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09H55 - mercredi 16 janvier 2019

Sahara, vieilles lunes idéologiques contre réalité historique et géopolitique, la chronique « géopolitiques » d’Aymeric Chauprade

 

Opinion Internationale crée la rubrique « Maroc pluriel » et organise à Paris sa première « Bridges Conference » mardi 29 janvier (inscriptions ouvertes) sur le thème « Pour une résolution définitive de la question du Sahara » avec (par ordre alphabétique, première liste d’intervenants confirmés) SE M. Chakib Benmoussa, Ambassadeur du Maroc en France, Salah Bourdi, président du Cercle Eugène Delacroix, adjoint au maire d’Epinal-sur-Seine, Aymeric Chauprade, député européen, membre de la commission des affaires étrangères, de la délégation Maghreb UE, de la Commission interparlementaire pays ACP-UE au Parlement Européen, géopoliticien, Sidi Hamdi Ould Errachid, président de la région Laâyoune-Sakia Al Hamra, ou un de ses représentants, Philippe-Edern Klein, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Maroc, Naïma Moutchou, députée LREM, membre de la commission des lois et du groupe d’amitié France – Maroc de l’Assemblée Nationale française, Gilles Pargneaux, député européen, LREM, Michel Taube, fondateur d’Opinion Internationale, Hajbouha Zoubeir, membre du Conseil Economique, Social et Environnemental du Maroc.

Dans ce cadre, Opinion Internationale publie une série d’analyses, dont la première livraison est la chronique « géopolitiques », en deux parties, d’Aymeric Chauprade sur la question du Sahara.

 

 

Le conflit du Sahara occidental est d’abord l’héritage de la Guerre froide et des positions prises aux Nations unies dans ce cadre à la fois historique et géopolitique. Le Maroc fut alors victime de son appartenance au « camp occidental ».

Quel spécialiste des relations internationales pourrait sérieusement prétendre aujourd’hui, qu’au moment où des positions sur le sujet furent prises aux Nations unies, les considérations idéologiques (notamment le clivage Est-Ouest qui déterminait les positions libyenne et algérienne) ne l’emportèrent pas sur le fond du dossier ?

En 2019, le contexte de bipolarité idéologique étant derrière nous, nous avons le devoir de nous libérer de l’idéologie et de nous attacher au contenu du dossier, c’est-à-dire aux faits historiques incontournables.

Les faits d’abord, qu’aucun historien sérieux ne met en doute aujourd’hui, sont légion, mais nous ne ferons apparaître ici que les plus probants.

1/ D’abord les liens entre le Maroc septentrional et ses provinces sahariennes qui remontent à la dynastie des Almoravides, ces Berbères sahariens qui au XIsiècle unifièrent le Grand Maroc, de Tanger au fleuve Sénégal.

2/ Ensuite, ces frontières du Maroc précolonial qui dépassaient largement celles d’aujourd’hui. Vers l’Algérie qui n’existait pas à l’époque, mais surtout vers le Sud. Aux XVIe-XVIIIe, l’autorité marocaine s’étendit jusqu’à la boucle du Niger. A cette époque, à Gao et Tombouctou, la prière du vendredi était dite au nom du Sultan du Maroc.

3/ Ce n’est que tardivement, entre 1900 et 1912, que les Espagnols s’installèrent au Sahara occidental.

4/ Sans parler d’Etat, il n’a même jamais existé de nation sahraouie, au sens d’un peuple formant un corps unique. En revanche, ce qu’il faut considérer, c’est l’identité plurielle de tribus sahraouis ayant chacune leur propre politique vis-à-vis du souverain marocain, auxquelles elles firent toujours allégeance, et ce d’autant plus que ces tribus eurent pour la plupart des fondateurs nord-marocains. 

5/ D’une part parce que cinq des sept dynasties marocaines sont sorties du creuset saharien ou pré saharien, d’autre part parce que nombre d’ancêtres des tribus sahraouis elles-mêmes ont des origines dans le centre et le nord du Maroc, on peut dire que l’histoire de la nation marocaine réside autant dans le Nord que dans le Sud, comme d’ailleurs l’histoire des tribus sahraouis qui font partie intégrante de cette nation marocaine.

Ces réalités historiques légitiment la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et elles sont encore consolidées par des décisions juridiques.  La Cour Internationale de Justice, a ainsi reconnu, le 16 octobre 1975, le fait qu’en 1884, c’est-à-dire au moment où l’Espagne commençait à s’intéresser à cette région, ladite région n’était pas terra nulliuset que les tribus nomades qui l’habitaient avaient des liens d’allégeance avec le souverain marocain.

En réalité, c’est le sens même de l’Etat marocain que d’être l’expression d’une volonté politique ancienne qui s’est étendue du Nord au Sud, de l’Europe à l’Afrique subsaharienne. Le Maroc est véritablement un pont entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Il l’a toujours été, et le couper de son Sud, c’est le couper d’une partie de son identité africaine. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que le Maroc déploie de nos jours une grande politique africaine en Afrique de l’Ouest et centrale !

La revendication marocaine n’est donc pas seulement stratégique, elle tient du domaine de l’être, de l’essence, comme l’était l’Alsace-Lorraine pour la France, en d’autres temps. C’est pour cela qu’elle apparaît comme étant si sacrée aux yeux du peuple marocain, et pas seulement de son Souverain et de ses gouvernements successifs. Pour l’Algérie au contraire, disposer d’un petit Etat satellite permettant de s’ouvrir un chemin vers l’Atlantique est certes un enjeu stratégique, mais ce n’est pas une question existentielle. Aux yeux du Maroc, il s’agit bien de toute autre chose. Amputé d’une partie de lui-même, le Maroc cherche à redevenir ce qu’il a toujours été, cette passerelle nord-sud, cet arc européo-africaine.

L’erreur que font certains consiste à croire que l’indépendance marocaine de 1956 gagnée vis-à-vis de la France est l’achèvement de la décolonisation. Elle n’en est, en réalité, que la première étape. En 1956, le Maroc n’a gagné que partiellement son indépendance, la décolonisation n’étant pas accomplie par rapport à l’Espagne, ni dans le Sahara ni dans les îles et enclaves de la façade méditerranéenne.

Pourquoi donc le Maroc a-t-il pu faire autant de sacrifices pour son Sud ? Pour du sable ? Du néant, il a fait un miracle du développement, reconnu par tous, plus précisément un miracle de l’alphabétisation, de l’irrigation, des installations portuaires et de tout l’emploi qui en découle. Pouvons-nous croire un seul instant que ce pays pourrait faire autant d’efforts pour développer cette immensité de sable si peu peuplée s’il ne poursuivait pas un but véritablement existentiel ? D’aucuns l’ont compris comme les chefs d’entreprise français au Maroc qui ont réuni un Forum d’affaires en novembre dernier à Laâyoune, la capitale d’une des deux régions sahraouies.

Nous devons en finir avec ce problème du Sahara occidental qui est désormais l’un des plus anciens conflits non résolus de l’ONU. Non seulement parce qu’il est juste d’en terminer avec la souffrance du peuple marocain (y compris la très large partie de la population sahraouie ralliée à la souveraineté marocaine) mais aussi parce que l’absence de règlement définitif du conflit freine l’intégration du Maghreb et favorise le terrorisme et les trafics dans la région saharienne. Continuer à laisser pourrir la situation, c’est, en effet, offrir un avenir radieux à l’extrémisme qui prolifère dans la région.

L’Algérie doit donc admettre le droit du Maroc à achever sa propre décolonisation en reconnaissant enfin ses droits historiques. Le Maroc doit, quant à lui, comprendre l’ambition géopolitique de l’Algérie de se projeter vers l’Atlantique et y apporter des réponses compatibles avec sa souveraineté légitime sur le Sahara. Les familles sahraouies, divisées par ce Mur de Berlin que sont les camps du Polisario ont, elles, le droit à se retrouver pour œuvrer ensemble au développement de leur province, et ce dans le respect de leurs spécificités identitaires.

Gouverner c’est choisir. La Communauté internationale doit choisir. Choisir l’équilibre apporté par des Etats-nation forts car libérés de leurs problèmes frontaliers pour mieux lutter contre le terrorisme international et pour mieux soutenir le développement.

 

Aymeric Chauprade

Géopolitologue et député européen, il a notamment publié « Chroniques du choc des civilisations », un atlas du monde multipolaire.

 

 

 

 

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