Solutions pour la France
11H43 - jeudi 4 avril 2019

Muriel Touaty, Directrice générale du Technion France : créons des territoires apprenants où l’éducation sera basée sur le cognitif et l’humain.

 

Retrouvez chaque jour « Solutions pour la France » à la une d’Opinion Internationale, rubrique animée par Raymond Taube, rédacteur en chef et directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique. Aujourd’hui, les propositions de Muriel Touaty, Directrice générale du Technion France.

Pour qu’un vieux pays comme la France ne devienne pas un pays vieillissant incapable d’affronter l’évolution exponentielle de la société au risque d’en pénaliser la relation humaine, il faut que la primauté donnée à l’élitisme cède le pas à la mise en valeur de l’excellence, des talents et du mérite et que l’éducation s’affranchisse des carcans contraignants et pesants qui figent la pensée et stigmatisent l’échec.

Le point crucial, qui ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier, pour l’avenir de la France pour ne pas dire de l’humanité, c’est l’éducation. En France, on s’est enfermé dans un système figé. La France est un vieux pays où, en définitive, on a longtemps eu le sentiment qu’il n’était pas nécessaire de se remettre en question, parce que l’on capitalisait sur des schémas établis de longue date, notamment en matière d’éducation où l’on a toujours misé sur l’élitisme, au bénéfice d’une très petite partie de la population. Il eut fallu privilégier non pas l’élitisme, mais l’excellence, qui est d’abord cette faculté à pouvoir se dépasser, à se remettre en question avec pour effet d’être en mesure de développer une capacité de résilience face au risque, identifier les talents là où ils sont. Cela donne une sorte de liberté personnelle de s’affirmer sans peur.

Il faut promouvoir le concept de territoire apprenant, de territoire de bienveillance, de territoire de confiance, ce qui ne peut passer que par l’éducation dans une démocratie solide. Ce processus prendra du temps, mais je constate qu’enfin, il commence à se révéler, notamment sous l’impulsion de personnalités comme Stanislas Dehaene, un psychologue cognitiviste et neuroscientifique qui a l’oreille de Jean-Michel Blanquer, lui aussi très lucide quant à l’importance de négocier cet indispensable tournant. Le processus vise d’abord et essentiellement la petite enfance, car c’est avant 4 ans que tout ou presque se joue, lorsque les cerveaux sont encore malléables. Bien entendu, les résultats ne seront pas immédiatement visibles. C’est donc un pari à long terme, et il faut se projeter sur ce que sera la France à l’horizon de 2050.

Concrètement, il faut réapprendre à apprendre. À côté de l’enseignement académique, il faut constituer des modules pédagogiques faisant appel au cognitif, au comportemental, à l’improvisation, en particulier par le biais de jeux de rôles qui permettent d’intégrer un autre que soi-même pour le comprendre. De tels modules pédagogiques doivent être mis en œuvre dès la petite enfance, au jardin d’enfants, puis à l’école primaire. Après, il sera trop tard. Il ne s’agit pas d’abandonner l’apprentissage des connaissances de base, mais de travailler également sur la dimension cognitive, sur l’intelligence collaborative, sur l’humain. Il faut abandonner cette prime à l’individualisme ou chaque enfant, chaque élève est dans son coin, enfermé dans une sorte de compétition avec lui-même et avec les autres, alors qu’il faudrait faire de l’école un terrain de jeu, un laboratoire expérimental, un lieu de vie où tous les enfants sont intégrés, avec leurs différences. Chacun doit avoir la chance d’Etre, avec un grand « E », d’avoir sa légitimité. Cela suppose de repenser la fonction de l’enseignant et les programmes pédagogiques en stimulant beaucoup plus l’humain, en le mélangeant et l’entremêlant avec d’autres cultures. C’est précisément cela, l’intelligence collaborative, participative, où chacun est engagé et devient acteur et non sujet.

Je peux prendre l’exemple d’Israël, où dès la très jeune enfance, on apprend le risque, l’adversité. On apprend que pour réussir, on va peut tomber une fois, deux fois, dix fois, mais sans jamais être placardé ou stigmatisé. Chaque enfant est dans sa légitimité et le fait de trébucher ne la lui fait pas perdre. Bien entendu, cela relève de la psychologie ou de la psychothérapie. Au lieu de générer une population ancrée dans des carcans qui reste façonnée dans l’individualisme, il faut travailler sur le collectif et l’inter-disciplinaire en faisant dégager de chacun ce qui est de l’ordre de l’épanouissement, du bienveillant, de l’empathie.

Même s’il est indispensable d’enclencher ce processus dès la petite enfance, il faut le prolonger avec la formation pluridisciplinaire et interdisciplinaire tout au long de la vie. La question n’est pas seulement professionnelle. Elle est aussi existentielle. La polyvalence et l’adaptabilité sont essentielles si l’on ne veut être enfermé dans une existence figée, tracée à la l’avance, où chaque changement est vécu comme un drame alors qu’il devrait être une opportunité.

 

L’éducation de demain se bâtit aujourd’hui

Nous ne travaillons pas pour nous, mais pour les générations à venir. Sans vouloir être négative ou pessimiste, il est presque trop tard d’infléchir le mode de pensée des générations actuelles, malheureusement enfermées dans des schémas pré-écrits qui ne leur offrent que peu d’autonomie. On a tout misé sur les élites pour qu’elles soient les premières de cordée chargées de tracter toute l’économie et même la société. En raisonnant ainsi, on a oublié de chercher les talents. Les talents, c’est la diversité, c’est le multiculturalisme. Être un entreprenant, à défaut d’être un entrepreneur, c’est savoir conscientiser ce que l’on est.

Or cette prise de conscience de ce que l’on est, d’où on veut aller, de la capacité à se dépasser et de ne plus être fusionnel avec un système, cela s’apprend très jeune, dès le jardin d’enfants. Jusqu’alors, on a toujours été fusionnel dans le système compétitif de l’Eduction nationale : si l’enfant n’entre pas dans les rangs, il est placardé, marginalisé. Il perd sa légitimité, donc n’existe plus. Redonnons la légitimité à chacun d’entre eux.

 

Muriel Touaty

Les solutions pour la France d’Opinion Internationale :

• Tribune de Jean-François Cesarini et de trente députés d’En Marche : « Pour une Europe des Territoires »

• Muriel Touaty, Directrice générale du Technion France : créons des territoires apprenants où l’éducation sera basée sur le cognitif et l’humain.

• Il faut expliquer l’économie aux Français, par Sophie de Menthon, Présidente d’Ethic