Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont les préoccupations économiques qui guident au premier chef les choix des citoyens israéliens, et non les conflits avec les Palestiniens ou des considérations sécuritaires. C’est ce qu’explique Eric Gozlan, homme de paix franco-israélien et auteur de nombreuses tribunes dans différents médias français et israéliens, dans un entretien accordé à Opinion Internationale.
Mais, au soir du 9 avril, comme les précédentes années, avec le scrutin proportionnel, ce n’est pas forcément le vainqueur qui gouvernera, mais celui qui sera le plus à même de former une coalition. Une leçon que devraient méditer les citoyens français en mal de proportionnelle, nous dit Eric Gozlan, grand connaisseur de la politique israélienne.
Opinion internationale : le principal leader de l’opposition, Benny Gantz, est donné en tête dans les sondages, mais il lui faudra, tout comme son adversaire sortant, constituer une coalition majoritaire. Pensez-vous que ce nouveau leader israélien sera en situation d’y parvenir ?
Eric Gozlan : il semblerait que Benny Gantz éprouvera les plus grandes difficultés à former une coalition majoritaire, sauf si les petits partis d’extrême droite, alliés à Benjamin Netanyahou n’atteignent pas chacun 3,25 % des voix, ce qui est le seuil d’éligibilité. Par ailleurs, Gantz a annoncé ne pas vouloir former une coalition avec les partis arabes. Tout dépend par conséquent du nombre de voix des petits partis extrémistes religieux : s’ils franchissent la barrière des 150.000 voies, Netanyahou sera reconduit, grâce à ses alliés religieux avec lesquels Gantz ne veut pas gouverner… pour l’instant !
Le mode de scrutin à la proportionnelle intégrale, que beaucoup réclament en France, ne conduit-il pas les grands partis à être les otages de petites formations, parfois extrémistes ?
Le système électoral israélien est très proche de la IVème République française. Jamais un parti n’a atteint la majorité absolue de 61 sièges sur 120. Le parlement israélien est désigné pour quatre ans, soit 48 mois, mais la durée moyenne effective d’une législature est de 36 mois. Un parti dominant rassemble entre 25 et 30 % des sièges. Les 120 sièges du Parlement sortant sont répartis entre 10 partis. Plus de 45 partis se sont présentés à l’élection de 2019 !
Il ne faut donc pas s’étonner que se forment parfois des coalitions contre nature ! Les micros partis, notamment religieux, en profitent pour multiplier les exigences, sous la menace de quitter le gouvernement et donc, la majorité. Ceux qui en France veulent retourner à la IVème République ou en fonder une sixième avec un scrutin à la proportionnelle intégrale devraient se nourrir de l’histoire de leur pays et regarder ce qui se passe en Israël.
Demain, ce sera peut-être Gantz qui y sera majoritaire… et Netanyahou qui gouvernera. Sur le papier, ce mode de scrutin est très démocratique. En pratique, c’est le contraire de la démocratie, et personne ne songe à changer de système, sans doute par habitude ou conformisme.
Vue de France, la vie politique israélienne tourne autour des conflits avec ses voisins, notamment palestiniens. Les Israéliens ne votent-ils pas aussi en fonction de critères économiques et sociaux, comme en France ?
Le sujet le plus important pour 47 % des Israéliens est la situation économique, comme en France ! 21 % seulement privilégient la sécurité qui pour la première fois, est reléguée à la seconde place, très largement d’ailleurs. 17 % des Israéliens privilégient des questions éthiques : la corruption, l’état de droit, la démocratie. 11 % sont principalement motivés par les relations avec les Palestiniens, les questions diplomatiques et la paix, et enfin 5 % privilégient le rapport entre la religion et l’État.
Le résultat des élections peut-il infléchir la donne au Moyen-Orient ?
Jusqu’à la dernière semaine précédant le scrutin, il n’y avait guère de différence entre les programmes des deux principaux candidats, notamment s’agissant de la politique de défense ou des critères de négociation avec les Palestiniens.
La seule véritable différence réside dans le fait que Benjamin Netanyahou veut gouverner avec l’extrême droite, ce qui l’incite à satisfaire leurs desiderata. Il a même annoncé il y a 48 heures qu’il annexerait les territoires palestiniens de Cisjordanie, alors que Benny Gantz semble davantage disposé à négocier, mais sans pour autant mettre en péril la sécurité d’Israël.
Dans les capitales arabes, on est un peu déçu de l’attitude de Netanyahou et l’on attend le résultat des élections pour négocier. Gantz est un militaire, et je pense que ceci est un atout de nature à rassurer les pays arabes sur la fiabilité de sa parole. L’extrême droite et certains partis religieux refusent toute négociation sur la question palestinienne, quitte à rompre une éventuelle coalition avec Netanyahou.
La carte de la Palestine englobe la totalité du territoire israélien, ce qui ne correspond pas au discours de « deux États pour deux peuples ». N’a-t-on pas le sentiment qu’eux non plus ne veulent aucune négociation et qu’ainsi, leur candidat serait plutôt Netanyahou ?
Autant le Hamas est totalement hostile à la paix, autant le Fatah, qui est le parti de Mahmoud Abbas, a maintenant besoin de la paix. Sur le terrain, la négociation n’a jamais cessé. Des accords ont récemment été conclus, notamment sur l’électricité. Ce qui me semble dramatique, c’est l’accord donné par Netanyahou au Qatar de verser 700 millions de dollars au Hamas, jouant ainsi le jeu des extrémistes islamistes. C’est incompréhensible.
Propos recueillis par Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale