Le 10 janvier dernier, l’association Oxfam publiait une lettre de seize associations appelant la France à ne pas se rendre complice des crimes commis au Yemen, l’un des conflits qui aujourd’hui, cause le plus de morts civils dans le monde.
Les organisations signataires (par ordre alphabétique) sont ACAT, Action Contre la Faim, Alliance internationale pour la défense des droits et des libertés (AIDL), Avaaz, CARE France, Center for Civilians in Conflict, Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), Handicap International, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Médecins du Monde, Observatoire des armements, Oxfam France, Salam For Yemen, Sisters’ Arab Forum for Human Rights (Yémen), STAND France, SumOfUs.
Mesdames et Messieurs les député·e·s,
A la veille de la rentrée parlementaire, nous vous écrivons pour vous alerter une nouvelle fois sur la situation au Yémen où des millions de civils pris au piège de la guerre comptent sur la communauté internationale, et notamment les parlementaires français, pour consolider les fragiles espoirs de paix enregistrés ces dernières semaines.
Nous, organisations humanitaires et de défense des droits humains travaillant sur le conflit au Yémen, formulons deux recommandations précises sur le rôle que vous pouvez jouer :
- soutenir la mission d’information parlementaire sur le contrôle des exportations d’armements nouvellement créée ;
- exercer votre devoir de contrôle de l’action gouvernementale en vous assurant, par l’établissement d’une commission d’enquête parlementaire, que la France ne se rende pas complice de crimes de guerre au Yémen.
Nous nous réjouissons des avancées enregistrées le mois dernier en Suède où les parties au conflit se sont notamment entendues sur un retrait militaire de la ville portuaire de Hodeidah. Un cessez-le-feu à Hodeidah, point d’accès vital pour l’immense majorité des Yéménites, est une première étape essentielle pour endiguer la crise humanitaire au Yémen. Cette tragédie est la conséquence de 4 ans de guerre et de sévères restrictions imposées par les parties au conflit à l’accès à la nourriture, au carburant, aux importations médicales et à l’aide humanitaire.
La France a soutenu les pourparlers de paix, notamment en votant le 21 décembre dernier une résolution du Conseil de sécurité sur le Yémen – une première depuis mars 2015 – autorisant le déploiement d’observateurs de l’ONU à Hodeidah. Elle peut faire beaucoup plus pour aider à mettre fin aux souffrances des civils yéménites. Et c’est là que vous avez un rôle crucial à jouer, en tant qu’élu·e·s de la nation.
Au moment où les belligérants signaient un accord en Suède en présence du Secrétaire général de l’ONU, le Sénat américain votait la fin du soutien militaire des États-Unis à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Yémen. Ce vote sans précédent qui a réuni des élus de tous bords, peut être une source d’inspiration pour vous. Face aux graves violations des droits humains et du droit international humanitaire par l’ensemble des parties au conflit, documentées notamment par le Groupe d’éminents experts de l’ONU sur le Yémen, les parlementaires français ont le devoir de s’assurer que la France, qui continue de vendre des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, respecte ses engagements internationaux et ne se rende pas complice de crimes de guerre au Yémen.
A cet égard, nous saluons la création d’une mission d’information sur le contrôle des exportations d’armements par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. C’est un premier pas vers plus de transparence dans un secteur connu pour son opacité. Nos organisations seront reçues le 16 janvier par les deux co-rapporteurs, vos collègues Jacques Maire (LREM) et Michèle Tabarot (LR). Nous vous invitons à prendre contact avec eux dès à présent pour vous assurer qu’ils présentent des recommandations fortes en vue d’établir un contrôle parlementaire pérenne des exportations d’armements. C’est une évolution souhaitée par l’opinion publique : 69% des Français sont favorables à un renforcement du rôle du Parlement dans le contrôle des ventes d’armes, selon un sondage YouGov de mars 2018.
Pendant que la mission d’information travaille à une plus grande transparence sur les ventes d’armes en général, il est urgent que la lumière soit faite au plus vite sur le respect par la France de ses engagements internationaux au Yémen. Nos organisations ont alerté à de nombreuses reprises sur le risque sérieux que du matériel militaire de fabrication française soit utilisé pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains et du droit international humanitaire, en violation du traité sur le commerce des armes et de la position commune de l’Union européenne. Tant qu’un doute subsiste, nous continuons à demander la suspension des transferts d’armes aux pays impliqués dans le conflit au Yémen, comme l’ont fait notamment les gouvernements allemand, danois, finlandais et norvégien.
Alors qu’un nombre croissant d’alliés de la France revisitent leur politique au regard du conflit au Yémen, nous vous demandons instamment d’exercer le rôle de contrôle de l’action du gouvernement qui vous est conféré par la Constitution en établissant une commission d’enquête sur le respect par la France de ses engagements internationaux au Yémen. Il en va de la crédibilité de la France sur la scène internationale, particulièrement au moment où elle assume la présidence du G7.
Nous espérons, Mesdames et Messieurs les député·e·s, que nos demandes retiendront toute votre attention et nous tenons à votre disposition pour toute information complémentaire.
Nous vous présentons nos meilleurs vœux pour 2019 et vous prions de recevoir nos sincères salutations.