Dire que le professeur du futur sera philosophe ou ne sera pas ne signifie pas que nous n’aurons que des professeurs de philosophie en classe, mais que tous devront être en mesure d’adopter une posture philosophique. Comment peut-il en être autrement ?
Les cinquante dernières années ont vu émerger un grand nombre de situations totalement inédites dont les conséquences sont considérables : réchauffement climatique, convergence NBIC – Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Sciences Cognitives, transhumanisme, digitalisation, séquençage de l’ADN, manipulations génétiques… Toutes ces situations ont des conséquences notables sur notre planète et les espèces vivantes qui s’y trouvent. Et toutes sont le résultat d’un seul fait : l’innovation. Que celles-ci soient issues du domaine de la finance ou du marketing, de l’ingénierie ou du médical, peu importe, elles sont toutes innovations et leurs conséquences sont nombreuses, souvent non maîtrisées.
Est-il encore possible d’enseigner ces disciplines sans insuffler une pensée, une conscience, une réflexion, une distance, un questionnement ? Peut-on persévérer dans la production de masse, le dépassement des limites naturelles, l’exploitation des territoires sans l’ombre d’un questionnement ? Les techniques, les technologies sont à notre main, nous les utilisons, nous les améliorons. Mais qu’en est-il de notre démarche de réflexion critique sur ce que nous devons faire ou non ? Et quoi d’autre mieux que la philosophie peut nous aider à cela ? Quelle autre discipline pour penser la justice et le bien commun, mais aussi la maîtrise des passions et du pouvoir, le contrôle et prendre soin de soi et des autres ?
Tout commence dans la salle de classe. Nous n’avons cessé ces dernières décennies d’améliorer nos procédés, nos disciplines, nos enseignements, nos recherches mais dans quel but si nous détruisons notre écosystème, nous exploitons les ressources jusqu’à leurs fins, nous méprisons notre futur ? Nos étudiants sont de plus en plus affutés, de plus en plus brillants et cultivés, mais à quoi bon si tout cela ne sert qu’à générer un profit financier pour le bénéfice de quelques-uns dans l’indifférence des besoins de la masse ? Il n’est plus possible d’enseigner de la même manière que nous l’avons fait, et seule la réflexion philosophique pourra nous sauver.
Autrement dit, quelle que soit la discipline que le professeur enseignera celle-ci devra porter un regard philosophique auquel il sera d’ailleurs formé. Les humanités, la philosophie, la pensée complexe sont les derniers ressorts de l’espèce humaine face aux enjeux qui se présentent, aux technologies actuelles et à venir comme l’intelligence artificielle par exemple. Nous avons à former les étudiants sur ce qu’ils font, ce qu’ils feront, les conséquences de leurs actions. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce prix que nous pourrons espérer un avenir humainement durable.
Xavier Pavie
Professeur à l’ESSEC, directeur académique du programme Grande Ecole à Singapour et du centre iMagination. Dernier ouvrage paru : L’innovation à l’épreuve de la philosophie, PUF 2018.