C’est un débat qui arrive à point nommé : mardi 2 avril, au lendemain de ce qui est annoncé comme l’ultime vote solennel de la Chambre des communes (celui par lequel Theresa May s’engage à démissionner et qui devrait acter l’accord de l’UE sur le Brexit), le think tank Ethic de Sophie de Menthon reçoit Jacques Gounon qui préside aux destinées de la société Getlink (ex Eurotunnel) qui exploite le fameux Tunnel sous la Manche depuis quinze ans. Le débat : « le Brexit, un tunnel sans fin ».
Car avec le Brexit, avec des gilets jaunes repoussés le 21 novembre dernier à la sortie de l’A16 permettant d’accéder au tunnel sous la Manche, avec la pression constante des migrants qui veulent aller en Angleterre, avec la grève des douanes françaises qui allonge les files d’attente dans les gares, la société qui exploite le Tunnel sous la Manche n’en finit pas de traverser les secousses d’une actualité plus que perturbée.
Tel un capitaine de navire dans la tempête, Jacques Gounon a déjà démontré qu’il avait toutes les qualités pour affronter ces nouveaux challenges.
Commençons par nous faire peur, car ce qui suit n’arrivera jamais. Ou ne devrait jamais arriver…
Les Britanniques ne trouvent aucun accord sur le Brexit, ce tunnel sans fin. En revanche, ils précipitent le début de la fin, de la leur d’abord : un « Hard Brexit », pur et dur, sans nuance, sans aménagement. Les files d’attente pour emprunter le tunnel sous la Manche deviennent interminables. De nombreux automobilistes et chauffeurs de poids lourds perdent leurs nerfs. Les barrages se multiplient. Ce n’est guère mieux pour la traversée en ferry.
Pour éviter le naufrage économique, le Royaume-Uni décide d’abaisser fortement les droits de douane sur les importations de tous pays, et réduit dans les mêmes proportions l’impôt sur les bénéfices des sociétés, à la plus grande joie des GAFAM. La France ne se sent plus liée par les accords du Touquet signés en 2003 et souvent reconduits, aux termes desquels la frontière entre la France et le Royaume Uni se situe en France. Des milliers de migrants embarquent sur des embarcations de fortune, du ferry classique à la barque de promenade. Les gardes-frontières anglais refusent de les laisser accoster et emploient la force. La France ferme le Tunnel sous la Manche, deux jours après que l’on eut appris qu’il était visé par un attentat islamiste d’envergure. Un blocus maritime du Royaume-Uni est envisagé…
Heureusement, ceci n’est qu’une fiction. La guerre de Cent Ans ne reprendra pas ! Le peuple anglais, pas plus que son gouvernement, n’a complètement perdu la boussole et ne souhaite une suicidaire fuite en avant, même si tous se sont laissés embarqués dans une tourmente dont ils ne mesuraient ni la dimension ni les effets. C’est pourquoi le Brexit peut effectivement être vu comme un tunnel sans fin, l’histoire étant loin de son dénouement.
Le tunnel sous la Manche, lui, n’est pas une métaphore. Il est non seulement une réalité d’acier et de béton, mais aussi une réalisation géopolitique comme l’histoire en a peu connues. Depuis son inauguration le 6 mai 1994 par la Reine d’Angleterre et François Mitterrand, l’Angleterre n’est plus vraiment une île. On peut s’y rendre sans bateau ni avion, sans même voir la mer. Paris est (presque) un quartier de Londres et réciproquement.
Et pourtant, bien avant le Brexit, ce tunnel dut affronter bien des tempêtes, notamment financières, car rentabiliser un pareil investissement ne se satisfit pas d’équations enseignées dans les meilleures écoles de commerce. Préserver, consolider et développer le lien physique entre la Grande-Bretagne et le continent exigeaient surtout des qualités de gouvernance exceptionnelles.
Ces héros des temps modernes…
C’est là qu’entra en jeu (et dans l’histoire de cet édifice unique) Jacques Gounon, le PDG du groupe Getlink, dont Eurotunnel est une filiale. Sa première qualité fut d’avoir parfaitement compris les enjeux multiples et essentiels du Tunnel sous la Manche. Arrivé aux commandes en 2005, il commença par redresser une société au bord de la faillite. Le rebond fut spectaculaire, mais surtout, il fut durable, puisque cela fait maintenant neuf ans qu’Eurotunnel est en croissance, le groupe Getlink se prévalant d’un résultat net de 130 millions d’€ pour l’année 2018, soit une progression de 16 % en une seule année.
Mais il ne s’agit là que de résultats financiers, certes importants, mais qui ne suffisent à traduire la dimension géopolitique de l’entreprise et du fameux édifice de 50 kilomètres de long, dont 38 sous la mer : 430 millions de voyageurs et 86 millions de véhicules ont déjà emprunté le tunnel depuis son inauguration. Selon Getlink, en 2018, plus de 22 millions de personnes, soit une moyenne de plus de 60 000 par jour en ont fait l’usage. Tous les chiffres donnent le tournis : 2,7 millions de voitures et autocars et 1,7 million de camions transportés par la navette chaque année en fait de loin le leader mondial du ferroutage.
On n’imagine plus une Europe sans l’Eurotunnel par lequel transitent 26 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale, pour un total de 140 Md€ par an.
La réussite de Jacques Gounon repose aussi sur sa faculté, comme l’explique Le Figaro, de s’entourer des personnes les plus compétentes, au sein d’une équipe capable d’appréhender les différences facettes du challenge : experts des transports et de la finance, spécialistes du marché britannique, fins connaisseurs des rouages ministériels… Les résultats de Jacques Gounon et de son équipe de choc dépassent toutes les attentes des marchés qui, quinze ans plus tôt, n’étaient pas loin de s’interroger sur la pérennité du Tunnel sous la Manche.
On ne le dit pas assez mais la bonne santé d’Eurotunnel (pardon, de Getlink) est aujourd’hui une chance pour les adversaires du Brexit ! Cela tombe bien : ils sont 5 millions à avoir signé une pétition ces derniers jours, 1 million dans les rues de Londres samedi dernier pour demander un nouveau référendum. Les enquêtes d’opinion semblent indiquer que la majorité des Anglais sont aujourd’hui convaincus que leur premier choix fut une erreur.
Un report de la sortie du Brexit rendrait enfin possible un nouveau vote du peuple britannique dans les prochaines années.
Les milieux économiques y sont favorables.
Plus que jamais, emprunter le Tunnel sous la Manche doit être une évidence et non une option ou une éventualité. Comment contenir les temps de passage du fait des formalités douanières, protéger les camions de l’intrusion de migrants, rassurer les Britanniques quant à leur sécurité en France sur fond de crise et d’insurrection urbaine des gilets jaunes… ? Le PDG de Getlink a quelques idées à partager…
Au final, il est rassurant qu’un dirigeant de la trempe d’un Jacques Gounon, un décideur engagé au cœur de l’actualité, pour reprendre notre « devise », soit aux commandes lorsque le gros temps s’annonce. Physiquement, l’avantage d’un tunnel est de ne pas être sensible au vent. Métaphoriquement, on ne pourra pourtant pas se contenter de regarder passer la tempête.
Nous écrivions il y a peu « God save England » et « we love you yeah yeah yeah ».
Demain, nous dirons : « amis Anglais, get link ».
Raymond Taube
Fondateur et directeur de l’IDP (Institut de Droit Pratique) et rédacteur en chef d’Opinion Internationale
Michel Taube
Fondateur d’Opinion Internationale
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