Il est peut-être l’un des Polytechniciens les plus férus de solutions portées par une vision à long terme pour une révolution énergétique que les hommes devraient – et pourraient – amorcer pour lutter contre les dérèglements climatiques et environnementaux.
En juin dernier, André-Jean Guérin, également administrateur de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, publiait sur son site « Sentiers » (il est aussi un grand marcheur au sens montagnard du terme) une longue analyse : « Quelle(s) énergie(s) pour demain ? ».
Opinion Internationale vous en présente le passage qui imagine l’avenir possible du remix énergétique nécessaire pour maintenir la planète et les hommes en vie en posant que l’avenir ne pourra s’imaginer sans un équilibre nucléaire – énergies renouvelables si l’on veut supplanter l’omnipotence des énergies fossiles…
Michel Taube
Comme s’il avait annoncé les incendies meurtriers de 2017 et 2018, et comme le reprend André-Jean Guérin dans son texte, Paolo Bacigalupi publiait en 2015 un roman de climate-fiction, « The Water Knife » :« dans quelques décennies, lors d’une sécheresse apocalyptique liée aux activités humaines, une lutte opposera les États du Sud-Ouest américain pour l’accès à l’eau de la rivière Colorado. Sous le soleil écrasant du désert de l’Arizona, les habitants de Phoenix en seront réduits à boire leur urine recyclée… Les plus fortunés, quant à eux, survivront confortablement sous des dômes recréant artificiellement des écosystèmes paradisiaques ».
Pour éviter ce scénario catastrophe dans lequel nous vivons déjà, André-Jean Guérin propose d’appréhender et des revisiter les flux d’énergie accessibles. Car « oui il y a des flux importants d’énergie accessible en dehors des combustibles fossiles, et pour longtemps ! » : le soleil tout d’abord, la géothermie (la chaleur venant de la Terre elle-même) ensuite, les effets des forces gravitationnelles en est la troisième (les effets de marée ou énergie marémotrice liés à l’attraction de la Lune et du Soleil sur notre planète) et l’énergie nucléaire (la plus récente des sources d’énergie maîtrisée par l’humanité qui exploite la fission des atomes les plus lourds) devraient aider à supplanter le carbone fossile (lignite, charbon, pétrole, gaz, etc.) qui représente plus de 80 % des ressources énergétiques actuelles de nos sociétés et qui sont, on le sait, la première cause des émissions de GES.
Comme l’écrit l’auteur, dans le domaine des ressources énergétiques, « entre demain qui ressemblera à aujourd’hui et les prochains siècles dont on ne connait que le cadre dans lequel ils s’inscriront, reste l’essentiel : les évolutions à venir qui résulteront de nos choix collectifs. Partant…
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Insistons sur les menaces liées aux changements climatiques. Ils compromettent dès à présent les conditions de vie de dizaines de millions de personnes dans le monde. D’ici 2050, des centaines de millions chercheront où migrer. Au-delà des 2°C retenus par les Nations Unies lors de l’Accord de Paris, on ignore largement les enchainements d’effets déstabilisants qui pourraient compromettre jusqu’à la pérennité de nos civilisations humaines.
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Soulignons l’agression violente des pollutions aériennes issues des combustibles fossiles. Dans le monde, elles provoquent la mort prématurée de millions de personnes chaque année, soit davantage que la totalité des décès imputables à toutes les autres formes d’énergie depuis les débuts de leur utilisation.
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Déplorons que 80 % des ressources énergétiques utilisées par l’humanité soient précisément ces énergies fossiles. Et décidons que, en cohérence avec l’Accord de Paris en 2015, la première priorité doit être de s’en débarrasser, de ne plus les exploiter et d’en laisser la majeure partie à leur place dans le sous-sol.
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Réduisons nos consommations énergétiques par des investissements en efficacité énergétique. N’ignorons pas pour autant les énergies nécessaires pour la fabrication de ces équipements. Et recherchons les modes de production et de consommation qui conjuguent bien-être et sobriété énergétique.
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Constatons toutefois que les consommations énergétiques de l’humanité s’élèvent déjà à 14 Gtep/an. Et admettons qu’avec une croissance démographique d’environ 30 % de la population d’ici 2050 et la volonté d’un « développement durable » pour tous, la consommation énergétique pourrait bien atteindre 20 Gtep/an en 2050, dont une part croissante sous forme d’électricité
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Soulignons une nouvelle fois que la production chlorophyllienne est de loin la plus importante voie de capture d’énergie du rayonnement solaire et de stockage de cette énergie sous forme biochimique. Ce niveau de capture et de stockage n’est pas fixe. Il peut se dégrader, l’artificialisation comme la dégradation et l’érosion des sols y contribuent. Il peut s’améliorer, les pratiques d’agriculture écologiquement intensive, d’agroforesterie, de reboisement, d’irrigation, y contribuent.
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Œuvrons résolument, à toutes les échelles, à une production durable de biomasse. Elle restera encore longtemps la plus importante des sources d’énergie considérée comme renouvelable au plan mondial comme européen ou français.
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Protégeons pour cela les sols contre toutes les dégradations (artificialisation, pollution, dégradation agronomique, etc.). Encourageons les pratiques qui augmentent le carbone organique dans les sols, rehaussant leur fertilité et contribuant à la capture et la séquestration d’une part du gaz carbonique atmosphérique.
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Veillons au dynamisme des écosystèmes et à la préservation de la diversité biologique. Et gérons avec précaution la production et l’utilisation de la biomasse en vue à la fois de satisfaire des besoins alimentaires et des substitutions de carbone fossile par du carbone issu de la biomasse.
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Réjouissons-nous de la baisse rapide des coûts des énergies renouvelables et en particulier du solaire photovoltaïque. Œuvrons à faire baisser de même ceux des systèmes de stockage de l’électricité. Et ne doutons pas que ces techniques apporteront d’excellentes solutions à la pénurie d’accès à l’électricité dont souffre encore près de deux milliards de nos contemporains en particulier dans les régions intertropicales où le rayonnement solaire abonde régulièrement.
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Ajoutons que le potentiel théorique d’amélioration du rendement opérationnel des capteurs photovoltaïques est encore très important. Acceptons d’investir une part accrue de ce que nous consacrons à ce mode de production énergétique dans de la recherche.
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Ne feignons pas d’ignorer en revanche les besoins massifs en ressources diverses nécessaires (matériaux miniers, énergie de fabrication, pollutions, etc.) pour la capture et la collecte d’énergies renouvelables très diffuses. Ne nions pas davantage le caractère intermittent et non pilotable de certaines EnR (en particulier éolien et photovoltaïque) et les redoutables problèmes de continuité de service et de stabilité des réseaux électriques soulevés qui exigeraient en réponse des investissements complémentaires plus coûteux que les capteurs d’énergie eux-mêmes.
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Prenons la mesure des limites opérationnelles et financières du développement des principales énergies renouvelables électriques (solaire, éolien, hydraulique, etc.) à environ 10 Gtep/an d’ici 2050.
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Interrogeons-nous sur les autres ressources disponibles sans carbone pour couvrir les autres 10 Gtep/an de fourniture énergétique.
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Reconnaissons l’exceptionnelle densité de production d’énergie libre qu’offre le nucléaire. De ce fait, cette énergie est particulièrement adaptée aux besoins des sociétés industrialisées. Contrairement à certaines déclarations empreintes d’idéologie qui veulent la faire passer pour une « énergie du passé », il s’agit bien d’une énergie d’avenir qui recèle encore de formidables potentiels d’amélioration et de perfectionnement.
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Regrettons que les investissements nécessaires ne permettront pas d’espérer plus de quelques Gtep/an de production à partir du nucléaire. Atteindre 5 Gtep/an de nucléaire nécessiterait environ 8 000 centrales de 1 000 MWe. Disposer de cette production d’ici 2050 demanderait la mise en service de 1 centrale par semaine.
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Soyons bien convaincus toutefois que la technologie nucléaire civile, comportant notamment une haute culture de sécurité, se développera dans de nombreux pays (Chine, Inde, Afrique du Sud, pays européens, etc.). N’écoutons pas le chant des sirènes qui, par ignorance, naïveté ou cynisme, voudraient décourager la France de rester à la pointe de cette technologie.
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Investissons aussi dans la maîtrise de la capture et la séquestration ou le recyclage du gaz carbonique. Seules ces techniques permettront d’utiliser encore les ressources fossiles sans émissions de GES.
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Ayons à l’esprit que l’énergie est un flux critique pour nos sociétés bien au-delà des besoins individuels. N’oublions pas les infrastructures de transport, de stockage et de distribution, de sécurisation, de régulation des flux énergétiques, avec des besoins d’investissement souvent équivalents ou supérieurs à ceux des seules productions.
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La tâche est immense. Notre pays n’est pas le moins bien placé pour y répondre. Le Manifeste pour décarboner l’Europe formule des propositions à l’échelle du continent avec des déclinaisons pour la France. »
André-Jean Guérin
Né en 1948 à Marseille. Marié avec Brigitte ; Pierre, mon fils ; Émilie ma belle-fille. Polytechnicien ; ingénieur des ponts, des eaux et des forêts ; économiste. Membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, Administrateur de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, de l’Institut des Futurs souhaitables, de blueEnergy-France et de The Shift Project. Président de A Tree For You. Ancien haut fonctionnaire en poste en administration centrale et sur le terrain, Conseiller au Conseil économique social et environnemental de 2010 à 2015. Montagnard, navigateur, lecteur.