Sur la grande scène de l’Odéon-théâtre de l’Europe, le lundi 19 novembre à 20h, des détenus viendront présenter dans le cadre de « Fresnes en scène » une comédie, CASba PEPERONI, pensée et écrite au centre pénitentiaire de Fresnes et soutenue par la Fédération d’éducation populaire Léo Lagrange, la Fondation Inkermann, la Fondation Valentin Ribet ainsi que Cuisine Mode d’Emploi(s).
Opinion Internationale : quel terme utiliseriez-vous pour définir votre rôle au sein de l’atelier théâtre que vous animez à la prison de Fresnes ? Je sens que vous êtes une passeuse…
Sylvie Nordheim : Certes, je transmets des connaissances, des savoirs faire et des savoirs être. Je suis sans aucun doute une passeuse. Mais je me sens plutôt une âme d’aiguilleuse car j’oriente ces hommes détenus sur une autre voie, une voie qui leur était jusque-là inconnue. Je cherche la singularité de chacun d’eux, ce qui les distingue des autres et tout cela dans un très grand respect. Je les vouvoie même si au départ cela les décontenance. Et je tiens à ce vouvoiement qui, avec les mots que j’emploie, marque la profonde considération que j’ai pour eux.
Quelle est la spécificité de votre atelier par rapport à un atelier plus classique en prison ?
C’est un atelier hybride qui se déroule sur deux sessions, l’une consacrée à l’écriture et l’autre au jeu scénique. Je travaille donc avec deux groupes pour des raisons purement administratives.
Cette œuvre collective nécessite un passage de témoin entre ceux qui choisissent le thème, pensent et écrivent la comédie et ceux qui la joueront. Il s’agit d’un projet constructif, légal qui leur permet de dépasser leurs préjugés, d’apprendre du groupe, d’apprendre la solidarité. Ils abandonnent, pour un temps, dans cet atelier, leurs pensées individualistes et découvrent l’intérêt du collectif. Rien n’est envisageable sans ce passage de témoin, sans la présence de cet autre qui jusque-là était impensé.
Le premier groupe découvre donc les composantes d’un texte dramaturgique, l’unité de temps, de lieu, la rigueur, la précision, l’importance du choix des mots. Et cette structure narrative sur laquelle nous travaillons tous ensemble à partir de ce qu’ils connaissent par les séries télés et de ce que je leur apporte, modifie leur rapport à la langue et la construction de leur pensée. La structure narrative, je pense, leur apprend à se structurer en tant que personne. Je vois des changements d’attitudes mais aussi des changements corporels. Cet atelier les transforme.
Le second groupe sait que c’est lui qui montera sur scène. Et là, débute un travail différent. Je leur apprends à lire c’est-à-dire à mettre du sens sur ce qu’ils lisent et sur ce qu’ils sont. Ces hommes découvrent le rythme de notre langue, un champ lexical autre, la concentration, l’écoute, le jeu scénique.
Jouer, c’est envoyer une balle et ne jamais la laisser tomber.
En vous écoutant, j’entends une prise de risque pour ces hommes détenus ? Est-ce le cas ?
Ces hommes détenus sont extrêmement courageux car, oui, ils se mettent en danger dans cette activité. Ils ont une très grande pudeur et là, ils se mettent à nu. C’est compliqué d’être un apprenant surtout avec leur histoire. Apprendre, c’est prendre des risques, c’est sortir de sa zone de confort, de sa posture de voyou, de caïd, du rebelle. Apprendre, c’est aussi accepter de recevoir pour ensuite donner. Et je les accompagne dans cette prise de risque.
Ce sont des hommes fragiles qui ont perdu confiance en eux et qui ont besoin d’être portés par un regard bienveillant, par la confiance et nous leur faisons confiance car c’est eux qui seront sur scène ce lundi 19 novembre.
Le Théâtre de l’Odéon, lieu chargé d’histoire et de culture, devient-il le soir de cette représentation, de cette performance un lieu de réhabilitation pour ces hommes détenus, un lieu de rencontre entre les spectateurs et le monde carcéral ?
La plupart de ces hommes détenus ne connaissent pas le théâtre de l’Odéon. Pour certains, c’est une station de métro et cela s’arrête là. Alors lorsqu’ils arrivent devant la façade du théâtre, ils sont très impressionnés. L’accueil qui leur est réservé les bouleverse aussi. On prend soin d’eux. On les regarde.
Ils modifient en entrant dans ce lieu et en venant y jouer, leur perception sur « le monde bourgeois » et font tomber certains de leurs préjugés. Le lien qui se noue ce soir-là est pour eux un signal de reconnaissance que la société leur envoie. Peut-être un pas vers la réinsertion mais cela, eux seuls sont en capacité de le dire.
Propos recueillis par Lucie Breugghe
Pour réserver :
http://www.theatre-odeon.eu/saison-2018-2019/traverses/fresnes-en-scene_2