La dernière loi sur la fraude fiscale, publiée le 24 octobre dernier au Journal Officiel, vise directement notre profession en prévoyant des sanctions administratives lourdes en cas de graves manquements à la législation de nos clients. Dans un contexte où l’État fait de ce combat une priorité, ce propos est inapproprié à l’égard de notre profession.
Tout d’abord, à tous ceux qui disent que sans les avocats, « il n’y aurait pas fraude fiscale », je réponds que nous ne pouvons pas être tenus pour responsables d’un délit commis par un contribuable. Il faut le rappeler, la plupart de mes confrères ne vendent pas de schémas frauduleux et n’organisent pas l’évasion fiscale de leurs clients.
En outre, comme dans tout délit, il faut démontrer l’élément intentionnel de la fraude de l’avocat, ce qui revient à violer le secret professionnel, délit également répréhensible pénalement, car celui-ci devrait alors révéler des informations confidentielles sur ses échanges avec son client.
Le rôle des avocats est de protéger les intérêts des contribuables face aux prérogatives de l’administration fiscale.
Le mille-feuille administratif est tel en France que n’importe qui peut, un jour, se retrouver aux prises avec cette administration pour des cotisations sociales payées en retard, pour une erreur sur une déclaration par simple ignorance de la nouvelle réglementation, ou encore pour une faute de paiement. Le droit à l’erreur s’appliquerait …
Face à cette montagne juridique et administrative, c’est aux avocats également de faire évoluer la loi et la jurisprudence afin que les contribuables soient mieux informés de leurs droits et de faire en sorte que la loi fiscale soit intelligible par tous.
C’est une question d’égalité devant l’impôt qui me tient particulièrement à cœur, si nécessaire au maintien de notre démocratie.
En effet, sans impôts, il n’y aurait pas d’État possible, sous quelque régime que ce soit. Conscients de cela, les avocats fiscalistes sont des alliés indispensables de l’État lorsqu’ils conduisent leurs clients à régulariser leurs comptes non-déclarés, à rapatrier en France leur patrimoine « évadé » à l’étranger, et ainsi à faire rentrer de l’argent dans les caisses de ce même État qui les malmène en les traitant ainsi.
Combien de milliards d’euros lui avons nous fait gagner quand Eric Woerth a créé la cellule de dégrisement en 2009, lorsqu’il a clairement fait appel aux avocats fiscalistes pour aider le gouvernement dans sa démarche ? Pas loin de 1,2 milliards ! Certes, c’est peu comparé aux « plusieurs dizaines de milliards d’euros » imputablesà la fraude et à l’évasion fiscales actuelles selon Gérald Darmanin, mais avec 64,3 milliards d’euros de déficit public en 2017, toute rentrée d’argent est bonne à prendre. En outre, si l’État nous faisait un peu plus confiance, s’appuyait sur nous et nous laissait l’aider à rendre la fiscalité plus claire et moins changeante pour le contribuable, plutôt que d’entretenir la méfiance, ce n’est pas « seulement 17 milliards d’euros » comme en 2017 qu’il pourrait récupérer, mais bien davantage !
Moi même, il y a quelques années, j’ai créé l’association « Trésor Académie » avec Vincent Drezet, pour expliquer l’impôt aux enfants, de façon simple et ludique, afin de faire comprendre aux plus jeunes son utilité et sa nécessité pour favoriser le consentement à l’impôt. Nous sommes loin d’une démarche de fraudeurs !
Enfin, il faut se rendre compte que l’intelligibilité de la loi est rendue de plus en plus ardue du fait de la multiplication et de la complexité des sources de droit, à la fois nationales et européennes. L’accumulation et l’empilement des textes, année après année, sans qu’aucun tri ne soit effectué pour écarter les règles obsolètes et rendre les nouvelles mesures plus performantes favorisent la fraude.
Le législateur doit alors se poser la question : ne crée-t-il pas lui-même un terrain propice à la fraude fiscale ? Et n’est-il pas un peu facile de « tirer »sur les personnes les plus aptes à répondre aux problèmes que pose la fiscalité d’aujourd’hui plutôt que d’assumer ses propres manques en la matière ?
L’une des mesures-phares de la loi consistait à mettre fin au « verrou de Bercy », un monopole du Ministère des Finances, seul susceptible de décider de poursuivre pénalement ou non les fraudeurs. Sauf qu’en réalité, ce « verrou » n’a été qu’aménagé. Certes, il y aura bien une transmission automatique des dossiers à la justice, mais seulement pour les fraudes supérieures à 100 000 €, l’administration conservant son monopole pour les sommes inférieures. De plus, pour les infractions qu’elle découvre elle-même, l’administration fiscale pourra toujours faire valoir son autorité, sans action conjointe avec le Parquet National Financier. Enfin, la loi prévoit que cette même administration pourra proposer des aménagements aux entreprises contrevenantes. En février dernier, l’Institut des avocats-conseils fiscalistes avait affiché son opposition à la suppression de ce « verrou », préférant faire siéger des avocats fiscalistes à la Commission des Infractions Fiscales plutôt que de confier les dossiers de fraude fiscale à des juges peu qualifiés sur la question. Tout cela, au final, pour aboutir à une telle « demi-mesure »qui ne pourra que générer de nouvelles injustices et de nouveaux moyens de contourner l’impôt.
Je le redis, si quelques uns de nos confrères sont susceptibles de commettre ou d’être complice d’une fraude fiscale, l’immense majorité d’entre nous a une haute idée de la démocratie française et à conscience que les recettes fiscales correspondent, outre au règlement des intérêts de la dette, au financement de la santé, de l’éducation et de l’aide aux plus démunis.
Manon LAPORTE
Avocatefiscaliste – docteur en droit
Première Vice-Présidente de l’Alliance Centriste
Conseillère régionale d’Ile-de-France