Dans un arrêt du 25 octobre 2018, la CEDH valide la condamnation d’une Autrichienne ayant accusé Mahomet d’être pédophile. Alors que certains accusent la CEDH de se soumettre au dictat de l’islam radical, un examen de l’arrêt conduit à une conclusion bien plus nuancée. Néanmoins, évoquer la vie de Mahomet et sa sexualité n’est pas sans risque juridique.
Dans son arrêt du 25 octobre 2018, la CEDH, qui siège à Strasbourg, a validé la condamnation par une juridiction autrichienne d’Elisabeth Sabbaditsh-Wolf, une Autrichienne proche du parti autrichien d’extrême droite FPÖ, qui avait accusé Mahomet, prophète des musulmans, d’être pédophile. La condamnation initiale avait été prononcée sur le fondement du droit autrichien, qui sanctionne le dénigrement ou la moqueriepublique d’un culte ou d’une communauté religieuse.La haute Cour européenne a considéré que cette décision ne constituait pas une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’hommequi sacralisela liberté d’expression, mais aussi la faculté des États de l’encadrer voire de la restreindre par la loi.
Le fait que la CEDH ait fondé sa décision sur la légitimité pour l’État autrichien de préserver la « paix religieuse » a pu être interprété comme une soumission à l’islam radical, voire à la charia qui punit le blasphème.
Même si la Cour européenne n’a pas toujours fait montre d’une grande constante dans sa jurisprudence, un pareil raisonnement peut étonner quand on sait qu’elle a validé la neutralité du personnel des services publics français et l’interdiction du voile intégral dans l’espace public (là où la France n’évoquait que la non-dissimulation du visage) au nom du « vivre ensemble » et du « choix de société ».
Pourtant, le procès en sorcellerie islamique fait à la CEDH n’est pas d’une parfaite honnêteté, même si l’on peut craindre que cet arrêt devienne prétexte à de futures procédures, et qu’il encourage les salafistes et autres Frères musulmans à solliciter la prohibition du blasphème religieux par la loi laïque. Dans son arrêt, la CEDH a relevé que la condamnation d’Elisabeth Sabbaditsh-Wolf résultait de propos tenus lors d’une conférence, dans le but évident de stigmatiser l’islam, en soulignant le mariage de Mahomet avec une enfant de six ans, mariage qui aurait été consommé alors que la jeune Aïcha n’avait que neuf ans, ce que confirment les sources religieuses sunnites sans qu’il y ait toutefois unanimité sur l’âge de l’enfant.
Elisabeth Sabbaditsh-Wolf a omis de mentionner qu’à cette époque, ce type de mariage n’était pas une exception, et qu’il ne concernait pas seulement Mahomet et l’islam. En France, le journal le Monde publia le 26 janvier 1977 une lettre ouverte de protestation contre la sévérité des juges à l’égard d’adultes ayant eu des relations sexuelles avec de jeunes adolescents. Ce manifeste, parfois abusivement interprété comme une apologie de la pédophilie, fut signé par de nombreux intellectuels comme Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Jack Lang ou Bernard Kouchner. À la fin des années 1960 et durant les années 1970, la révolution culturelle issue de mai 68 et du courant hippy aux États-Unis fut aussi une révolution sexuelle et parfois libertaire. Certains évoquaient même « le droit des enfants à l’amour ».
On pourrait également citer la pédophilie au sein de l’Église catholique qui revient régulièrement à la une des médias – et qui ne la quittent plus d’ailleurs, sans que le Vatican prenne de véritables initiatives pour l’endiguer, comme abolir le célibat des prêtres, instauré bien après l’avènement de Jésus. La lecture du livre d’Hélène Pichon, « L’éternel au féminin, Manifeste pour une nouvelle théologie de la libération » est éclairante sur ce point.
La CEDH et avant elle, le juge autrichien, n’ont pas interdit que l’on évoque la vie de Mahomet. En revanche, mettre en exergue une réalité sociétale usuelle il y a quatorze siècles pour délégitimer le prophète des musulmans ne procède pas de l’analyse historique. La Cour de Strasbourg a rappelé dans son arrêt que le droit à la critique et même au rejet des croyances religieuses est la contrepartie de la liberté de manifester sa religion. Il est par conséquent abusif de considérer qu’elle a reconnu le délit de blasphème, quand bien même faudra-il désormais s’entourer de moult précautions de langage et de contextualisation avant d’évoquer la vie de Mahomet, a fortiori sa sexualité.
On aimerait que les juges nationaux et européens soient aussi sévères avec les islamistes radicaux qui prêchent la haine, le racisme, l’antisémitisme, le sexisme ou l’homophobie, et plus généralement, le rejet des valeurs de la République qui sont pour l’essentiel aussi celles exprimées par la Convention européenne des droits de l’homme. En 2016, une proposition de loi de Nathalie Kosciusko-Morizet visait à interdire le salafisme. Aucune suite n’y fut donnée. Aujourd’hui, nous attendons avec impatience le discours d’Emmanuel Macron sur la laïcité, qu’il ne cesse de reporter. Ce serait peut-être l’occasion, non pas d’interdire le seul salafisme, mais tout prêche hostile aux valeurs et aux lois républicaines, évitant ainsi l’écueil de la stigmatisation.