A peine la première prise de l’enregistrement du message présidentiel était-elle en boîte que la nouvelle de l’incendie de Notre-Dame relégua cet événement tant attendu (et scénarisé) au dernier plan de l’actualité. Depuis l’avènement des chaînes d’information en continu, tout événement ramène la hiérarchisation de ladite information à deux niveaux : le premier et le dernier. En dix minutes, le discours attendu du président sur les solutions tirées du Grand Débat est passé au second plan voire tombé dans les oubliettes du temps médiatique.
Ceci dit, en dépit de la préservation de Notre-Dame et de ses reliques sacrées, dans laquelle certains voient une intervention divine, ce n’est pas par la grâce du Saint-Esprit que le contenu de l’allocution d’Emmanuel Macron s’est retrouvé à l’AFP, relayé immédiatement par BFMTV ! L’information a bien fuité au risque de tuer l’effet de surprise.
Le locataire de l’Elysée a-t-il voulu sonder l’opinion sur quelques unes de ses décisions ? Peut-être opérera-t-il quelques ajustements en tenant compte des réactions que leur divulgation a suscitées. Ou peut-être pas. Car la politique est une pièce de théâtre où chacun joue son rôle, récite sa partition, parfois jusqu’au ridicule.
Pour l’heure, au vu des réactions suscitées par ces fuites organisées, on pourrait penser que, comme en décembre avec les 10-12 milliards déjà débloqués, Emmanuel Macron n’en aurait pas fait assez et ses mesures ne seraient que des mesurettes. Alors qu’il nous fallait un choc, qu’il lui fallait renverser la table. Mais se flagellerait-il en public que les leaders d’extrême droite, extrême gauche et extrême jaune exigeraient un écartèlement, une pendaison et s’agissant du camarade révolutionnaire Mélenchon, descendant spirituel de Robespierre, sa décapitation publique. Au sens figuré bien sûr.
Des mesurettes ?
Qu’y avait-il donc de si insignifiant dans le projet d’allocution d’Emmanuel Macron ? Les gilets jaunes, qui n’ont pas encore compris qu’ils n’étaient pas la France, ou qu’ils l’étaient de moins en moins, et même l’ensemble des Français dont l’opinion ne cesse d’être sondée, ont principalement des préoccupations de quatre ordres : le pouvoir d’achat, la démocratie, la préservation des services publics et l’environnement.
S’agissant des fins de mois, un Etat surendetté ne peut l’impossible, sa marge de manœuvre étant par ailleurs limitée par les contraintes européennes que d’aucuns voient comme un insupportable carcan, refusant dogmatiquement (ou électoralement) de reconnaître ses vertus protectrices. Sans l’Euro, notre franc, nos banques et donc l’épargne des Français auraient vraisemblablement été balayés par la crise financière de 2008. Qu’ils se le disent !
Pourtant Emmanuel Macron s’apprêtait à annoncer la réindexation sur l’inflation des pensions de retraite inférieures à 2000 € à compter de 2020, la pérennisation de la prime de 1000 € défiscalisée et non soumise à cotisations sociales, la baisse de l’impôt sur le revenus des classes moyennes avec un abaissement du taux d’entrée dans l’impôt, l’évaluation de la suppression de l’ISF, un impôt pourtant considéré par la majorité des économistes comme plus nocif que bénéfique en raison de la fuite des cerveaux et des capitaux qu’il engendre. « Pinuts », crient déjà les jaunes, rouges et bruns. Trop de Français qui ne sont pas « riches » ne demandent qu’à les croire.
La seconde revendication majeure concerne donc la démocratie et les institutions. Ce qui reste de gilets jaunes exigent le RIC révocatoire, qui ne peut conduire qu’au chaos, à l’anarchie et, en définitive, à la dictature et à la ruine, celle des plus pauvres au premier chef. La démocratie directe est un piège. Même le référendum traditionnel n’est pas sans danger. Les Anglais, qui majoritairement regrettent leur choix irrévocable du Brexit, en savent quelque chose. Pourtant, le président de la République souhaite faciliter le référendum d’initiative partagé (RIP) et même la mise en place du fameux référendum d’initiative citoyenne (RIC), mais au niveau local, ce qui semble être bien plus crédible et utile que les souhaits obstinés de certains aventuriers. L’annonce de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives, en complément d’une réduction du nombre d’élus, va également dans le sens des souhaits des Français, même si le scrutin proportionnel comporte le risque de placer les minorités, voire les formations groupusculaires, en situation d’arbitre, de faiseur de roi. Israël en est un bon exemple : la proportionnelle intégrale permet au premier ministre de s’appuyer sur les plus droitiers de ses soutiens pour exister.
La suppression de l’Ecole nationale d’administration, l’ENA, dans le cadre d’une réforme profonde de la Haute Fonction publique, serait présentée comme une mesure d’ordre démocratique, non pas qu’il soit inutile de former efficacement les futurs cadres du secteur public, mais son mécanisme de cooptation sociétale et corporatiste conduit à générer une élite issue d’une base trop restreinte et peu représentative de la société.
S’agissant de la défense du service public, Emmanuel Macron voulait s’engager (et sans doute s’engagera) à ce qu’aucune école ni aucun hôpital ne soit fermé d’ici la fin de son quinquennat, sauf demande des maires, ce qui est également une manière de renforcer le pouvoir des élus locaux et de tenter de renouer un lien de confiance notoirement dégradé. Le Président y voit même un nouvel acte de décentralisation.
Finalement, l’environnement semble être le parent pauvre des engagements élyséens qui ont fuité, la principale annonce étant la création d’une « convention citoyenne tirée au sort pour travailler sur la transition écologique ». Emmanuel Macron devrait se souvenir que ce thème a rassemblé bien plus de manifestants que les gilets jaunes et surtout, qu’il est vital à la survie sinon de la planète, du moins à celle de l’humanité.
Osons !
Au final, prétendre que le chef de l’Etat est resté sourd aux revendications des Français, que les mesures qui seront annoncées sont ridicules parce qu’elles ne remettent pas en cause le « système », relève du mauvais procès d’intention. En dépit de leur sympathie initiale avec les gilets jaune, et de leur demande constante de plus de démocratie et d’une meilleure répartition des richesses, les Français ne sont pas aussi utopistes (ou imbéciles, selon les versions) que l’espèrent Maxime Nicole ou Éric Drouet, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Ils ont, espérons-le, conscience des dangers des alternatives qu’on leur propose au dit système.
Pourtant, Emmanuel Macron aurait pu faire preuve de plus d’audace, notamment sur le plan des institutions. On ne cesse de clamer que notre Constitution n’est plus en phase avec son époque, que la verticalité du pouvoir a des relents monarchiques qui exaspèrent les Français. Le chef de l’Etat aurait pu renverser la table en soumettant au référendum une sixième République, soit d’essence parlementaire, comme en Allemagne ou au Royaume Uni, soit véritablement présidentielle, comme aux Etats-Unis. Dans les deux cas, c’est le Parlement qui en sortirait grandement renforcé.
Sur le plan fiscal, l’audace aurait pu se traduire par une révision plus profonde du barème de l’impôt sur le revenu, une refonte générale des niches fiscales, quitte même à en créer de nouvelles si elles bénéficient réellement à l’économie. Mais on ne va pas ouvrir ici et maintenant un nouveau cahier de doléances, mais appeler le Président de la République à aider davantage les femmes seules (il est déjà envisagé que l’Etat verse les pensions alimentaires d’anciens conjoints défaillants), à réformer l’Etat et l’ensemble du secteur public bien plus radicalement que cela est prévu, quitte à recourir au référendum et louer une Europe plus forte, à l’image de ce qu’elle a fait pour la protection des données personnelles et qu’elle pourrait faire dans bien d’autres domaines.
Michel Taube