Ils ont commencé l’air de rien, plutôt mignons et bon enfant, dans leurs petits gilets de haute visibilité, signalant qu’ils étaient fragiles, presque en danger, pour terminer aujourd’hui en énorme épine dans le pied…
Je les ai découverts en faisant mon marché un samedi matin de novembre. Beaucoup de commerçants manquaient au rendez-vous. Ils avaient préféré ne pas se déplacer à rester bloquer sur la route et risquer de devoir jeter leurs marchandises périssables – d’ailleurs, ça n’allait pas durer.
Nous étions donc peu nombreux à marcher avec nos paniers entre les stands espacés. Des ombres tristounettes, vêtues de gilets jaune pétant aux bandes fluorescentes, déambulaient dans le quartier, comme si elles se cherchaient.
Bientôt cinq mois et vingt-deux actes ont passé depuis ce jour-là, personne n’ignore plus leur mouvement, mais après avoir gagné l’attention de chacun, s’être attiré la sympathie de la majorité, leur popularité a vertigineusement chuté. Parce que, au bout de vingt-trois actes, le spectacle finit par lasser ; que les rendez-vous des casseurs les samedis en centre-ville, empêchant les familles de vaquer à leur lèche-vitrine, conduisent les commerçants et restaurateurs à la ruine ; et que, finalement, le désespoir des Français, du moins pour la plupart, s’arrête où leur confort commence.
On pourrait plaisanter, si ce n’était pathétique, sur les diverses théories qui croissent et se multiplient autour de la sphère jauniste. Délires conspirationnistes et autres démonstrations oiseuses invalidant les élections présidentielle, législatives, depuis le décret Valls n°2016-1675 portant création de l’inspection générale de la justice. Quant aux appels persistants à la démission de Macron… Quoi de nouveau sous le soleil ? Les électeurs français, ça ne date pas d’hier, sont systématiquement déçus par leurs nouveaux présidents. Ils les élisent, puis les combattent, à peine entrés en fonction. Car s’ils veulent que tout se transforme, ils rejettent tout changement. Pas question de toucher aux sacro-saints acquis sociaux qui datent du train à vapeur. Les électeurs français, enfants rêveurs, un peu gâtés, ne veulent rien moins que des miracles. Ils croient encore au père Noël.
On pourrait plaisanter si la menace ne planait sur nos institutions. Car comment ne pas soupçonner, au vu des dérapages – violence, xénophobie, racisme… –, les origines malignes de ce mouvement populaire apparemment innocent. Il ne faut pas être sourcier pour découvrir qu’en son cœur les tendances FN et FI sont massivement représentées. Comme par hasard, les deux frustrés des derniers scrutins nationaux, qui osent se revendiquer de la démocratie tout en niant, au fond, sa voix. N’aurions-nous pas affaire ici à une tentative de Putsch ourdie par de mauvais perdants ?
Attention loin de moi de prétendre que notre pays ne cultive pas les injustices, et nier le besoin vital de les réparer d’urgence. Il serait indécent d’ignorer ces Français, trois sur dix selon les sondages, qui se sentent perdus, délaissés, à la merci de la misère. Mais en quoi les casseurs feraient-ils progresser leur cause ? Et le refus de négocier ? Le refus d’avancer ?
Les Français doivent enfin accepter que dans notre monde en évolution permanente – entre autres grâce à la science et aux nouvelles technologies –, s’accrocher au passé est dangereux, voire suicidaire. Qu’il faut savoir s’adapter et s’ancrer des deux pieds sur terre. Pour construire l’avenir ensemble. Ou simplement pour survivre.
Sinon la France sombrera, entraînant avec elle ses gilets jaunes et ses cols blancs. Et ne brillera plus, comme les étoiles éteintes, que de ses lumières passées.
Affaire à suivre. Rendez-vous samedi prochain pour le vingt-troisième acte. Et fin ?
Catherine Fuhg, auteure, réalisatrice