Europes
11H30 - vendredi 22 mars 2019

Emmanuel Dupuy : éviter que les élections européennes du printemps 2019 ne débouchent sur un « hiver » européen.

 

En juin 2019, les Français éliront leurs 79 députés qui siègeront au Parlement européen parmi ses 751 membres, pour les cinq prochaines années.  

Pourtant, le hiatus demeure entre – d’une part – le dessein original visant à bâtir une Europe de la paix, de la sécurité et de la prospérité et – d’autre part – la perception « biaisée » voire dénaturée que peuvent en avoir les 511 millions de citoyens européens, préoccupés, avant tout, dans leur quotidien par les effets d’une mondialisation mal ou peu régulée.

L’Union Européenne, qui a célébré en 2017, son 60ème anniversaire (Traité de Rome, 25, mars 1957), première puissance territoriale grâce à sa « présence » sur tous les continents et océans (25 millions de Kmde Zone Economique Exclusive – ZEE) a pourtant de nombreux atouts à sa disposition, à l’aune des 24% du commerce international et ¼ du PIB mondial qu’elle représente – avec les PIB cumulés des 28 bientôt 27 Etats membres, soit 18160 milliards d’euros.

Dans ce contexte, la France, membre fondateur de l’UE, de l’ONU, où elle siège au sein du Conseil de Sécurité comme membre permanent depuis 73 ans, de l’OTAN depuis sa création en 1949, du G7 – qu’elle va présider en 2019 et souhaite élargir au Mexique, à l’Australie et à l’Inde -, reste un des principaux contributeurs au budget européen (plus de 17%) et demeure une puissance économique (avec un PIB de 2283 milliards d’euros en 2017) normative (à travers l’attractivité de son droit continental de tradition civiliste présent dans plus d’une centaine de pays), diplomatique (grâce aux quelques 270 millions locuteurs français, dont près de 80 pays qui sont membres ou associés à la Francophonie), militaire (tant sur le plan opérationnel dont les qualités d’engagement militaire multilatéraux sont unanimement reconnus que sur le plan industriel, qui en fait le second pays exportateur en 2017) présente sur tous les continents habités – autant que les cinq océans.

La France doit ainsi savoir saisir l’occasion unique, grâce au « Brexit » de démontrer qu’elle demeure la seule à être le moteur refondateur d’une Europe plus proche des attentes de ses quelques 511 millions d’habitants et qu’elle demeure la « championne » en matière de recherche et développement, d’innovation technologique, de capacités d’exportation et d’attraction des Investissements directs Etrangers (IDE), tout en démontrant l’exemplarité et la prégnance de son pacte social, qui garantit, par le modèle républicain, une égalité de chances pour tous.

Cependant, le legs des pères fondateurs de l’Europe demeure puissant. Robert Schuman, Jean Monnet, Alcide de Gasperi ont posé les fondamentaux du projet de construction européenne.

Il nous appartient de comprendre les interrogations que se posent de plus en plus de citoyens français vis-à-vis de l’UE (bien qu’ils soient 70% à être opposés à une sortie de la France de l’UE – sondage Ifop/Fiducial, mars 2017) et de proposer – en conséquence – des solutions pour faire face aux écueils des deux principes fondateurs de l’UE que sont la subsidiaritéet la solidarité.

Car, au quotidien, le slogan fondateur et fédérateur de la construction européenne – « l’union dans sa diversité » – sonne parfois creux pour de nombreux citoyens européens.

Les causes en sont multiples, elles sont systémiques autant que conjoncturelles :

  • Crise migratoire et défi démographique, ouvrant la réflexion sur « notre » voisinage africain et la déclinaison de nos actions et politiques à l’égard d’une Europe élargie (Eurafrique, Eurasie, EurAtlantique…) ;
  • Menace terroriste tant à l’intérieur de nos frontières que sur les nombreux théâtres d’opérations extérieures où les Européens sont engagés pour assurer paix et stabilité, pour prévenir – autant que faire se peut – et parfois résoudre des conflits, notamment sur le continent africain et au Levant, dont les conséquences en se répercutant, nous touchent autant que les populations locales ;
  • « Effacement » stratégique – prise en tenaille entre un unilatéralisme américain que nous ne pouvons plus éluder et des regroupements régionaux euro-asiatiques qui guident désormais les orientations diplomatiques et l’actions militaire de nos voisins orientaux, à l’instar de la Russie, de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, de la Turquie ;
  • « Opposition » idéologique tant sur le plan sociétal, économique que diplomatique entre démocrates humanistes libérauxet conservateurs populistes, volontiers chantres d’une vision « illibérale» de la société ;
  • Adaptation à des changements climatiques qui remettent en cause nos modes de vie et nous obligent à nous adapter et accompagner ces changements « structuraux » pour les générations futures et la croissance de demain ;
  • Prise en compte de la révolution numérique (IA, Big Data, robotisation, uberisation…) afin que l’Europe ne se trouve emportée par le « Tsunami » technologique qui se profile à l’horizon de 2030 (par le truchement des géants du numérique, à l’instar des GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – américains & BATX – Baïdu, Alibaba, Tencent et Xiaomi- chinois) forts de leur 750 milliards de dollars de chiffre d’affaire en 2017, notamment dans le domaine de la santé, de la solidarité intergénérationnelle, des transports, de l’environnement, de la défense…

Si l’on n’y prête ainsi suffisamment d’attention, le constat d’une crise de légitimité et carence d’autorité sont hélas réunies pour remettre en cause la pérennité, voire la viabilité même du projet européen…

Ce constat d’urgence de la crise amène six réflexions, que citoyens fortement engagés dans la défense du projet européen, depuis sa genèse, doivent mener, notamment, en direction de la jeunesse, pour qui l’Europe s’incarne plus que jamais face aux défis planétaires d’aujourd’hui et de demain :

  1. Comment concilier les politiques économiques nationales – dans une logique de sauvegarde de leur souveraineté et de leurs futurs emplois – tout en prenant conscience de la nécessité de construire et défendre les intérêts industriels européens, face à une concurrence mondiale de plus en plus forte ;
  2. Comment construire une Europe de la défense, de la sécurité ainsi qu’une politique extérieure autonome, face à l’effacement progressif américain et la réapparition des grands ensembles planétaires (Russie, Chine, Inde) ;
  3. Comment répondre – en même temps – à l’origine des crises humanitaires, qui fait qu’au 21èmesiècle, l’on meure encore en traversant la Méditerranée et à la fois comment concilier la nécessaire protection de nos frontières face aux défis d’aujourd’hui et de demain (migrations, urbanisation, démographie…) ;
  4. Comment inscrire l’action de l’Europe du 21èmesiècle dans la prise en compte de l’adaptation de nos modes de vie, de nos modèles économiques, de nos institutions à repenser, face aux transitions écologiques et aux révolutions technologiques en cours ;
  5. Comment rendre l’Europe plus efficace, en apportant notre réflexion collective et participative à une gouvernance rééquilibrée, à l’instar des projets de Gouvernement économique de la zone euro, proposée conjointement par la France et l’Allemagne ?
  6. Comment recréer un intérêt collectif et partagé européen, en s’appuyant sur les réflexions en faveur d’une Europe « à plusieurs vitesses » ou des « cercles concentriques» :
  • Eurozone à 19 – à travers la maitrise de l’inflation et la réduction de la dette publique – ;
  • Zone Schengen à 22 – en mettant en exergue la liberté de circulation des biens et des personnes en son sein, tout en garantissant la sécurisation de ses frontières terrestres et maritimes externes – ;
  • Coopération structurée permanente à 23 – rappelant qu’en matière défense et de sécurité, le principe de la souveraineté, ainsi que celui de la réalité « opérationnelle » des capacités qui nous ramène « inexorablement » à un…
  • noyau duren matière de PESC (politique étrangère) et de PSDC (politique de défense) ne regroupant de factoguère plus que 5 ou 6 états (dont la France et l’Allemagne – à partir du départ de la Grande-Bretagne, en mars 2019 constitue le pilier qualitatif et quantitatif essentiel) en pleine capacité opérationnelle, à l’instar des 41,8 milliards d’euros de budget militaire national en 2018 et des quelques 10 000 soldats français stationnés en Afrique, dans le Golfe persique, dans le Pacifique, dans l’Océan Indien et Atlantique ou encore ceux déployés en opérations extérieures dont celles engagées par l’UE)

Face à cette actualité, la consolidation d’une Europe plus responsable, plus efficace, plus protectrice, plus attractive, plus solidaire, plus innovante et in fineplus égalitaire se pose ainsi avec uneacuité particulière.

Pour que les élections européennes ne se résument à l’expression des peurs accumulées, ne cristallisent tous les maux de nos sociétés et pour éviter que le prochain scrutin ne débouche sur un « hiver européen », il nous appartient de rappeler ce que l’Europe fait déjà, de dénoncer les fausses informations (fake news) mettant en exergue une Europe Protectrice, Puissance, Solidaire, que l’on a tendance à oublier et proposer, dans la foulée, une approche nouvelle plus offensive, autour de la rédaction d’un nouveau Pacte pour une Europe protectrice, solidaire, puissance…

 

Pour un nouveau Pacte européen

Pour ce faire, il s’agit avant tout de faire valoir une nouvelle approche territoriale, manière innovante de concilier une approche intergouvernementale – que justifie le principe de la souveraineté nationale dans certains domaines – et une vision communautaire qui est parfois plus bénéfique (à l’instar de la vision d’une Europe « prospective » qui ferait la nécessaire liaison entre la place qu’a pu occuper l’Europe du  « charbon et de l’acier » à, partir de  1951 à l’Europe du « carbone et du numérique » à l’horizon 2050) proposent cinq chantiers pour redynamiser l’Europe, à travers, notamment un nouveau traité pour étayer de nouvelles solidarités européennes (autonomie dans le domaine de la défense ; expression d’une vision économique propre (Euro vsDollar / remise en cause du principe de l’extra-territorialité imposée par les USA ; mise en exergue de la singularité de l’identité démocratique de l’Europe…) ;

  1. Une nouvelle gouvernance européenne (qui pourrait se résumer par les principe suivants : davantage de « co-décision » intra – européenne (Parlement/Commission/Conseil) d’une part – et plus de « participation » des institutions nationales dans le processus décisionnel européen : renforcement du rôle des Parlements, des exécutifs régionaux « en amont » dans la rédaction des directives et règlements (dont dépendent déjà plus de 80% de nos lois) comme le pose – à titre d’exemple récent – l’opacité et de factola carence de légitimité démocratique quant à la ratification des traités de libre échange trans-continentaux (CETA, TAFTA, TISA) ;
  2. Un Girondisme européen, gagé par un « approfondissement » et une approche « différenciée » en matière de décentralisation dans les territoires européens. Depuis une trentaine d’années, la décentralisation s’est ancrée un peu partout en Europe, modifiant quelque peu la relation entre le citoyen et la politique. A l’instar de la nouvelle étape de la réforme territoriale qui s’est achevée avec la Loi NOTRed’aout 2015 – portant nouvelle organisation territoriale de la République – et les dernières élections régionales de 2015. Il est ainsi temps de proposer une lecture nouvelle de la décentralisation et de l’action publique dans les territoires européens, en prenant en compte la « singularité » des territoires dans les politiques publiques, alors que s’impose, par ailleurs, une nouvelle « fracture » territoriale entre métropoles, petites et moyennes villes, zones rurales de plus en plus éloignées des bassins d’emplois les plus dynamiques. C’est à cet effet, qu’il convient de réfléchir à cette nouvelle articulation entre territoires aux spécificités et caractéristiques différenciées, en France comme en Europe ;
  3. Une relance concrète d’une Union pour la Méditerranée (UpM) « élargie » que l’on l’appelle EurAfrique ou AME– Afrique/Méditerranée/Méditerranée – (sur la base d’une « union de projets » plutôt que le « projet d’union » engagée à l’occasion du Sommet du 14 juillet 2009) alors que la coopération trans-méditerranéenne – qui fêtera ses trente ans en 2025 ans – se conjugue désormais au-delà du simple bassin méditerranéen et ses 22 états riverains pour faire face aux « inacceptables communs » que sont les 3000 morts en 2017, en tenant de  traverser la Méditerranée et pour appréhender ensemble l’injustice d’économies asymétriques qui devraient pourtant se conjuguer dans un vaste espace régional dont  le besoin de ré-organisation sous-régional se fait sentir plus qu’ailleurs (Afrique du Nord, Afrique sub-saharienne, Moyen-Orient) ;
  4. Une nouvelle architecture de sécurité européenne, élargie à la réflexion de notre relation jusqu’ici « exclusive » Euro-Atlantique avec les Etats-Unis, par le truchement de la seule OTAN, ouvrant ainsi une approche plus « inclusive » et complémentaire entre l’OTAN, l’OSCE, la PESC et la PESD de l’UE et les nouvelles Organisations Intergouvernementales « émergentes », telles que l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), l’Union eurasienne (UEE) ou encore les approches transcontinentales, à l’instar des BRICAS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui pèse déjà plus de 50% de la croissance mondiale ;
  5. Concentrer la politique étrangère et de défense française sur sa « profondeur stratégique et historique » (méditerranéenne et africaine) en fondant un nouveau partenariat euro-africain en matière de sécurité et de défense. Ce dernier serait basé sur une nouvelle « Alliance européenne de sécurité » (sous la forme d’une coopération structurée permanente entre la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, qui constituent ¾ de la Politique de Sécurité et de Défense Commune – PSDC – et la Politique Etrangère de Sécurité Commune (PESC) et une nouvelle « Architecture de Paix et de Sécurité en Afrique » (APSA) , en mutualisant les réussites tactico-opérationnelles du G5-Sahel dans la zone sahélo-saharienne et les convergences transméditerranéenne au niveau du 5+5, notamment dans la lutte contre le terrorisme.

Ces cinq pistes permettront enfin de relancer l’Europe. Car il y a urgence.

 

Emmanuel DUPUY

Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

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