Ce n’est pas un effet de manche que de dire que les Béninois sont face à leur destin.
Depuis avril 2016, Patrice Talon, le nouveau président de la République, homme d’affaires avisé, conduit d’une main de fer les affaires du pays. Sous couvert de lutte contre la corruption et de volonté de secouer le cocotier après les années de torpeur de son prédécesseur Boni Yayi, le nouvel homme fort de Cotonou règle certains comptes : arrestations arbitraires, détention de prisonniers politiques, poursuites judiciaires contre ses rivaux comme Sébastien Ajavon, interdiction du droit de grève dans la fonction publique et capture de marchés publics par son entourage quand ce n’est pas par sa propre holding familiale, nomination de son ancien avocat personnel, Joseph Djogbenou, à la tête de la Cour constitutionnelle, rien ne manque à l’arsenal du parfait apprenti dictateur du Palais de la Marina à Cotonou.
Car cet Etat de 10 millions d’habitants, voisin occidental de l’immense Nigeria, que l’on surnommait le Saint-Germain des Prés de l’Afrique grâce à son goût de la culture, des arts et des idées, est en train de changer de régime : d’Etat de droit hier à une démocrature musclée aujourd’hui, Patrice Talon est en train d’instaurer une dictature.
Et son coup d’Etat institutionnel, Patrice Talon l’aura réussi au lendemain des élections législatives du 28 avril.
En 2016, le candidat à la présidentielle avait promis juré qu’il n’exercerait qu’un seul mandat. Mais, depuis son arrivée au pouvoir, il a échoué à deux reprises à modifier la Constitution. Le chef de l’Etat a donc décidé de procéder autrement et simplement. Comment ? En interdisant aux partis politiques d’opposition de concourir aux élections législatives du mois prochain. Ainsi, il s’assure que 100% des prochains députés élus, même si l’opposition appelle au boycott, seront taloniens. Avec une Assemblée à sa botte, le président de la République pourra modifier la Constitution à sa guise, rempiler pour un nouveau mandat et instaurer un régime longue durée sans rivaux dangereux.
Inutile de revenir ici sur la procédure originale employée pour confisquer aux Béninois ce rendez-vous parlementaire : le refus du ministère de l’Intérieur de délivrer des certificats de conformité, des cautions exorbitantes, une Charte des partis politiques inique, des intimidations judiciaires à l’encontre de ses principaux rivaux comme l’actuel président de l’Assemblée Nationale, rien n’y a manqué.
Dimanche 17 mars, il sera peut-être trop tard : en effet, c’est à cette date que les partis auront dû s’être mis en conformité avec les règles édictées par la nouvelle Charte des partis politiques sous peine d’être interdits d’exercer et donc de concourir aux législatives.
Le pouvoir manie la duplicité à l’envi : Sévérin Maxime Quenum, Garde des Sceaux, ministre béninois de la Justice et de la législation, soufflait le chaud et le froid au micro de Christophe Boisbouvier hier sur RFI. Le lieutenant de Talon disait qu’à la demande du chef de l’Etat, le président de l’Assemblée Nationale, Adrien Houngbédji, devrait proposer une issue politique à cette crise. Mais il trahissait de suite l’intention réelle du pouvoir en ajoutant : « [Boni Yayi, Ajavon et Soglo] est-ce qu’ils sont incontournables, est ce qu’il faut absolument que les partis présidés par ces personnalités-là aillent nécessairement à l’élection pour que note élection soit crédible ? ». De plus, la veille, Adrien Houngbédji avait été entendu, comme par hasard, par la brigade criminelle de Cotonou dans une affaire privée.
Est-ce pour cela que les Béninois se réveillent et que leurs élites politiques tentent enfin de se mettre en ordre de bataille pour faire pression sur Talon ? L’exemple algérien le prouve : Il faudra plus qu’un seul rassemblement populaire de dizaines de milliers de manifestants, cent mille selon certaines sources, comme ce fut le cas à Cotonou et dans les villes du pays lundi 11 mars pour faire trembler Talon.
Il faudra plus que la prise de parole d’opposants comme dans le courageux Grand Débat de Francis Laloupo sur Africa n°1 hier pour intimider Talon.
Il faudra plus que d’un rassemblement de la diaspora prévu devant l’ambassade du Bénin demain vendredi 15 mars à 14h pour faire plier Talon.
Ce sont des passages obligés mais la pression doit monter d’un cran…
Seul un front commun et efficace des Béninois, des manifestations quotidiennes et massives, une forte mobilisation internationale (que fait la CEDEAO, actuellement présente en délégation à Cotonou ?) permettront d’instaurer un rapport de force qui fera reculer le président Talon.
Manifestement, l’apprenti dictateur est pressé de devenir maître au royaume des grands de ce monde !
Le 28 avril, pour les Béninois qui sont face à leur destin, il sera trop tard.
Michel Taube