Le PEN America, organisation mondiale de défense de la liberté d’expression, vient de rendre hommage à trois militantes des droits des femmes d’origine saoudienne. Leurs arrestations, l’an passé, avaient été condamnées dans le monde entier : Loujain al-Hathloul (photo), Nouf Abdulaziz et Eman al-Nafjan ont ainsi remporté le prix PEN / Barbey pour la liberté d’écriture.
Le procès de la militante saoudienne Loujain al-Hathloul, arrêtée il y a près d’un an lors d’une campagne en Arabie saoudite contre des activistes des droits humains, a débuté à Riyad il y a une semaine. Selon Amnesty, elle pourrait être poursuivie pour terrorisme.
Car il y a tant de femmes saoudiennes au destin brisé ou empêché…
Née d’un père autoritaire qui règne sans partage au sein de la cellule familiale, mariée à un homme malade qui dicte tous les actes de la vie quotidienne, et enfin la tutelle d’un fils névrosé qui impose sa façon de voir les choses en dictant à sa mère sa ligne de conduite. Voilà à quoi peut être livrée une femme saoudienne comme Khadija Majrashi, qui doit composer avec les deux hommes de sa vie encore vivants que sont son mari et son fils. Ils ne sont d’accord sur rien et certainement pas quant à l’idée que la femme du foyer puisse avoir un emploi, ce que le mari diminué agrée dorénavant, mais ce à quoi le rejeton s’oppose ardemment.
Cette tragicomédie saoudienne illustre la réalité largement partagée au sein de la société saoudienne que le Prince Mohammed Bin Salman disait vouloir révolutionner à grand renfort de communication dès l’été 2017, en promettant de restaurer « l’Islam modéré et ouvert ». Ces effets d’annonce parmi lesquels la levée de l’interdiction de conduire pour les femmes n’ont en réalité fait que renforcer les antagonismes au sein des familles saoudiennes au sujet du droit des femmes et de leurs libertés fondamentales mais plus globalement du système judiciaire et de l’état de droit.
Lorsque s’évapore l’écume des choses, il est aisé de vérifier que les changements opérés ne sont que cosmétiques. Ils concernent le champ du développement économique et le secteur du loisir. Il y a en effet eu une libéralisation du secteur de l’économie et les femmes se voient ouvrir la possibilité de conduire ou d’accéder aux stades de football. Des actes symboliques ont par ailleurs été posés comme la nomination de quelques femmes à quelques fonctions supposément importantes comme Fatima Baeshen, devenue porte-parole de l’ambassade du pays à Washington ou ces quelques femmes devenues membres du Conseil consultatif de la Shura, une sorte d’assemblée citoyenne qui conseille le Prince.
Pour le reste, rien n’a changé comme le déclare Nasreen Alissa, une avocate saoudienne qui a créé l’application « Connais tes Droits », pour permettre aux femmes de mieux connaître leurs droits pour mieux les revendiquer.
En Arabie Saoudite, le système de tutelle masculine persiste et constitue le premier sujet de plainte formulé par les femmes qui osent s’exprimer. Elles s’élèvent contre ce statut de minorité dans lequel elles sont placées, les obligeant à requérir la permission d’un tuteur masculin, fût-il leur propre fils, pour obtenir un passeport, voyager à l’étranger ou se marier !
C’est, en substance, ce que vit Khadija Majrashi qui, après avoir durant de nombreuses décennies subi la limitation de ses choix et mouvements par son propre père puis de son mari, fait face aujourd’hui à la farouche opposition de son fils Ali, jeune majeur de 22 ans, qui considère que les femmes ne sont pas outillées pour les activités extérieures comme avoir un emploi ou conduire une voiture. C’est ce que son père, éprouvé par un accident cardiaque, a pourtant approuvé.
Telles des ennemies de l’intérieur, ce sont d’autres femmes qui s’opposent à cette libéralisation des droits des femmes de manière feutrée. L’organisation My Guardian milite pour le maintien de la tutelle sous couvert de promotion des valeurs traditionnelles et de protection des femmes. Une de ses dirigeantes, Rawda Al Youssef, dit ne pas s’opposer aux droits des femmes, mais poursuit l’objectif de corriger « la compréhension tordue de la tutelle ». « Les hommes et les femmes devraient », selon elle, « se compléter » ajoutant qu’« un tuteur devrait être traité comme un conseiller personnel de la femme ».
Des intellectuels saoudiens, comme l’universitaire Madawi Al Rasheed, expriment le fait que cette tutelle relève également d’un placement sous un régime de minorité des femmes sur le plan politique. Pendant qu’elles s’occupent d’affaires de conduite, elles ne s’expriment pas sur des sujets relevant des affaires publiques, trop importantes pour elles. Ces intellectuels militent pour une réelle ouverture des droits civils et politiques pour tous.
L’assassinat du journaliste Khashoggi à l’automne dernier, qui était connu pour être une voix parmi cette intelligentsia saoudienne qui revendique une société ouverte et libre, ne laisse aucun doute quant au chemin qui reste à parcourir aux partisans de la liberté.
Puisse le jury du prix Nobel de la Paix, dans les choix qu’il rendra à l’automne de cette année, couronner une femme militante de l’égalité en Arabie saoudite. Suggérons cette jeune étudiante saoudienne, Loujain al Hathloul, remarquée par cette organisation d’écrivains, militante des droits des femmes et francophile, qui croupit dans les geôles du Prince MBS, subissant tortures, menaces et humiliations.
Michel Taube