charge, à distance, à notre insu et de façon irréversible ? Que deviennent démocratie et droits de l’homme dans ce contexte ? L’Homme reste-t-il Homme ou devient-il une vulgaire source de données autorisant méta-gouvernance et servitudes numériques ? De la « servitude numérique volontaire » aurait titré La Boétie de nos jours.
Que se passe-t-il en Asie avec les BATX (Baïdu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) ? A chacun son opium ?
La troisième guerre de l’opium est-elle en cours, sous une forme nouvelle et avec une stratégie dite disruptive ? La disruption, opium des peuplades numériques ? Le publicitaire Jacques Séguéla s’y intéresse lui aussi en signant un livre à paraître le 11 octobre : « Le diable s’habille en GAFA ».
Les informaticiens doivent-ils désormais sortir de Sciences Po ou d’études en sciences humaines pour mettre un peu d’humanité dans ce nouveau monde ?
Moult projets de transformation digitale, au sein du secteur public, comme au sein des grandes entreprises, se sont avérés des gouffres financiers et des machines à broyer les organisations. Les grands projets de l’Etat comme ceux des entreprises du CAC 40 ont-ils véritablement atteint leurs objectifs ? A-t-on, à titre d’exemple, une idée du nombre de projets de type progiciel (ERP) qui ont pu réussir ? Au-delà du retour sur investissement financier de ces grands projets, a-t-on pu mesurer le retour sur investissement d’un point de vue social ?
N’a-t-on pas livré le devenir stratégique de nos sociétés, de nos tissus industriels, de nos systèmes éducatifs à des « technicistes solutionnistes » plutôt enclins à imaginer un avenir « data-ifié » aux valeurs incertaines ? Des sursauts règlementaires comme le RGPD européen pourront-ils recadrer les effets néfastes du disruptif destructif ?
Les métiers des Directions des Systèmes d’Information avec leurs acronymes satellitaires (CIO, CDO, PMO, …) et dans une plus large mesure, les métiers d’informaticiens sont probablement à questionner. Ne faut-il pas humaniser ces métiers ? Peut-on raisonner numérique avec les seuls critères de rationalisation technique et financière, sans penser au devenir de son patrimoine de données ? A celui de l’humain numérisé ? A-t-on le droit d’engager nos sociétés dans une course à la digitalisation effrénée sans penser humanité et réversibilité. Quelle est désormais la place de l’homme au milieu de ses données ? Les Etats Nations vont-ils s’incliner devant les « Data Empires » ? Serez-vous Français ? ou Facebookien ?
Il va sans dire qu’en laissant, au nom d’un soi-disant critère de compétence numérique, les commandes des transformations digitales entre les mains des seuls techniciens pour la plupart solutionnistes, pour bon nombre traduisant fidèlement les argumentaires écrits par leurs fournisseurs GAFAM, notre avenir sera probablement « GAFAMé » …
De la désintoxication générale ?
Les décideurs de demain sont-ils les adolescents d’aujourd’hui déjà sujets à une addiction numérique avancée ? Y a-t-il une désintoxication générale à envisager pour éviter que le disruptif devienne destructif ? Autant de questions que l’on doit se poser avant de repenser le numérique autrement.
Il ne s’agit plus, désormais, de la seule santé financière des grands projets de transformation, mais de la pertinence stratégique et sociétale de ces grands programmes de transformation. Il est nécessaire de revoir la formation et les plans d’action déployés par les « transformeurs » et les « makers ».
Omar Seghrouchni
Associé fondateur de StragIS (http://www.stragis.com)
Cabinet de Conseil engagé pour le nhumérique au service de l’humain.