Un caricaturiste chinois dont les croquis satiriques anonymes lui ont valu d’être comparé à l’artiste Banksy, sans parler de l’ire de Pékin, se montre pour la première fois à visage découvert et révèle son histoire personnelle.
Badiucao est un ancien étudiant en droit qui s’est politisé en regardant un documentaire sur la répression des étudiants de la place Tiananmen à Pékin voici 30 ans. Ses dessins subversifs moquent régulièrement le président chinois Xi Jinping.
Il espère que sa décision de dévoiler son visage contribuera à le protéger des autorités chinoises même s’il n’est pas encore prêt à révéler son vrai nom au public. Il se sent en danger, de même que sa famille, depuis qu’il a été contraint d’annuler une exposition l’année dernière à Hong Kong. La police chinoise aurait dit à des proches qu’il n’y « aurait aucune pitié » s’il ne renonçait pas.
« Je ne crois pas que le Parti communiste chinois oublie jamais, ou pardonne à ses ennemis, en l’occurrence moi, et la seule façon de combattre ce genre de terreur est de tout exposer publiquement afin que chacun puisse voir ce qu’il se passe en Chine », dit-il à l’AFP à Melbourne, où il vit.
Badiucao, 33 ans, a grandi à Shanghai et se destinait à être avocat quand il a regardé un soir avec trois amis le téléchargement d’un film taïwanais. Ils ignoraient cependant que « La porte de la paix céleste » (Tiananmen en chinois), un documentaire sur la répression, figurait dans le fichier.
Le groupe fut cloué sur place.
Aucun des quatre jeunes gens, tous étudiants à l’Université de sciences politiques et de droit de l’Est de Chine, n’avait entendu parler du soulèvement, censeurs du parti et Grande Muraille informatique obligent.
« Ca durait trois heures, on était tous assis là, la pièce était complètement sombre, personne ne s’est même levé pour rallumer la lumière », raconte-t-il.
Hanté par le documentaire et la mort de son grand-père dans un camp de concentration durant la campagne anti-intellectuels à la fin des années 1950, il partit pour l’Australie où il commença à travailler comme caricaturiste.
Comédie noire
Son studio de fortune installé dans un conteneur à bateaux à Melbourne est clairement destiné à être déplacé à la va-vite.
On peut y voir les oeuvres politiques typiques de Badiucao : un portrait de l’artiste dissident Ai Weiwei, un triptyque d’Alan Kurdi, petit réfugié syrien mort noyé en tentant de rejoindre l’Europe.
L’artiste aurait dû tenir sa première exposition internationale en solo, et la première en territoire chinois, en novembre à Hong Kong.
Pour cette « comédie noire pour Hong Kong, la Chine et le monde », il s’était servi incognito de la plate-forme d’e-commerce Taobao pour faire fabriquer ses oeuvres par des ateliers du continent.
Parmi elles, un portrait de Xi Jinping et de Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif de l’ex-colonie britannique revenue en 1997 dans le giron chinois, leurs visages se confondant, qui illustre la peur de voir les libertés de Hong Kong s’éroder sous l’emprise de Pékin.
Une autre montrait le dissident défunt Liu Xiaobo et sa veuve Liu Xia, tous deux sans visage, mais dont les silhouettes sont illuminées au néon.
Quelques mois auparavant, l’artiste avait organisé une performance au Louvre à Paris, où des volontaires avaient brandi des toiles dépeignant la veuve sous les traits de Mona Lisa, devant le célèbre tableau lui-même.
Mais trois jours avant l’inauguration de « Comédie noire », Badiucao fut contacté par des proches qui lui apprirent que des membres de sa famille en Chine avaient été entendus par la police.
Courage
Cette tactique a souvent été utilisée par les autorités chinoises pour réduire au silence les dissidents de la minorité musulmane ouïghoure vivant à l’étranger.
« Ma famille en Chine ne savait pas du tout ce que je faisais », explique le caricaturiste. « On leur a dit que je faisais une exposition à Hong Kong et le message de la police était clair : ils voulaient que j’abandonne tout ».
Il ajoute que la police avait également menacé d’envoyer deux officiers à Hong Kong pour l’inauguration, ce qui aurait représenté une violation de la législation du territoire semi-autonome.
Badiucao a senti qu’il n’avait d’autre choix que d’annuler.
Les autorités chinoises n’ont pas répondu aux demandes d’interview.
D’après l’artiste, Pékin ignorait initialement sa véritable identité. Mais lorsqu’un autre dissident avait révélé sur Twitter que Badiucao était l’assistant d’Ai Weiwei à Berlin, la Chine découvrit le pot-aux-roses.
Il n’y a plus de raison de ne pas tomber le masque qu’il portait jusque-là en public, dit-il. L’anniversaire du 4 juin lui a semblé le bon moment afin de « rappeler le courage » des manifestants.
« Ces jeunes corps peuvent être écrasés par les chars mais leur esprit est toujours là et ils me donnent la force de sortir au grand jour ».
Par Alice PHILIPSON avec Asanka BRENDON RATNAYAKE