Edito
08H23 - mercredi 12 juin 2019

Des gilets jaunes aux blouses blanches : est-ce grave, Docteur ?

 

Les urgences en crise ne sont que la partie immergée d’un énorme iceberg, celui d’un système de santé en pleine dérive. Les gilets jaunes avaient déjà ébranlé l’État providence. À présent, c’est notre modèle d’organisation sanitaire, voire notre modèle social, celui de l’État protecteur, qui vacille. Les grévistes réclament des moyens. Nous en sommes à un point où ils sont effectivement indispensables, mais il faudra bousculer les habitudes et refonder la maison Santé pour apporter une réponse pérenne et efficace à sa dégradation progressive et constante.

Au lendemain des élections européennes, Emmanuel Macron avait de quoi pavoiser : les oppositions politiques sont plus dévastées que jamais, les verts pointent le bout de leur nez et l’extrême droite, isolée, plafonne. Le mouvement des gilets jaunes s’est réduit à une poignée d’irréductibles Gaulois, principalement d’extrême gauche, et le leader de ce courant de pensée, Maximo Mélenchon, a sabordé sa légitimité républicaine à coup de haine et de soutien aux plus insurrectionnels des gilets jaunes. Pour Emmanuel Macron, l’horizon 2022 commence à s’éclaircir.

Et puis la crise des blouses blanches est arrivée…

Le 11 juin, 84 services d’urgence étaient en grève ou subissent une vague sans précédent d’arrêts maladie dus à l’épuisement professionnel, le burnout. Et ce n’est vraisemblablement qu’un début, car la crise est profonde et touche l’ensemble du secteur sanitaire.

Même si les soignants semblent peu disposés à saccager les boutiques des Champs-Élysées, notre président risque de devoir débloquer rapidement quelques nouveaux milliards, certes à crédit, car chacun de nous peut du jour au lendemain se retrouver au service des urgences pour lui-même ou l’un de ses proches. Bien que plus catégoriel que le mouvement des gilets jaunes, celui des blouses blanches impacte potentiellement une population bien plus importante.

Pourquoi en est-on arrivé là ? Quelles solutions peuvent être envisagées ?

La (relative) gratuité des soins est une fierté de la France, mais pour combien de temps encore ? Les dépenses de santé ne cessent de progresser avec l’allongement de la durée de la vie, le vieillissement de la population et la dépendance. C’est tout notre système de santé qui doit être repensé si l’on veut préserver notre sacro-sainte Sécurité sociale, quand bien même sa privatisation rampante est en marche depuis plusieurs décennies, à coup de déremboursement de médicaments et de part croissance prise par le régime assurantiel privé.

Entre les urgences au bord du collapse et les déserts médicaux qu’aucune mesure incitative n’a su refleurir, le challenge est immense. Le 18 septembre dernier, le Chef de l’État présentait sa réforme de la santé : enveloppe budgétaire de 400 millions d’euros, fin du numerus clausus, création du nouveau métier d’assistant médical… Mais il faudra changer de braquet, être imaginatif et surtout accepter des évolutions que notre pays, réfractaire à la réforme et profondément corporatiste, risque de rejeter en bloc (opératoire). La mode est, et plus encore sera, aux cabinets médicaux groupés pour lutter contre les déserts médicaux. La télémédecine associée à l’intelligence artificielle est encore balbutiante, mais le développement de la e santé est inéluctable. Sans quoi, il faudra se résigner à la désertification territoriale qui n’est pas seulement sanitaire, ou supprimer la liberté d’installation des médecins. De quoi les inciter à troquer leur blouse blanche pour… un gilet jaune !

Pour l’heure, l’urgence est aux urgences. Les grévistes, réunis comme jamais dans une Intersyndicale santé, n’ont qu’un mot à la bouche : les moyens. On ne saurait leur donner tort, au vu de l’augmentation régulière du flux de patients. Mais on est tout de même en droit de s’interroger, une nouvelle fois, sur les raisons de l’inefficacité du service public français, qui absorbe pourtant près de 57 % de la richesse nationale. Nous manquons partout de fonctionnaires de terrain, mais entretenons une armée de cadres et sous-cadres de bureau, un vice que d’aucuns qualifient d’hypertrophie administrative avec ses petits chefs qui ne produisent rien ou presque. Nous avons aussi plombé l’hôpital avec une application dogmatique et souvent absurde des 35 heures, un principe de tarification à l’activité, ou encore un cadre juridique horriblement complexe, voire incompréhensible et donc largement inapplicable, au point que l’on peut se demander si les rédacteurs de la loi santé de 2016 et de ses innombrables décrets abscons ont déjà mis les pieds dans un hôpital.

Outre les moyens et la politique du « toujours plus » sans jamais remettre en cause la méthode, le désengorgement des urgences peut aussi passer, outre l’accueil des patients dans les services des cliniques privées, trop souvent oubliées par le SAMU et les autres acteurs publics, par la réhabilitation de la médecine de ville. Certains évoquent la fin de la gratuité des urgences, d’autres le rétablissement des gardes obligatoires pour les généralistes. La télémédecine, que nous avions évoquée comme remède partiel à la désertification médicale, peut étalement bénéficier au désengorgement des services d’urgence, le but étant d’y drainer uniquement les cas qui en relèvent effectivement. Ce serait plus utile et économique que de débloquer quelques milliards qu’il faudra bien payer un jour.

Edouard Philippe prononce cet après-midi son discours de politique générale, sensé inaugurer l’acte 2 du quinquennat d’Emmanuel Macron. Prendra-t-il la mesure de la crise qui frappe le monde de la santé ? C’est un des joyaux de notre pays, notre système de santé est vanté dans le monde entier, qu’il faut désormais sauver…

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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