Les chiffres du suicide parmi les forces de l’ordre en ce début d’année 2019 sont tombés et ils sont accablants : déjà 29 agents ont pris cette funeste décision. Alors que nous ne sommes que mi-avril,c’est l’équivalent de plus des deux-tiers des cas recensés sur toute l’année 2018 ! Peut-on parler de coïncidence, alors que les rassemblements des « gilets jaunes » et autres manifestations opportunistes violentes se poursuivent presque sans évolution de samedi en samedi ?Ce samedi, présenté comme Ultimatum 2, s’annonce d’ailleurs comme terrible quand on se remémore les Champs-Elysées d’Ultimatum 1 le 16 mars.
Bien sûr que non ! Certes, la dégradation des conditions de travail des policiers ne date pas du début de cette crise, mais celle-ci ne cesse d’exacerber un ras-le-bol déjà très présent. En y ajoutant les faits d’incitation à la faute et d’humiliation publique, ce ras-le-bol, déjà insupportable, mais encore possible à contenir s’est rapproché de plus en plus d’un état de « crise de nerfs », avec ses effets incontrôlables et ses choix irréversibles…
La « haine du flic » n’a jamais été aussi présente, affichée voire revendiquée dans notre pays. Aujourd’hui, non seulement l’uniforme ne fait plus peur, mais il n’incite même plus au respect le plus élémentaire !
Quand des ballons remplis d’excréments sont jetés à la figure de ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité des manifestations, que certains jeunes « s’amusent » à les injurier copieusement dans des vidéos publiées ensuite sur les réseaux sociaux (avec quel succès d’audience !), que des balles en caoutchouc usagées sont récupérées par les « services de secours » autogérés par les manifestants, souvent infiltrés par des groupuscules extrémistes, pour être ensuite « mises en scène » dans des photos avec des blessés,comment voulez-vous éviter que certains d’entre eux ne craquent ?
Se sentir ainsi déconsidérées par la population, celle-là même pour qui ces personnes se sont engagées parce qu’elle croyait pouvoir l’aider, alors que dans le même temps, les rythmes effrénés imposés par leur hiérarchie les contraignent à sacrifier leur vie personnelle et familiale, le tout pour un salaire de misère, tout ceci constitue le terreau idéal du burn-outet des pensées morbides… poussées parfois, malheureusement, jusqu’à l’acte.
Le taux de suicide chez les policiers est 36% plus élevé que dans le reste de la population, et concerne des agents âgés en moyenne de 40 à 45 ans, qui se donnent bien souvent la mort avec leur arme de service : c’est bien là un symbole de l’usure générée par le métier !
Songez qu’un policier doit en général travailler cinq week-ends complets avant de s’en voir accorder un seul de repos ! Comment être présent en tant que conjoint, ou en tant que parent, dans ces conditions ? Le taux de divorce parmi les forces de l’ordre est l’un des plus élevés parmi toutes les professions en France.
Face à ce phénomène, qui échappe en partie à ses protagonistes et qu’ils ont donc d’autant plus de mal à accepter, couplé à un contexte professionnel particulièrement éprouvant psychologiquement, il n’est pas rare non plus de voir certains collègues « péter les plombs » au sein de leur famille, jusqu’à commettre des atrocités. Le suivi médico-psychologique des agents les plus fragiles ou traversant des difficultés est très insuffisant et les conséquences de son retard sont dramatiques.
De plus, les mutations hasardeuses ordonnées par des dirigeants haut placés qui déracinent un grand nombre de jeunes policiers de leurs attaches amicales et familiales, les privant ainsi du soutien indispensable à leur équilibre mental et émotionnel, favorise le découragement, le désespoir,voire le passage à l’acte. De fait, les policiers qui se sont suicidés ces dernières années étaient des jeunes – 40 à 45 ans, ça devrait être la fleur de l’âge, non le moment où l’on songe à sa mort – voire des très jeunes (moins de 30 ans) !
Où est passé le sens de l’humain, dans tout ça !?
N’oublions pas que derrière la fonction, il y a des individus de chair, d’émotions et de convictions – même s’ils doivent les taire. Il n’est pas normal que des êtres humains soient ainsi minés moralement, à la fois de l’intérieur – vétusté des locaux, du matériel, des véhicules, et management déshumanisant – et de l’extérieur – agressions verbales ou physiques quotidiennes, plaintes déposées sans fondement, procédures interminables et nominatives qui bloquent l’avancement, etc.
La « culture du chiffre » – celui des amendes – et celle du « policier à but répressif » plutôt qu’éducatif, mises en œuvre par les gouvernements des trente dernières années, ont tué la relation de proximité entre les agents des forces de l’ordre et les populations, à travers la coopération avec le maillage associatif et citoyen, avec les résultats que l’on sait. Et ceux d’entre eux qui ne s’y plient pas se retrouvent sanctionnés, « placardisés » ! Nouveau camouflet pour la fierté de la profession : comment servir l’autre quand les moyens et les ordres qui vous sont donnés ne visent qu’à le desservir ?
Et que dire des 209 enquêtes ouvertes par l’IGPN concernant des soupçons de violences policières depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », qui aboutiront peut-être à des sanctions, qui peuvent être lourdes – jusqu’à des peines pénales ? S’il est bon de garantir l’irréprochabilité de notre police, que faire face à des dépôts de plaintes massifs et souvent peu ou non justifiés ?
Aujourd’hui, quand un manifestant est blessé, on parle tout de suite de « violences policières », mais quand un policier est blessé, cela semble normal.Cette banalisation est intolérable ! À ce jour, 2 000 cas ont été jugés sur les 8 700 gardes à vue opérées par les forces de l’ordre, et 1 800 autres sont en attente d’instruction de leur dossier. Si l’on peut féliciter l’exemplarité de la justice sur les peines prononcées (40% de condamnations à de la prison ferme et 60% de sanctions autres, dont sursis et travaux d’intérêt général), on peut cependant déplorer le nombre d’individus remis en liberté pour insuffisance de preuves, qui retournent aussitôt sur les manifestations en narguant les forces de l’ordre, ce qui leur impose un motif de ras-le-bol supplémentaire.
Nos policiers ont plus que jamais besoin de notre soutien, de notre considération, de notre respect et de notre reconnaissance, car sans eux notre État de droit n’aurait aucune chance de se maintenir face aux menaces internes et externes qui pèsent sur lui.
Bruno Pomart
Ex-policier du Raid, Police Nationale
Maire sans étiquette de la commune de Belflou dans l’Aude,
Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités » paru en mars 2009 aux éditions Anne Carrière
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation – www.raid-aventure.org