Le street art permet assurément de s’affranchir de tous les codes mais aussi de puiser son inspiration dans les grands mouvements ou chez les grands artistes qui ont apporté quelque chose de majeur à l’art, en leur rendant hommage certes mais en y apportant de la nouveauté et de la fraîcheur, de nouvelles réflexions et parfois des détournements malicieux. Tous les styles sont possibles dans l’art urbain, l’histoire de l’art est un marche pied pour s’exprimer et les références y sont constantes.
Les street artistes se rencontrent souvent à l’occasion de performances et des duos naissent parfois de leurs rencontres, de leur attrait pour le travail des uns et des autres, mêlant les genres et les points de repères pour faire des œuvres tout simplement belles et originales sur le plan graphique, rajoutant les questionnements, entrelaçant les interprétations, sans certitude.
L’œuvre présentée ici est issue d’une collaboration entre Jo Di Bona et Ardif suite à leur performance Quai de Loire en mai 2018 où étaient collées deux grandes affiches illustrant un tigre (Mecanimal Tiger) et un hippopotame (Mecanical Hypo). Les styles se complètent et se font la courte échelle pour livrer une œuvre colorée et gaie, hypnotique, dont le travail de l’un rehausse et donne sens au travail de l’autre.
Jo Di Bona a inventé un style, le Pop Graffiti, et revendique très clairement la filiation avec le pop art. Il commence très tôt dans la rue, tague des trains et participe à l’aventure underground avec Nestor et Lek avec qui il forme le « TEAM VF » (VF pour version française). Puis il se détourne de l’art urbain pour se consacrer à la musique en formant un groupe Rock (Rock Hotel), persuadé que le street art manque de relief et est voué à disparaître. Comme si cette liberté de jeunesse ne pouvait pas avoir de suite en grandissant. La petite histoire dit que c’est sa compagne, à qui il offre un tableau fait de collages et d’assemblages, qui le convainc en 2013 de revenir au street art, en creusant son propre style.
Jo Di Bona a été marqué par ses cours d’arts plastiques, par l’étude de Jasper Johns, par les travaux de Jacques Villeglé qui fait entrer les affiches déchirées au musée. Comme souvent, la rencontre avec le bon professeur peut inspirer une vie. Son style se fait joyeux, mêlant des collages et des lacérations sur des fonds de graffitis colorés, pour faire apparaître des visages dont les regards sont tournés vers le passant ou le spectateur comme si on parlait à un ami de toujours, donnant aux personnages célèbres qu’il interprète une proximité et une accessibilité que ne démentirait pas Warhol.
Il redonne ainsi vie à Nelson Mandela, à l’abbé Pierre et à Serge Gainsbourg par exemple. Jo Di Bona revendique cette joie de vivre, une sorte de fauvisme moderne qui rayonne et touche facilement, même quand le sujet se fait sérieux comme le « Mur de l’amour », en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, dont l’œuvre a fait la une du New York Times. Jo Di Bona a reçu le Prix du Graffiti en 2014 et participe à de nombreuses réalisations dans le monde entier.
Ardif est un jeune artiste qui a suivi des cours d’architecture. Il a réalisé les premiers collages de ses dessins en septembre 2016. Son travail nécessite une très grande précision avec des dessins effectués au feutre fin (le Rotring), le plus souvent en noir et blanc. Il est reconnaissable immédiatement. Comme Jo Di Bona, il crée son propre style avec ses « Mechanimals », animaux qui prêtent d’un côté un visage et de l’autre une machinerie qui pourrait trouver une filiation avec les créations de Jean Tinguely ou d’un film futuriste.
Cette symétrie parfaite entre les deux parties du tableau questionne sur la technique et la nature, sur l’aspect sauvage de notre environnement urbain. Sans technique, l’homme n’aurait pas évolué mais l’équilibre est fragile avec la nature et le développement de la technique ne doit pas se faire au détriment de la nature…
Ses interprétations semblent aussi rappeler que la technique peut avoir un côté sauvage mais le détail des rouages et la perfection de la mécanique semblent aussi souligner la perfection de la création, illustrée ici par l’animal. La technique est vivante, elle est domptée, elle doit avoir un but, assurer le meilleur à l’homme sans détruire son environnement. C’est l’équilibre parfait qui est mis à l’honneur par cette symétrie du dessin. Comme Jo Di Bona, le regard est tourné vers le spectateur.
Si le noir et blanc peut avoir un côté austère voire inquiétant, comme pour souligner l’importance de la question sur notre évolution et celle des espèces animales, les « Mechanimals » d’Ardif prennent une toute autre allure avec la peinture de Jo Di Bona, qui semble souligner l’évidence du respect de l’équilibre entre l’homme et la nature, par le rehaussement des couleurs et du traitement.
Cette évidence saute aux yeux avec la profondeur du regard de ce grand singe, grâce aux couleurs et à l’environnement créé par Jo Di Bona, qui accentue le message et lui confère une certaine confiance dans l’avenir. Le noir et blanc pouvait susciter des interrogations inquiètes, la couleur redonne confiance, joie et certitude.
« Ca va bien se passer » pourrait on lire. Un message voulu comme accessible à tous, comme la peinture de Jo Di Bona. Car pour Jo, l’important c’est d’aller vers les gens et le partage avant tout, source du bonheur. Il y a une part de rêve dans cette alliance colorée et précise des deux styles, un certain plaidoyer pour l’éternité de cet équilibre homme-nature. Jo disait que son rêve était de « peindre la face cachée de la lune ». Ardif pourrait très bien peindre l’autre versant.
Philippe Rosenpick
Avocat associé chez Desfilis, organisateur du prix du Graffiti 2016/17, promoteur de la fresque dessinée par Crey 132 en l’honneur du Bleuet France sur la place des Invalides, membre de la commission d’appel de la Fédération Française de Rugby, Chevalier de la Légion d’honneur.
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