Oui, le président de la République a raison : il faut « des actes tranchants ! » contre l’antisémitisme et toutes les haines sur Internet.

Le président nous a donné de l’espoir en disant lors du dîner du CRIF il y a deux jours : « Nous devons nous inspirer de ce que nos voisins allemands ont su faire de manière efficace et pragmatique : apporter des sanctions judiciaires, pénales et pécuniaires, appeler à la responsabilité des individus comme des plateformes. Il s’agira de mettre fin aux stratégies d’éviction déployées par des sites étrangers qui, changeant régulièrement de serveurs, sont aujourd’hui très difficiles à bloquer. »

Mais nous sommes plus circonspects, et en tout cas nous serons très vigilants, face à l’annonce principale du chef de l’Etat : « la députée Laetitia Avia déposera dès le mois de mai, c’est-à-dire dès la première fenêtre parlementaire possible au Parlement, une proposition de loi pour lutter contre la haine sur Internet ».

Nous nous étonnions hier du délai annoncé alors même qu’il y a urgence… Un projet de loi, porté par le gouvernement, aurait permis d’aller plus vite que la voie d’une proposition d’un député…

Laetitia Avia, Députée de Paris, est co-auteure avec Karim Amellal, écrivain et enseignant, et Gil Taïeb, vice-président du CRIF, d’un rapport remis le 20 septembre 2018 au Premier Ministre : « Renforcer la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet ». Emmanuel Macron a ajouté que la loi mettrait en œuvre les dispositions qui y sont proposées.

Ce rapport foisonne de possibilités d’action mais il ne fait pas des choix politiques définitifs (et ce n’était pas son rôle). Or à lire attentivement certains propos ministériels qui combinent effets d’annonce audacieux avec des dispositions techniques, elles, plus en retrait tenus ces derniers mois, devenus certes plus audacieux ces derniers jours sous la pression des événements, nous font craindre que la loi qui sera discutée en mai à l’Assemblée Nationale ne porte au final davantage sur le renforcement de la coopération avec les plateformes Internet que sur des mesures vraiment contraignantes et dissuasives.

Certes, Facebook et Google coopèrent avec les pouvoirs publics et développent leurs actions d’auto-modération. Mais que se passera-t-il demain si Twitter, pointé du doigt par Emmanuel Macron au dîner du Crif, continue à faire la sourde oreille ? Si, comme c’est déjà le cas, de nouvelles plateformes très fréquentées par les jeunes, totalement hostiles à toute modération, rencontrent un grand succès auprès d’internautes complotistes financés en sourdine par les 100 millions de dollars d’un Steve Bannon (ancien conseiller de Trump) qui veut accélérer la conversion de l’Europe aux populismes ? Les racistes et les complotistes pouront continuer à sévir et à gangréner l’esprit des Internautes et de nos enfants en particulier.

Cette loi nous dotera-t-elle vraiment des outils juridiques, éducatifs et concrets pour mener un combat efficace contre les propos antisémites, complotistes, racistes, homophobes, sexistes et de cyberharcèlement sur Internet ?

Aurons-nous des actes aussi « tranchants » qu’annoncé ?

Notre « loi Plus jamais ça sur Internet ! »

La bataille sera rude autour la députée Laetita Avia. Le lobbying des plateformes sera intense. Jusqu’aux derniers jours de la bataille parlementaire, des amendements techniques pourront trahir les engagements de principe.

Nous serons vigilants ! Et c’est tout le sens de la campagne et de l’Appel pour la « loi Plus jamais ça sur Internet ! » que nous lançons avec de nombreux citoyens et personnalités conscients de l’enjeu.

L’idée que nous défendons dans l’Appel pour la « loi Plus jamais ça sur Internet ! » est somme toute simple : les plateformes sont comme les imprimeurs, elles sont responsables des contenus des éditeurs qu’elles diffusent.

Leur statut actuel de simples hébergeurs doit être modifié en profondeur.

Ainsi un régime similaire à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit s’appliquer sur Internet : elle dispose que, si « l’imprimerie et les librairies sont libres », les imprimeurs peuvent être, selon les articles 42 et suivants, poursuivis pénalement, comme les éditeurs et les auteurs, s’ils impriment des textes contraires à la loi.

Au même titre donc que les imprimeurs dans le régime de la presse, Facebook, Twitter, Youtube, Google et les autres plateformes, même si nous saluons leurs efforts d’auto-régulation, doivent être tenues pour responsables pénalement et financièrement de la diffusion de propos haineux sur leurs sites.

Seule la déclinaison juridique ce principe, avec notamment les propositions audacieuses subséquentes que nous formulons dans cet Appel, permettra de prendre des mesures fortes et contraignantes à la hauteur de la situation.

Car oui non poster un message de haine sur un réseau social est-il aussi grave que d’agresser physiquement une personne ?

Michel Taube

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