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08H00 - mardi 19 février 2019

Personnes en difficulté mentale : quand l’usine soigne mieux que la psychiatrie. Un livre-constat du Pr Jean-Michel Oughourlian

 

Voilà un livre à lire sans délai. Pour ce qu’il dit de la volonté d’engagement et de la force d’entraînement des dirigeants de la fondation AMIPI Bernard Vendre et de ses usines consacrées à l’insertion de personnes en difficulté mentale par le travail. Mais aussi et surtout pour ce qu’il soulève de questions face au mutations attendues (et parfois redoutées) des activités professionnelles de plus en plus déshumanisées.

« J’ai touché du doigt le drame de l’isolement dans tous les hôpitaux psychiatriques où j’ai été amené à exercer ». Persuadé qu’une alternative à l’enfermement social et institutionnel existe, le professeur Jean-Michel Oughourlian, neuropsychiatre, livre les enseignements de son travail de recherche de plusieurs mois au sein des six « usines-apprenantes » de la fondation AMIPI. Accueillant des personnes porteuses de handicaps mentaux – trisomie 21, autisme, schizophrénie, retards cognitifs… -, ces usines sont d’abords des lieux de production industrielle avec la plus-value sociale d’apporter un cadre bénéfique à ceux d’entre nous qui supportent un handicap.

 

Préparer aux réalités du monde du travail

L’originalité de l’approche reste d’assumer pleinement la destination de production de l’activité. D’emblée l’auteur le précise : les usines AMIPI sont de « vraies » unités de production, dont l’activité s’inclut certes dans des relations partenariales, mais aussi dans le respect de relations entre clients et prestataire, notamment pour la filière des équipementiers automobiles. Ainsi, même si les salariés peuvent subir des situations psychologiques difficiles, ces usines ont banni la fonction d’éducateur, pour lui préférer celles d’ingénieur, de gestionnaire ou de DRH. Cette inclusion évite une stigmatisation enfermante et assume les conditions de production les plus proches de ce qui est vécu en environnement « classique ». La méthode permet d’aguerrir au fil du temps les salariés aux contraintes habituelles du monde de la production : objectivisation, gestion des process, respect de la qualité, etc., mais aussi confiance et estime en soi, fierté de surmonter ses appréhensions autant que les présupposés sociaux.

La recette porte ses fruits. Plus de 700 salariés – sur les 830 que compte le groupe – appréhendent la vie professionnelle « normale » avec pour objectif clairement affiché de permettre, à terme, l’intégration en milieu de travail habituel. Objectif ambitieux. Et les résultats sont là. Depuis l’inauguration de la première usine AMIPI, la fondation a livré près de 7 millions de faisceaux électriques à l’industrie automobile et a permis d’insérer dans le monde du travail près de 1 600 de ses ressortissants, tout en faisant économiser aux finances publiques 26 millions d’euros en suivis médico-psychiatriques. Vertueux.

Neurones « miroir » et bienfait du mimétisme

Inventeur du concept de psychologie mimétique, le Pr Oughourlian a pu expérimenter cette métapsychologie dans les situations de conflit, de crise ou de mal-être afin de mieux comprendre comment en désamorcer les ressorts. Plongé dans le quotidien de l’usine AMIPI de Nantes, il a jugé de la différence entre des personnes affectées de syndromes identiques. Incapables de sortir de leur isolement en institution psychiatrique, elles parvenaient dans un contexte de travail adapté à « sortir d’elles-mêmes », communiquer, évoluer et produire.

Le progrès par l’imitation, la répétition et la réassurance semble être la clé de la réussite de ce type d’organisation. Pour l’auteur, devenir capable de se déplacer seul, de se nourrir sans aide, de travailler en étant autonome tout en développant des liens avec son environnement humain, est clairement une guérison.

 

Jean-Michel Oughourlian

Une société sans travail pour l’homme serait un drame

Citant le mathématicien français Cédric Villani, Médaille Fields 2010, élu depuis député et rédacteur d’un rapport public récent sur l’intelligence artificielle remis au Président de la République, le Pr Oughourlian s’inquiète de l’optimisme de certains projectivistes à l’égard d’une société reléguant le travail à des machines plus ou moins élaborées à grand renfort d’algorithmes et d’automatismes. Minimisant les qualités intrinsèques du travail, leur approche voudrait que l’homme soit ainsi déchargé d’efforts perçus comme simplement contraints et sans valeur ajoutée pour lui-même. Face aux promesses de l’intelligence artificielle qui le laissent manifestement sceptique, l’auteur invite à une vigilance militante pour sauvegarder les bienfaits d’exercer un métier, insistant sur la nécessité de« développer des capacités multidimensionnelles, cognitives et affectives » que seul, selon lui, le travail permet.

Tout au long du livre, sourde l’inquiétude de l’auteur face à une société qui serait sans travail pour l’homme. Une inquiétude à la hauteur des progrès des salariés dans les usines AMIPI. Que seraient devenus Jeanne incapable de lire mais capable désormais de « photographier » mentalement les informations nécessaires à son travail ? Où serait aujourd’hui Cédric incapable d’enrouler des câbles à son arrivée à l’usine et devenu l’un des polyvalents formant les nouveaux arrivants ? Comment vivrait Olivier enfoncé depuis l’enfance dans une névrose dont l’usine l’a départie et qui aujourd’hui dirige une chaîne de production de quarante personnes ?

Le Pr Oughourlian résume sa pensée : « une entreprise fabrique des objets certes ; elle fabrique aussi de l’humain. Elle produit de l’avoir, elle produit aussi de l’être. » Forgée à l’expérience des usines d’AMIPI, la formule pourrait, plus globalement, s’appliquer à l’ensemble du monde du travail. La formule raisonne étrangement dans un monde bousculé par les performances technologiques et numériques. Une formule qui sonne comme une incantation à la vigilance.

 

Olivier Peraldi, Essayiste, co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté.

 

 

 

 

 

 

 

 

A lire :

Le travail qui guérit, l’individu, l’entreprise, la société, Pr Jean-Michel Oughourlia, éd. Plon, 2019, 12,90 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

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