A la veille de la clôture des inscriptions à la conférence organisée par Opinion Internationale à l’Assemblée Nationale, Sébastien Nadot, député de Haute-Garonne, nous a accordé un entretien. Fin connaisseur des Émirats arabes unis et des relations privilégiées que la France y entretient, le membre de la commission des affaires étrangères nous confie ses doutes et son espoir quant aux effets persuasifs de l’inscription de ce pays sur la liste des paradis fiscaux.
Les Émirats arabes unis n’ont pas respecté leurs engagements en matière fiscale et financière et ne devraient pas s’étonner d’être considérés par l’Union européenne comme un paradis fiscal. Mais du Louvre Abou Dabi aux contrats civils et militaires, ses relations avec la France sont si étroites qu’il est peu probable que l’inscription des E.A.U. sur cette liste noire change significativement la donne, les intérêts commerciaux valant raison d’Etat. En revanche, la dimension européenne de la mesure peut les encourager à en tirer des conclusions positives. Entretien.
Monsieur le député, pourquoi vous intéressez-vous aux Émirats arabes unis ?
La première raison est personnelle : j’avais de la famille installée aux Émirats, ce qui m’a donné l’occasion de m’y rendre à plusieurs reprises. Plus tard, j’ai commencé mon mandat de député à la commission des affaires étrangères, et il se trouve que les E.A.U. sont très actifs en matière de partenariat avec la France.
Quel est selon vous l’enjeu du colloque du 4 avril prochain ?
On connaît assez peu les E.A.U., si l’on exclut ses emblèmes comme le Louvre Abou Dabi, ouvert récemment, ou les grandes tours de Dubaï. Cela reste un endroit assez mystérieux à tous points de vue. L’enjeu d’un colloque à l’Assemblée nationale est notamment d’aller derrière la vitrine et d’y voir ce qu’il s’y passe.
Le rôle des E.A.U. en matière de blanchiment d’argent sale était un secret de Polichinelle. Pourtant, l’idée était repandue que personne n’oserait s’y attaquer. Quel rôle a joué la France dans le classement des E.A.U. dans la liste des paradis fiscaux ? L’a-t-elle plutôt encouragé ou freiné ?
Il est difficile de répondre à cette question de mon point de vue de député. Plusieurs raisons peuvent motiver ce classement, mais n’oublions pas que nous sommes un important partenaire des E.A.U.. J’aurais donc plutôt tendance à penser qu’on essaye de les ménager. On ne peut toutefois exclure que la France ait tenu rigueur aux E.A.U. de certaines difficultés indépendantes des questions fiscales comme les négociations sur la vente d’Airbus qui ne sont pas allées à leur terme. Mais on ne saurait en déduire une conclusion sur le rôle qu’a ou non joué la France dans l’inscription des E.A.U. sur la liste européenne des paradis fiscaux.
Les E.A.U. ont-ils tendu à l’Europe le bâton pour se faire battre en refusant de prendre certains engagements en matière de lutte contre le blanchiment ?
Effectivement, on ne peut prendre des engagements et faire des discours sans aucune concrétisation concrète. Les Émirats ont accepté de signer certains accords en matière financière, sans aucune traduction factuelle. Ce classement est certainement légitime et nous en attendons une réaction de la part des Émirats.
Les E.A.U. pourraient donc être retirés de cette liste s’ils démontrent que des démarches effectives ont été entreprises ?
Cette liste n’est pas figée. C’est un moyen de pression pour que les pays concernés se mettent en conformité avec les normes. En ce sens, c’est un mode de fonctionnement très intéressant.
Les députés français et européens ont-ils une influence sur cette décision, ou relève-t-elle uniquement du pouvoir exécutif ?
En tant que député français, je peux vous dire que nous n’avons aucunement la main sur ces questions, qui relèvent uniquement de l’exécutif. Il est probable que les députés européens puissent apporter leur contribution à la réflexion, mais sans avoir une influence décisive sur la décision.
Quelles seront les répercussions effectives de cette inscription sur les relations entre les E.A.U. et la France ?
J’ai une inquiétude pleine et entière pour diverses raisons. En particulier, quand je vois que nos engagements envers les E.A.U. ont été renouvelés lors de la visite récente du Cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyane à Paris, je mesure à quel point il va être compliqué de tenir compte de ce classement.
Il suffit de se pencher sur les accords signés lors de la récente visite du chef d’État émirati pour s’apercevoir que l’on est pieds et poings liés en tous domaines avec ce pays qui dispose de moyens financiers hors normes, et qui à ce titre intéresse la France. On peine à imaginer comment de nouvelles règles pourraient être imposées à ce pays du fait de ce classement.
Un coup pour rien, finalement, qui ne crédibilise pas l’Europe ?
Ce classement à tout de même une importance du point de vue de l’Union européenne, car il gène les E.A.U.. C’est un pays qui a grandi très vite et qui a le plus grand besoin d’une reconnaissance internationale. Il ne peut tirer aucune gloire d’être classé comme paradis fiscal, bien au contraire. C’est une tache que les E.A.U. vont chercher à gommer par des moyens que l’on peut espérer positifs. Ils doivent comprendre que leur intérêt est de sortir de cette liste le plus rapidement possible.
Propos recueillis par Laurent Caron, Rédacteur en chef adjoint
Pour s’inscrire à la conférence « pourquoi les Emirats Arabes Unis sont-ils à nouveau classés dans la liste noire des paradis fiscaux de l’Union Européenne ? »